Intifada : les jeux sont déjà faits

Ceux qui se prétendent surpris face à l’imminence d’un troisième soulèvement ont fait l’autruche pendant les dix dernières années
Ce n’est que rarement qu’un cliché aussi éculé que celui-ci (**) attire autant l’attention. En effet, les jeux sont faits.

Mes lecteurs me le pardonneront : aucune réponse, aucune explication ni analyse ne semble plus pertinente, à un stade où le danger d’éclatement d’une troisième intifada palestinienne semble plus présent que jamais depuis dix ans. Ceux qui se prétendent surpris d’une telle nouvelle n’ont pas vécu au Moyen-Orient pendant la dernière décennie. Ceux qui se prétendent surpris, ainsi que la plupart des Israéliens, ont fait l’autruche pendant dix ans. La seule surprise, c’est qu’il ait fallu attendre dix ans pour qu’un nouveau soulèvement survienne.

Toutes les figures de la sécurité intérieure israélienne font encore leur possible pour minimiser l’évidence, affirmant avec insistance que ce n’est qu’une « vague de terreur » et non une intifada. Ils ont tenu exactement les mêmes propos lorsque les deux précédentes intifada ont éclaté. Quand la Première intifada a débuté, j’ai rencontré des membres de l’entourage du ministre de la Défense de l’époque, Yitzhak Rabin ; ils étaient alors en visite aux États-Unis, et je leur ai parlé dans un grand magasin de New York. Il n’y avait aucune raison de se dépêcher de rentrer en Israël, selon eux, tout était sous contrôle. On ne peut pas non plus dire que la Seconde intifada ait été très anticipée. Cependant, elles ont toutes deux éclaté, avec une ampleur considérable, et la seconde fut pire que la première. La troisième prendra des proportions plus importantes encore.

Ce qui est encore incertain, c’est si oui ou non les événements qui se produisent actuellement évolueront progressivement vers une intifada à part entière ; mais, en attendant, il n’y aura bientôt plus de périodes de tranquillité entre le Jourdain et la mer. Il est vrai qu’il y a eu jusqu’à présent divers facteurs pour empêcher l’éclatement d’une troisième intifada : le prix élevé que les Palestiniens ont dû payer en répercussion de la Seconde intifada qui avait échoué dans ses objectifs, l’absence d’une véritable autorité qui mènerait le mouvement vers un nouveau soulèvement d’envergure, des divisions internes en Palestine qui se sont largement amplifiées ces dernières années entre le Fatah et le Hamas, l’isolement international des Palestiniens au milieu de l’indifférence croissante de la communauté internationale, et la situation économique qui s’est légèrement améliorée en Cisjordanie.

Mais avec le temps, tous ces facteurs, dont la plupart sont toujours d’actualité, ne pourront pas empêcher la survenue d’une troisième intifada. Même si les forces de sécurité israéliennes parviennent d’une façon ou d’une autre à contenir dans sa lampe ce génie en plein réveil, il n’y restera pas enfermé bien longtemps. Et elles n’en sortiront vainqueurs d’aucune façon. Au moment où j’écris ces mots, au lendemain du meurtre de deux juifs dans la vieille ville de Jérusalem, environ 500 Palestiniens ont déjà été blessés par l’armée et la police israéliennes lors d’émeutes survenues dans toute la Cisjordanie : voilà un mauvais présage.

Les dés sont déjà jetés car le comportement d’Israël, dans toute son insupportable arrogance et intransigeance, ne peut manquer de provoquer une nouvelle et terrible explosion. La Cisjordanie est paisible depuis près de dix ans, au cours desquels Israël a prouvé avec persévérance aux Palestiniens que la tranquillité ne pourrait s’accompagner que d’une intensification de l’occupation, de l’expansion des colonies, d’une augmentation des démolitions de logements et des arrestations en masse — dont des milliers de soi-disant détenus administratifs qui sont jetés en prison sans procès —, sans oublier la poursuite des confiscations de terres, les incursions et arrestations complètement inutiles, ces doigts que la gâchette démange et qui provoquent des dizaines de morts chaque année, et les innombrables provocations à al-Aqsa/Mont du Temple qui froissent la susceptibilité des musulmans.

Les Palestiniens doivent-ils accepter tout cela en silence ? Doivent-ils faire preuve de retenue lorsque la famille Dawabsha est brûlée vive à Duma et que personne n’est arrêté ni jugé par Israël, tandis que le ministre de la Défense Moshe Ya’alon fanfaronne en prétendant qu’Israël sait qui a commis ce crime scandaleux mais qu’il n’arrêtera pas les responsables pour préserver son réseau de renseignement ?

