« Nous sommes les maîtres du monde (...) le dollar est notre devise et c’est votre problème » Vision étasunienne du monde.
Nous avons dans une contribution précédente montré comment à propos de la révolution orange - dans la plus pure méthode de manipulation des foules- les grands de ce monde se font la guerre et délimitent leur territoire d’influence. En l’occurrence, le terrain de jeu est l’Ukraine qui fait l’objet de toutes les convoitises de l’Empire et de ses vassaux européens mais aussi de la Russie qui ne veut pas avoir de danger à sa frontière occidentale. Même la Chine, d’une certaine façon, ne veut pas d’une Ukraine satellisée à l’Occident. De ce fait, il faut accueillir avec prudence le battage médiatique de la place Maidan. Les médias aux ordres n’arrêtent pas de nous saturer de scoops sur la détermination des Ukrainiens d’en finir avec le président Ianoukovitch, pourtant démocratiquement élu, coupable à leurs yeux de préférer l’aide russe de 20 milliards de dollars à la « liberté » qu’offre le partenariat d’association avec l’Europe pour le compte de l’Empire.
L’Ukraine : un enjeu géostratégique
Pour Jean Geronimo, « En se rendant à Kiev pour soutenir les opposants, y compris d’extrême droite, au régime ukrainien, Catherine Ashton assume un acte hostile à la Russie qui avait demandé à l’UE de ne pas intervenir. Ce soutien des puissances occidentales à la troublante « révolution » ukrainienne vise-t-il à faire entrer ce pays dans le giron de l’UE et de l’Otan, et aussi à empêcher le retour de la Russie comme grande puissance en cherchant son affaiblissement régional ? (...) Cette stratégie « anti-russe » est attestée par les tentatives régulières de cooptation des anciennes républiques de l’Urss, au moyen d’innovations politiquement orientées telles que le « Partenariat oriental » (via l’UE) ou le « Partenariat pour la paix » (via l’Otan) et, plus récemment, « l’Accord d’association » de l’UE avec l’Ukraine. Dans ce contexte, tout rapprochement de l’Ukraine avec l’UE (via l’Accord d’association) peut être considéré comme l’étape préalable et « naturelle » à sa future intégration à l’Otan, - comme cela a été confirmé par Washington - véritable gifle et provocation stratégique à l’égard de la Russie. (...) Dans cette optique, l’Otan reste, pour elle, un levier offensif et injustifié de la vieille lutte contre le communisme. Incroyable acharnement. » (1)
Jean Geronimo nous rappelle la stratégie anti-soviétique en citant l’ancien conseiller du président américain James Carter, Zbinew Brzezinski qui amena la chute de l’empire soviétique en l’amenant à s’empêtrer dans le bourbier afghan. Le plus inquiétant est que l’évolution ukrainienne s’inscrit dans le prolongement des « révolutions » libérales « de couleur » en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizistan (2005) encouragées et financées en partie par l’administration américaine. »(1)
La mécanique de l’ingérence et la réaction russe
« Cette configuration poursuit-il explique l’existence de manipulations occidentales via les ONG et leur soutien à l’opposition ukrainienne, la désinformation et le conditionnement de l’opinion publique, ainsi que l’ingérence troublante de dirigeants étrangers, - dont américains et européens - et, naturellement, l’accusation de la « main de Moscou (...). » Pour les dirigeants occidentaux il s’agit de faire pression sur le président Ianoukovitch pour l’obliger à faire le « choix de l’Europe et de la liberté », selon le slogan redondant de l’opposition sous influence occidentale et ainsi, protéger le « bon peuple ukrainien » d’un éventuel retour de l’impérialisme russe (...) Face à cette instrumentalisation politique, la Russie ne pouvait rester sans réactions. D’autant plus que l’intégration de l’Ukraine à l’espace économique européen transformera ce pays en plateforme de réexportation des produits occidentaux – via les firmes multinationales – vers la Russie, dont l’économie serait ainsi attaquée.Très vite, Vladimir Poutine a su trouver une réponse adéquate, correspondant aux intérêts économiques de l’Ukraine mais respectant les intérêts politiques de la Russie, encline à protéger sa zone d’influence contre les convoitises de plus en plus pressantes de l’UE. (...) Indéniablement, la Russie revient de loin et, peu à peu, elle rejoue dans la cour des « grands », pour y défendre une certaine éthique et, si nécessaire, s’opposer aux fausses révolutions. La partie d’échecs américano-russe continue au coeur de l’Eurasie, en Ukraine. » (1)
