Il était presque inévitable que la crise vénézuélienne engendre des spectres du fascisme. Avec 80 morts au cours d’affrontements de rue persistants, et la nation prise entre une bureaucratie incertaine et une vieille garde de l’opposition, le terrain est prêt pour l’apparition de nouveaux acteurs radicaux.
Le 27 juin, la situation déjà volatile a pris un nouveau tournant lorsqu’un hélicoptère de police détourné fut utilisé pour attaquer plusieurs bâtiments gouvernementaux. Le ministère de l’Intérieur et de la Justice et la Cour suprême furent visés par des attentats à la grenade, sans faire de blessés. Ce qui devrait attirer plus d’attention, c’est la vidéo publiée lors de l’assaut par Oscar Alberto Perez, un officier de l’Agence de police criminelle et scientifique du Venezuela. Perez a non seulement participé à l’attaque, mais prétend faire partie d’un réseau souterrain infiltré dans les forces de sécurité et de l’armée, déterminé à faire tomber le gouvernement sous assaut de Nicolas Maduro. Ce fut un acte qui, par sa méthode de planification, pourrait être qualifié de cinématographique.
La vidéo de Pérez a tout d’une déclaration gothique, avec ombres pesantes et du matériel militaire. Il regarde d’un air sévère la caméra avec un froncement de sourcils à la Mussolini, vêtu d’une tenue de combat. Derrière Perez se tiennent des hommes masqués tenant des mitrailleuses. C’est le travail de quelqu’un qui sait comment projeter une image précise. Avant de devenir comploteur, Perez a également travaillé comme acteur du série B au Venezuela, dans des rôles typiquement machistes dans des films avec des titres tels que Mort Suspendue. Dans les photos tirées du film, on peut voir les yeux froids qui aujourd’hui proclament aux Vénézuéliens que la délivrance du socialisme internationaliste en décomposition est à portée de main.
Une grande partie de la couverture médiatique s’est concentrée sur les déclarations tonitruantes de Perez concernant « la restauration de l’ordre constitutionnel ». Mais écoutez attentivement les autres expressions et termes que Pérez utilise dans la vidéo. Ils donnent un aperçu d’une forme de pensée fasciste qui prévaut en Amérique latine depuis au moins la guerre civile espagnole. Dans la vidéo, Perez marie l’idée de la lutte nationaliste avec l’idéalisme chrétien. En désignant un brassard bleu attaché à son bras gauche, il dit : « Nous utilisons ce signe, qui est la couleur de la vérité et de Jésus-Christ, qui est avec nous ». Il s’identifie explicitement, lui et à ses camarades, comme « nationalistes, patriotes et Institutionnalistes ". Vers la fin, il s’écrie plusieurs fois : « nous sommes des guerriers de Dieu, et notre mission est de vivre au service du peuple. Vive le Venezuela ! » Les centurions masqués derrière Perez soulèvent leurs poings en synchronisme avec le futur libérateur et répètent la dernière phrase. Le langage employé par Perez évoque les slogans de dirigeants fascistes comme Francisco Franco, qui a déclaré : « Je suis responsable uniquement envers Dieu et l’histoire. » Espérons qu’il n’adapte pas le slogan du commandant franquiste José Millan Astray qui a popularisé le cri de « Viva la Muerte ».
Il n’est pas surprenant que certains de l’opposition vénézuélienne décrivent maintenant tout cet épisode comme un faux drapeau organisé par le gouvernement Maduro pour justifier des mesures contre les troubles persistants. Jusqu’à maintenant, la plupart des dirigeants de l’opposition étaient des figures de l’ancienne garde sociale, habillés de polos, de casquettes de baseball et se comportant comme des produits typiques du système d’enseignement privé latino-américain. Le principal dirigeant de l’opposition, Henrique Capriles Radonski, a toujours donné l’impression d’avoir un minimum de lucidité et du genre à marcher dans les rues de Westwood ou de Beverly Hills comme un avocat ou un étudiant boursier.