Quel peuple pourrait donc faire preuve de retenue face à une telle succession d’événements, à l’arrière-plan desquels se trouve toute la puissance de l’occupation, sans espoir, sans perspectives, sans issue en vue ? Il n’y a aucune négociation en cours, pas même en secret, la solution à deux États est apparemment condamnée et Israël n’a aucune alternative à offrir. Les Palestiniens sont censés accepter cela sans broncher ? Rien de tel ne s’est jamais produit nulle part, ni ne se produira jamais.

Tandis que le calme se maintient de l’autre côté du mur depuis près de dix ans, Israël a prouvé qu’il n’y avait aucune chance qu’il prenne part à des négociations sérieuses au sujet du statut de la Cisjordanie, et qu’il n’avait aucune intention de mettre fin à l’occupation, terrorisme ou pas. Ce gouvernement qui a les États-Unis à sa botte, qui n’encourt aucune sanction en retour, est devenu ivre de pouvoir, et ce également vis-à-vis des Palestiniens. C’est ce qui se passe quand le monde entier laisse Israël se déchaîner à Gaza et en Cisjordanie, gonflant son arrogance et son ivresse du pouvoir au-delà de toutes limites.

Mais maintenant il va falloir en payer le prix. Tous ceux qui se sont imaginés qu’Israël pourrait éternellement continuer sur sa lancée et que les Palestiniens continueraient à baisser la tête, à se soumettre indéfectiblement, tous ceux-là n’ont jamais ouvert un livre d’histoire. Aucun peuple d’aucune contrée n’a jamais cédé à la conquête sans résister, et certainement pas à l’époque contemporaine. La résistance est un droit qui est précieusement consigné dans les lois internationales.

Maintenant, il va falloir payer le prix : une intifada, une insurrection que l’on avait temporairement oubliée mais qui va désormais faire son retour, et dans peu de temps. En vérité, ces distinctions n’ont plus d’importance. La troisième intifada est déjà là, ou, dans le meilleur des cas, elle montre le bout de son nez. Benyamin Netanyahou et l’actuel gouvernement israélien, historiquement de droite, nationalistes et religieux, n’ont aucune intention de faire quoi que ce soit pour empêcher cette éruption imminente. Avec pour uniques résultats encore plus de sang versé, encore plus de check-points, encore plus d’arrestations, encore plus de détentions, encore plus de destructions et encore plus de meurtres. C’est le seul langage que l’actuel gouvernement d’Israël puisse parler, il n’en connaît pas d’autre. Il n’y a aucune chance que ce gouvernement emprunte une autre voie.

Vue la situation, l’actuelle crise frappe directement à la porte de la communauté internationale. En l’absence d’une entité responsable en Israël, la responsabilité est confiée aux autres États. La communauté internationale a longtemps fait preuve de servilité envers Israël, et, en un demi-siècle, cette méthode s’est avérée un échec retentissant.

L’heure est maintenant arrivée de changer les règles du jeu pour la communauté internationale et, en premier lieu, pour les États-Unis : quiconque, par son absence de mesures concrètes visant à mettre un terme à l’occupation, continuera de permettre à Israël de se déchaîner, endossera également la responsabilité de la prochaine salve de violence dans la région. Et le bain de sang ne se confinera pas au territoire situé entre le Jourdain et la mer ; dans l’histoire de ce conflit, les crises ont toujours été plus loin que cela, faisant couler le sang dans d’autres endroits du monde. Puisse le monde indifférent s’activer et se rendre compte.

Gideon Levy

(*) Gideon Levy est chroniqueur et membre de la rédaction du journal Haaretz. Gideon Levy a rejoint Haaretz en 1982 et il a passé quatre ans au poste de rédacteur adjoint du journal. Il a reçu le Prix Euro-Méditerranée des journalistes en 2008, le Prix de la presse pour la liberté à Leipzig en 2001, le prix de l’Union des journalistes israéliens en 1997, et le prix de l’Association des droits de l’homme en Israël en 1996. Son dernier livre, The Punishment of Gaza (La punition de Gaza), vient d’être publié chez Verso.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

(**)Photo : un jeune Palestinien incendie des pneus au cours des affrontements avec les soldats israéliens à proximité de la colonie juive de Beit El, dans la ville cisjordanienne de Ramallah, suite à l’interdiction donnée aux Palestiniens le 4 octobre 2015 d’entrer dans la vieille ville de Jérusalem (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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COMMENTAIRES  

08/10/2015 16:28 par reymans

Tout a été fait dans ce "conflit", par les sionistes surtout, pour que toute solution soit impossible, rendant la suite inévitable, à mon grand regret
Je me dis que si l’intention des israeliens étaient d’eradiquer les palestiniens de la planete on ne s’y prendrait pas autrement
Mais suis je bete...
Le silence complice du reste du monde ou presque, est aussi abrutissant qu’assourdissant