Justement et dans le même ordre, conclut l’auteur, « l’accord avec l’UE exclut l’adhésion simultanée dans une union douanière menée par la Russie et couperait donc l’Ukraine de son principal partenaire commercial, avec lequel son industrie et ses voies de transport sont étroitement connectées. La suppression des droits de douane sur les produits européens signifierait aussi la faillite pour de nombreuses industries ukrainiennes.(...) Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà refusé à l’Ukraine un crédit indispensable parce que le gouvernement refuse une hausse du prix du gaz de 40%, ce qui entraînerait inévitablement la mort de nombreux chômeurs et retraités, incapables de payer leurs factures de chauffage. » (1)
L’avènement d’un autre partenaire : la Chine
Ce qui se passe en Ukraine intéresse aussi la Chine qui se verra concurrencée comme l’écrit Peter Schwarz : « (...) L’Accord d’association transformerait le pays en un vaste atelier pour les entreprises allemandes et européennes, qui pourraient produire à des taux de salaires inférieurs à ceux de la Chine. Dans le même temps, les ressources naturelles du pays, son territoire vaste et fertile et son marché intérieur de 46 millions d’habitants font de l’Ukraine une cible alléchante pour les entreprises allemandes et européennes. Tant les États-Unis que l’UE ont intérêt à l’affaiblissement de la Russie, qui est considérée comme une alliée importante de la Chine. Immédiatement après son élection en mars, le président chinois Xi Jinping s’est rendu à Moscou pour renforcer le « partenariat stratégique » entre les deux pays. Les deux pays se sentent menacés sur le plan économique et stratégique par les incursions agressives des Etats-Unis et de leurs alliés en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. » (2)
La Chine développe également ses liens économiques avec l’Ukraine dont les échanges commerciaux avec la Chine atteignent actuellement environ 5% de son commerce extérieur. En octobre, le South China Morning Post a rapporté que l’entreprise publique chinoise XPCC avait conclu un accord avec la société ukrainienne agricole KSG Agro pour avoir accès à 100.000 hectares de terres arables pour la production d’aliments destinés à la Chine. Cette zone doit être étendue à 3 millions d’hectares, la taille de la Belgique ou du Massachusetts. La Chine a déjà accordé au pays des prêts de 10 milliards de dollars. L’Ukraine considère ses relations économiques avec la Chine comme si importantes que le président Yanoukovich est parti pour une visite d’Etat de quatre jours à Pékin, malgré la crise politique en cours. » (2)
Le camouflet étasunien à l’endroit des vassaux européens 10 février 2014
L’apparition sur YouTube d’une conversation interceptée entre l’assistante de la secrétaire d’État Victoria Nuland et son ambassadeur en Ukraine a permis d’évaluer à sa juste mesure le poids de l’Europe vassale vis-à-vis de l’Empire étasunien ; la conversation montre que les États-Unis ne sont pas intéressés par les slogans officiels des manifestants de la place Maidan (le rattachement à l’Union européenne), mais qu’ils oeuvrent pour changer le régime, placer un homme à eux au pouvoir, et répandre les troubles. La conversation aurait été interceptée entre le 22 et le 25 janvier 2014. Victoria Nuland a présenté ses excuses à l’Union européenne, tout en suggérant que l’interception aurait pu être le fait des services secrets russes qu’elle a accusés d’avoir violé une conversation privée. Une remarque savoureuse de la part d’un État qui espionne tout le monde dans le monde entier. Dans cette conversation, lit-on dans une contribution sur le Réseau Voltaire, « Elle donne, dans un anglais trivial, instruction pour répondre à la proposition faite par le président Ianoukovytch de laisser l’opposition constituer un gouvernement. Il faut, selon elle, placer Arseni Iatseniouk, maintenir Wladimir Klitschko hors jeu, et écarter le leader nazi Oleh Tyahnybok qui devient encombrant. Au passage, on apprend que l’ancien diplomate étasunien, Jeffrey Feltman, aujourd’hui secrétaire général adjoint des Nations unies, nomme qui il veut à l’ONU et utilise cette organisation pour donner un vernis légal aux actions secrètes des USA. En l’occurrence, il a pu nommer comme représentant de l’ONU, le Néerlandais Robert Serry, ancien responsable des « opérations » de l’Otan.