Ces personnes ont réussi à mettre à feu les rues du Venezuela en raison d’une crise économique désastreuse et d’un gouvernement maladroit. Pourtant, ils ont manqué la vision et le talent dramaturgique nécessaire pour diriger une révolution. C’est une raison - en plus de leur identification avec les classes supérieures – pour lesquelles ils ne pourraient jamais rivaliser avec la figure éloquente et hors normes de feu Hugo Chavez. Lorsque les prix du pétrole était au plus haut, et que Chavez semblait capable de contourner les structures capitalistes du pays pour financer son projet, quelqu’un comme Radonski ne pouvait jamais se comparer au titan rouge. Avec Chavez mort, et remplacé par un Maduro moins charismatique, il semble que le fascisme révolutionnaire commence à relever la tête, en utilisant l’image et la violence pour gagner des convertis.
En tant qu’acteur, Perez savait comment planifier l’attaque d’un hélicoptère pour être plus théâtral que mortelle. Une bannière pendait sur le côté de l’hélicoptère qui lisait « Liberté. Article 350. » Ce fut un geste dramatique utilisant l’article de la constitution vénézuélienne qui donne aux citoyens le droit de se rebeller contre un régime tyrannique. Ironiquement, c’était la constitution fondée par Chavez lui-même après avoir assumé le pouvoir à la fin des années 1990. Mais au cœur du drame, ce qui compte, c’est l’impact de l’image. Jusqu’à présent, l’opposition vénézuélienne n’avait aucun sens du romantisme politique. Perez a compris le besoin de gestes héroïques, mais avec les arts noirs du fascisme.
La situation au Venezuela est un étrange mélange d’escalade et d’impasse. L’opposition a rassemblé suffisamment de soutien pour poser au moins une menace électorale au gouvernement de Maduro, mais ils n’ont toujours pas pu pénétrer pleinement les secteurs pauvres et ouvriers - ceux qui s’accrochent encore aux programmes sociaux du Chavismo. Si un mouvement nationaliste radical émergeait avec la capacité de mordre sur les secteurs des opprimés, alors l’équilibre des forces pourrait changer pour le pire.
Il existe déjà des signes que les mouvements fascistes traditionnels, mis en sommeil, profitent de la crise actuelle pour refaire parler d’eux. Parmi ces mouvements figurent ORDEN : Movimiento Nacionalista (ORDRE : Mouvement nationaliste), qui dispose d’un site Web techniquement bien fait, de vidéos de propagande léchées et d’un journal. Le logo du groupe transforme le cheval blanc du drapeau national en un éclair équestre. Comme Aube Dorée en Grèce, ORDEN se drape dans un discours de salut national tout en organisant une iconographie classiquement fasciste. Il est facile de trouver des bannières ORDEN dans certaines des marches actuelles de l’opposition. Ils ne sont en aucun cas représentatifs des tendances dominantes au sein de l’opposition, mais si la situation atteint de nouveaux niveaux de violence, ils pourraient avoir une opportunité.
L’opposition a mené des actes de sabotage et de violence visant des symboles sociaux spécifiques du gouvernement qui donnent au conflit son caractère idéologique. Le site de presse Venezuela Analysis rapporte que les groupes anti-gouvernementaux ont mis le feu à 50 tonnes de nourriture dans un centre de distribution du gouvernement dans l’état d’Anzoategui. Des graffiti inscrits sur les murs du centre exclament « Maudits Chavistas ». Cela vient en plus des récents assassinats de militants chavistes, de lynchages et Chavistas présumés dans les rues et de l’assassinat du juge Nelson Antonio Moncada Gomez, qui a été impliqué dans la condamnation à la prison de la figure de l’opposition Leopoldo Lopez. Lopez fut accusé de mener une vague de violence pendant les manifestations de 2014. Même si des personnages de l’opposition tels que Radonski, Machado ou Lopez ne tolèrent pas ouvertement ces actes de violence, le goût du sang se développera si le statut quo se poursuit.
C’est un terrain toxique, mûr pour la formation de forces fascistes. Du côté bolivarien, la situation devient incertaine et fracturée. Bien que Maduro poursuit son projet pour une assemblée constituante, il a déjà prévenu qu’un renversement du système sera combattu par la lutte armée. La dissidence dans les rangs bolivariens est maintenant apparente avec la rébellion ouverte de la procureure générale Luisa Ortega, qui a été frappée par une interdiction de voyager et un gel des avoirs par la Cour suprême. C’est une situation surréaliste qui donne l’image d’un gouvernement empêtré dans ses propres luttes internes de pouvoir. L’acteur déterminant sera les forces armées. Si une figure dans le style de Perez émerge des échelons supérieurs, alors ces sont les tanks qui régleront la situation comme au Chili en 1973 ou en Égypte en 2013. Il est révélateur que Perez n’a pas été capturé par les forces de sécurité, malgré la chasse active du gouvernement. La question doit être soulevée s’il a effectivement des alliés au sein des forces armées ou d’autres secteurs gouvernementaux qui l’abritent.
