29 NOVEMBRE 2023
Giora Eiland est un des « agents penseurs » issu de l’armée. Sympathique et éloquent, son comportement est tout de modération et de jugement éclairé. Sa carrière militaire est impressionnante, à la tête de la Division des opérations et de la planification de l’armée et à la tête du Conseil National pour la Sécurité. Il est constamment interviewé et encensé par les Travaillistes. Il ne marmonne pas et n’est pas ignorant comme le général de brigade Amir Avivi, ni sanguinaire comme Itamar Ben Gvir. Un centriste, de droite modérée.
Eiland, qui ne va pas bien et a même écrit un livre sur sa souffrance, a une idée : les épidémies à Gaza sont bonnes pour Israël. « Après tout, de graves épidémies, dans le sud de la bande de Gaza nous rapprocheront de la victoire et réduiront le nombre de blessures parmi les soldats de l’armée israélienne », a-t-il écrit cette semaine dans Yedioth Ahronoth. Il suffit d’attendre que les filles des leaders du Hamas contractent la plaie et c’est gagné.
Eiland n’a pas donné de détails sur quelle plaie il recommande – la peste, les furoncles ou le choléra, peut-être un cocktail de petite vérole et de sida ; peut-être aussi la famine pour deux millions de personnes. Une promesse de victoire israélienne à un prix imbattable. « Et non, ce n’est pas de la cruauté pour la cruauté » a-t-il insisté, comme si quelqu’un pensait le contraire. En fait, c’est une gentillesse et un sens humain rares qui ne feraient que sauver des vies humaines.
Eiland, dans le rôle de Mère Theresa, un officier et un gentleman de l’armée la plus morale du monde, a fait une proposition nazie et aucun orage n’a éclaté. Quiconque attribue la réalisation du génocide à Israël est antisémite après tout. Imaginez seulement qu’un général européen propose d’affamer un pays ou de le tuer par une épidémie – les Juifs par exemple. Imaginez la diffusion d’une plaie pour encourager l’effort de guerre. Tout est juste dans la guerre et maintenant il est admis de suggérer tout ce dont vous avez rêvé sans jamais oser en faire état. Le politiquement correct a été inversé. N’importe qui peut être Meir Kahane, personne ne peut être humain. Proposer un génocide, ça passe, mais pas la pitié pour les enfants de Gaza. Proposer le nettoyage ethnique, c’est admis, mais pas être choqué par la punition infligée à Gaza.
Ce n’est plus seulement la droite. C’est le courant majoritaire. Le député Yesh Atid Ram Ben Barak soutient le transfert volontaire, la ministre modérée Gila Gamliel aussi. La ministre des affaires étrangères a dit qu’elle ne représente pas le gouvernement. Mais si, et pas seulement le gouvernement.
La monstruosité est devenue correcte, le diabolisme a pénétré le centre et même la gauche du centre.
Nous ne nous sommes pas encore remis de la brutalité du Hamas, et nous sommes déjà inondés de toute cette bonté – non seulement de la part de l’extrême droite et des colons mais du cœur du centre israélien. Apparemment, il y a une cruauté horrible et une cruauté correcte. Ceux du Hamas sont des animaux, mais la proposition de répandre la peste est légitime. Une des choses les plus dangereuses nées dans cette guerre se déploie sous nos yeux : la standardisation, la légalisation et la normalisation du mal.
Ce mal s’est développé à partir du terreau du mépris incroyable et de l’indifférence pathologique en Israël sur ce qu’il se passe maintenant à Gaza. Des journalistes étrangers qui viennent ici n’en croient pas leurs yeux : la souffrance de Gaza n’existe pas ; Israël n’a pas tué des milliers d’enfants ni expulsé un million de personnes de leurs maisons. Le sacrifice de Gaza est totalement occulté, disparu non seulement du discours public mais même des actualités quotidiennes. Pour la télévision israélienne, la seule dans le monde, nous n’avons pas tué d’enfants. Selon les médias israéliens, les forces de défense israéliennes n’ont pas commis le moindre petit crime de guerre.
Une société qui méprise tellement la réalité et qui est si indifférente à la souffrance du pays contre lequel elle a déclaré la guerre entraîne des mutations morales comme celle d’Eiland. On peut être sûr qu’il pense que sa suggestion n’est en rien polluée, que tout ce qu’il a fait a été de faire une suggestion raisonnable qui sert les intérêts d’Israël. Qu’y a-t-il à prendre en considération, d’ailleurs, en dehors de l’intérêt d’Israël ? Le droit international c’est pour les faibles, la moralité pour les philosophes, l’humanisme pour les cœurs sensibles. Et vraiment, qu’est ce qui ne va pas avec une peste à Gaza ? Une seule chose : elle pourrait infecter Israël aussi. En fait, c’est déjà le cas.
Source originale : Haaretz
Traduit de l’anglais par AURDIP