Nous résumons les paroles de Victoria Nuland qui décide de la composition du futur gouvernement ukrainien : « Je pense Yats, c’est le gars. Il a de l’expérience économique et de l’expérience de gouverner. C’est le gars. Vous savez, ce qu’il a besoin, c’est que Klitsch et Tyahnybok restent à l’extérieur. (...) Vous savez, je pense juste que si Klitchko entre, il va devoir travailler à ce niveau avec Iatseniouk, c’est juste que ça ne va pas marcher... (...) Quand j’ai parlé à Jeff Feltman ce matin, il avait un nouveau nom pour le type de l’ONU : Robert Serry. Je vous ai écrit à ce sujet ce matin.(...) Il a obtenu aujourd’hui, à la fois de Serry et de Ban Ki-moon, que Serry vienne lundi ou mardi. Ce serait formidable, je pense, ça aiderait à souder ce projet et d’avoir l’aide de l’ONU pour le souder et, vous savez quoi, -Fuck- l’Union européenne. » (3)
Que répond l’Europe à cette insulte ?
Dans une contribution où on sent une rage continue, le journal Le Monde décrypte les cinq leçons à retenir de l’insulte de Victoria Nuland : « Selon l’agence Reuters citant une source diplomatique, l’enregistrement a été diffusé sur YouTube jeudi (...) Message subliminal : les dirigeants occidentaux vont et viennent en Ukraine pour soutenir le mouvement de Maïdan, mais les services secrets russes sont chez eux. Les Étasuniens sont pourtant bien placés pour le savoir, après la fuite géante des télégrammes diplomatiques de WikiLeaks en 2010 et l’affaire Snowden en 2013. C’est l’arroseur arrosé. » Les États-Unis traitent l’affaire ukrainienne comme une crise de la guerre froide : l’Occident contre la Russie. (...) La familiarité avec laquelle la secrétaire d’Etat adjointe évoque les dirigeants de l’opposition ukrainienne et les postes qu’elle leur attribue dans un éventuel gouvernement traduit une étonnante maladresse, voire arrogance, dans la méthode, compte tenu des échecs américains à installer des équipes au pouvoir dans des pays étrangers depuis dix ans. Elle-même et l’ambassadeur Pyatt parlent des protagonistes de la crise ukrainienne comme si leur sort dépendait d’eux, ce qui n’est pas le cas. Inévitablement, le titre de la bande audio sur YouTube, en russe, est : « Les marionnettes de Maïdan. » « L’affaire, lit-on dans le journal Le Monde, enfonce un coin supplémentaire dans les relations entre l’Allemagne et les États-Unis, de plus en plus froides. Angela Merkel n’a toujours pas digéré d’avoir appris par Edward Snowden que la NSA écoutait son téléphone. La chancelière a été la première à réagir, en faisant savoir qu’elle considérait les propos tenus par Mme Nuland comme « absolument inacceptables », suivie samedi par Herman Von Rompuy. » (4)
En gros, ils ont décidé de ne rien décider ! Après l’exaspération de Merkel, rien. Le silence de cathédrale de la France s’explique par la volonté française de faire en sorte que la visite de François Hollande aux États-Unis ne soit pas réduite à sa plus simple expression. « Les Vingt-Huit ont décidé de ne pas créer d’incident avec Washington après les récentes et déjà célèbres déclarations (« Fuck Europe ») de Victoria Nuland, la secrétaire d’Etat adjointe chargée de l’Europe et de l’Asie. Les ministres des Affaires étrangères ont évité, lundi 10 février, de répondre directement à cette responsable, qui s’entretenait, la semaine dernière, avec l’ambassadeur des États-Unis en Ukraine. « Ce ne sont pas ces deux mots qui nous gênent mais l’idée que l’Union européenne n’est capable de rien et devrait laisser tous les pouvoirs aux États-Unis et à la Russie pour tracer une voie à ce pays », confiait toutefois, lundi, l’un de ces ministres.(5)