08/10/2015 17:01 par reymans

Ceci montre en tout cas que les néocons et les sionistes ont choisi leur option, ce sera le jusqu’au boutisme quoi qu’il en coute. Désespérant
Merci Mr Lévy pour votre humanisme et votre lucidité, les justes existent encore

09/10/2015 11:22 par triaire

Les Sionistes veulent effectivement l’éradication des Palestiniens avec l’aval de l’Empire et de ses supplétifs ;
Naturellement, cela est voué à l’échec, donc ce sera la guerre avec ses horreurs et la bénédiction de l’ONU et de l’Occident .
Mais un jour prochain, la Palestine redeviendra la terre de tous les sémites et les israéliens en font partie .
L’état raciste des Sionistes ne peut pas durer .Hitler aussi a été emporté .

09/10/2015 14:41 par Dominique

Ce gouvernement qui a les États-Unis à sa botte, qui n’encourt aucune sanction en retour, est devenu ivre de pouvoir, et ce également vis-à-vis des Palestiniens.

Ce n’est pas Israel qui a le gouvernement des USA à sa botte mais l’inverse. Historiquement, Herzl fut très clair : le sionisme est une projet de colonisation, une colonie de peuplement. Nous pouvons voir le résultat avec les USA, la population d’origine fut exterminée et les survivants parqués dans des camps d’extermination appelés réserves indiennes pour l’occasion. De plus, dés le premier kibboutz en 1923, l’idéologie pseudo "anarcho-communste" de la gauche sioniste allait permettre au sionisme et à son idéologie de noyauter l’ensemble de la gauche institutionnelle des deux bords de l’Atlantique, d’abord en Europe et dans les pays de l’Est, puis après la deuxième guerre mondiale aux USA.

Dans ce contexte, Israel fut une tête de pont de l’impérialisme occidental, et aujourd’hui il en est le navire amiral. Mais c’est toujours l’occident qui est aux commandes et cela pour une raison très simple, si Israel a des bombes atomiques et une armée totalement disproportionnée, le couple USA-OTAN est bien plus puissant. Cependant, l’histoire est en train de s’accélérer et l’occident se contente aujourd’hui de naviguer à vue, sans aucun projet clair. Il arme des potentats islamistes comme l’Arabie Saoudite, créant ainsi le chaos en Irak, en Syrie ou en Libye, ceci avec pour seul bénéfice de pouvoir livrer les ressources de ses pays à ses multinationales. Sur le long terme cette politique est un échec total car elle ne fait que renforcer les ennemis de l’occident. La Russie l’a très bien compris, elle qui après la Tchétchénie, après l’Ukraine où elle a pris la Crimée sans tirer une seule cartouche, est en train de donner avec la Libye une véritable leçon de stratégie à l’Occident.

Si nous prenons un peu de recul, la situation du capitalisme d’aujourd’hui est comparable à celle qui a précédé l’éclatement de l’Empire romain. Des légions romaines alliés à des barbares combattaient d’autres légions romaines alliées à d’autres barbares. Aujourd’hui, l’Occident alliés à des potentats maffieux combat la Russie alliée à d’autres potentats, et ils sont tous capitalistes.

Israel fait partie du Proche-Orient tel qu’il a été remodelé avec les accords Sykes-Picot sur le modèle de tout colonisateur : diviser pour régner, mais ce Proche-Orient là est en train de voler en éclat en raison d’une part de l’encouragement systématique de l’islamisme depuis des décennies par l’Occident, et d’autre part en raison de la montée en puissance de la Russie. Même l’Irak vient de demander l’aide de la Russie pour se débarrasser de Daech et d’Al Qu aida.

Le manque de stratégie à long terme de l’occident est rendu possible par la crise économique qu’il traverse, crise qui est non seulement systémique mais mortelle pour le dogme de base du capitalisme : la croyance pseudo-religieuse en une croissance infinie sur une planète aux ressources finies. La crise actuelle est loin d’être finie et ne pourra que rebondir et s’amplifier le jour proche où les nouvelles ressources en pétrole (sables bitumeux) ou en gaz de schiste seront épuisées (ils en ont déjà exploité la moitié). L’histoire des templiers qui ont occupé la Palestine pendant 300 ans nous apprends ce qui va arriver aux sionistes : dés que l’occident aura trop de problèmes internes à régler pour continuer à les subventionner, les sionistes ne devront leur salut qu’à la fuite. La seule inconnue demeure de savoir si les sionistes, dans leur aveuglement raciste basé sur une interprétation fondamentaliste de la bible iront jusqu’à déclencher l’apocalypse nucléaire.

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