Il est incertain si une assemblée constituante réglera quelque chose au Venezuela, alors que Maduro cherche de plus en plus à faire des concessions au milieux d’affaires tout en faisant des annonces populistes sur les consultations de rue et en augmentant sans cesse le salaire minimum. L’expérience bolivarienne n’a jamais eu une théorie ou un cadre clair et défini - Chavez semblait improviser et réviser de 1998 jusqu’à sa mort en 2013. En sortant des modèles marxistes du siècle précédent, Chavez semblait tenter une transformation progressive par des étapes qui étaient parfois inspirées et parfois floues. Vers où le Venezuela se dirigeait restera une question sans réponse après la maladie et la mort de Chavez.
A présent Maduro se retrouve dans d’étranges limbes social-démocrates, avec Perez qui signale l’émergence d’éléments fascistes très clairs et déterminés à détruire le projet bolivarien. La monnaie vénézuélienne a perdu 99,8 pour cent de sa valeur au cours des cinq dernières années, et le pays lutte maintenant avec seulement 10 milliards de dollars de réserves. Ce n’est pas un échec du socialisme, comme l’affirme trop rapidement la classe capitaliste, mais le résultat d’une tentative improvisée de réforme radicale du XXIe siècle basée sur une seule marchandise - le pétrole - qui n’a jamais transformé le tissu social du pays.
Le danger est que le fascisme, élevé dans les classes dirigeantes et le système économique mondial dominant, est toujours clair sur ses intentions. Perez dans sa vidéo proclame explicitement le nationalisme et la religion comme base idéologique. Comme l’explique Enzo Traverso dans Fire and Blood : La guerre civile européenne 1914-1945, son étude clé sur les guerres européennes et leurs racines idéologiques, le franquisme en Espagne a clairement défini les côtés opposés comme « la patrie et l’anti-patrie ». C’est ainsi que Perez et d’autres groupes comme ORDEN définissent la lutte au Venezuela, en tant que nationalistes contre les personnes infectées par l’idée étrangère (particulièrement cubaine) du socialisme et de l’internationalisme, et l’opposition prend toujours de condamner les généreuses offres pétrolières vénézuéliennes aux pays alliés. Si le Venezuela n’est pas engagé dans une guerre civile ouverte, il est certainement au milieu d’une guerre sociale féroce définie par des antagonismes idéologiques clairs.
Le drame terrible du Venezuela devrait être surveillé de près par les mouvements de gauche dans les Amériques et au-delà. Toujours errant dans des brumes post-guerre froide, des mouvements tels que Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne et Syriza en Grèce ont tenté de manœuvrer dans des eaux sociales agitées à mesure que de nouvelles forces réactionnaires, basées sur le culte du sang et de la terre, s’organisent. Alors que la gauche cherche à redécouvrir quels programmes offrir à l’âge de l’austérité et de Trump, le camp de la réaction violente offre des options claires et chauvines. Ils emploieront l’esthétique et les actions audacieuses, laissant leurs adversaires ressembler à des bureaucrates périmés. En ce sens, le danger ne réside pas tant dans le fascisme qui deviendrait une force idéologique dominante au Venezuela, mais dans comment elle peut profiter d’une situation fracturée. Les dirigeants de la révolution doivent se battre pour un projet qui demeure incertain et indéfini. Le fascisme peut alors se glisser par la porte arrière, drapé dans les symboles rassurants du drapeau et de la tradition. Le temps nous dira si une population épuisée par la violence et l’incertitude va réagir ou préférer attendre et voir comment la situation évolue. Perez n’aura peut-être eu que ses 15 minutes de renommée, mais ce sont 15 minutes qui mettent en garde contre une tempête qui se prépare.
Alci Rengifo
Alci Rengifo est un écrivain et critique basé à Los Angeles qui contribue régulièrement à Los Angeles Review of Books et est rédacteur en chef associé à Brooklyn et Boyle à l’est de Los Angeles.
Traduction "on joue avec les mêmes règles du jeu ou on ne joue pas" par VD Pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.