Plus officiellement, les Vingt-Huit ont simplement exprimé leur « préoccupation » face à la crise politique en Ukraine et souligné, au détour d’une phrase sibylline : « L’UE est prête à une réponse rapide en cas de détérioration rapide sur le terrain » - l’idée de possibles sanctions contre le régime. (...) L’idée d’une éventuelle médiation des Nations unies pour résoudre le conflit entre le président Victor Ianoukovitch et l’opposition est un autre sujet de division entre Washington et Bruxelles. (...) Les Européens proposent toujours à Kiev la signature d’un accord d’association et, au détour d’une autre phrase sibylline – demandée par la Pologne – tracent pour Kiev la « perspective européenne » réclamée par certains, dont le commissaire à l’élargissement Stefan Füle : « Le Conseil exprime sa conviction que cet accord ne constitue par le but final des relations UE-Ukraine. » (5)
L’Ukraine compte 46 millions d’habitants dont la grande majorité est avec le gouvernement. Les soi-disant 70.000 manifestants qui sont contre, sont sponsorisés, soutenus, alimentés, payés par l’Europe qui s’ingère en jouant à la fois les boutefeux et les bons offices avec une stratégie différente des États-Unis qui veulent composer un gouvernement ukrainien, eux qui ont échoué en Afghanistan, en Irak, en Libye, et en Syrie, qu’ils ont déstabilisés. La guerre froide est terminée. Au jeu d’échecs les Russes restent champions et les Chinois veillent. Camille Loty Mallebranche résume en quelques lignes ce qui se joue en Ukraine : « Les révolutions ne se font ni par procuration ni par corruption de quelques voyous à la solde de puissances étrangères, prédatrices d’État, jouant d’ostentation de populaces excitées, de populaces téléguidées par une opposition affairiste à la solde d’hégémonistes. Les révolutions authentiques ne se peuvent qu’endogènes, enracinées dans une vision nouvelle, révolutionnaire, dûment ancrée, assumée par les peuples conscientisés et motivés qu’orientent de vrais leaders. Ainsi, la stratégie du chahut que mène un Occident lui-même en crise de tout, surtout de démocratie face à la prépondérance russe, tant économique que militaire, sur l’Ukraine, pays qui a partagé l’histoire de la Russie, ne peut, à terme, qu’échouer vu sa contre-nature, son profil de politique des bas-fonds et sans ancrage social. (...) Il n’y a pas de rêve ukrainien possible pour l’Occident, ce ne peut être que gigotements de fous d’hégémonie, que bellicisme inavoué, que grivoiserie cauchemardesque, que terrorisme politique déstabilisateur, que pitoyable hantise hitlérophile de domination de l’écoumène. »(6)
1.Jean Géronimo, http://www.mondialisation.ca/lukraine-un-enjeu-geostrategique-au-coeur-de-la-guerre-tiede/5368227
2.Peter Schwarz http://www.mondialisation. ca/la-lutte-pour-lukraine/5360890
3.http://www.voltairenet.org/auteur125416.html?lang=fr
4.http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/09/les-cinq-lecons-du-fuck-the-eu-d-une-diplomate-americaine_4363017_3214.html
5.J.P. Stroobants : les Vingt-Huit ne répondront pas à Victoria Nuland, Le Monde 11.02.2014
6. http://www.oulala.info/2014/02/ukraine-ingerence-obsessive-geostrategie-contre-nature-de-loccident/