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Génération Gaza

9 octobre 2023. Le porte avion étasunien "US Gerald. R. Ford" mouille au large de Haïfa, à proximité des côtes israélo-libanaises, pas loin de Gaza. Il parait que c'est le plus gros porte- avions du monde : 332 m de long, la propulsion nucléaire. On parle d'un second porte-avions en route. Tout cela a comme un air retro, un air des “ sixties ”.

Ce temps de l’impérialisme EU tout puissant ; celui de la sixième flotte dans la méditerrannée, et de la terreur qu’elle voulait inspirer à toute velléité de remettre en cause l’ordre étasunien. Mais maintenant, il parait qu’il suffirait d’un missile pour couler un porte-avions. Les Ukrainiens, avec tout simplement des drones marins, ont créé bien des problèmes à la flotte russe en mer noire. Les temps ont bien changé. C’est dire le désarroi des États-Unis et comment ils vivent dans le passé. Et l’erreur aussi de tous ceux qui se réjouissent bruyamment, en Israël et en Occident du retour "du gendarme du monde". Toute cette puissance déployée, exhibée pour impressionner le peuple palestinien de Gaza ?

Le président Biden "Inconditionnellement"

18 Octobre 2023. Le président Biden arrive en Israël. Il soutient Israël "inconditionnellement" , affirme- t-il avec force, et il valide tout ce que dit l’État hébreu, y compris sur "les massacres du 7 Octobre", au sujet desquels naissent déjà partout bien des doutes. Mais il reçoit déjà un premier camouflet puisque la réunion prévue à Amman avec le roi de Jordanie, le président Sissi, et Mahmoud Abbes est annulée par ceux-ci, suite à l’indignation arabe et mondiale face aux bombardements de Gaza.

Tout le discours des États Unis repose sur le postulat que le Hamas est une "organisation terroriste". Toute la tactique de l’occident israélien consiste à la réduire uniquement à cela. Les éléments de langage y participent. On ne dira jamais organisation palestinienne à propos du Hamas. On préfèrera parler d’un conflit entre Israël et le Hamas et non d’un "conflit israélo-palestinien". On prendra toujours soin de dire " organisation islamiste", afin d’établir un lien avec "la lutte contre l’islamisme dans les pays occidentaux", et de la déclarer " un seul et même combat" et éviter ainsi d’évoquer la Palestine.

Cela n’a évidemment rien à voir, toute l’histoire du Hamas étant celle d’une organisation palestinienne, d’une lutte nationale de libération, son existence et son action étant centrée sur la Palestine. Mais cela permet de développer la théorie d’une "guerre de civilisations". Cela permet au sionisme, paniqué par son isolement grandissant, d’essayer de rameuter l’opinion occidentale qui l’abandonne graduellement, autour d’une lutte pour la défense aussi de la chrétienté, des valeurs et de la civilisation occidentales.

Les États-Unis, les Israéliens et les Occidentaux qui les suivent disent du Hamas qu’il ne représente pas le peuple palestinien. Ils veulent, en quelque sorte, designer eux-mêmes qui représente la Palestine. Le retour de la cause palestinienne au premier plan de l’actualité, l’effervescence politique et diplomatique dans le monde, tout cela est bien la preuve de la légitimité du Hamas, qui a "fait bouger les lignes". De ce fait, il n’est pas possible de la présenter comme une organisation terroriste. Il est apparu, de façon indéniable, comme au moins une représentation du peuple palestinien et en tout cas de sa volonté de lutte contre l’oppression qu’il subit. L’action du Hamas, on est bien obligé de le reconnaitre, a fait ressurgir avec force la nécessité d’un État palestinien. Elle a même redonné une représentativité au gouvernement palestinien de Mahmoud Abbas. Soudain Israël et les Occidentaux se sont souvenus de son existence, ont proclamé sa légitimité. Ils se sont même souvenus avec nostalgie " du bon vieux temps" de l’’OLP, une organisation elle "politique, laïque et non islamiste, soupirent-ils. Et pourtant, leur mémoire est courte. Ils la qualifiaient de la même manière de "terroriste" et n’ont cessé de la pourchasser et de la massacrer, de la Cisjordanie, au Liban, et de pousser sans cesse, par des massacres, les palestiniens à l’exil, de la Jordanie, au Liban.

21 Octobre 2023 sur LCI. il y a, ce soir-là, Pascal Boniface, politologue connu en France, fondateur et directeur de l’institut des recherches internationales et stratégiques (IRIS). C’est la version soft, s’il en est, de l’occidentalisme. Il dit que le Hamas est une organisation terroriste "par définition" car "il s’attaque, argumente-t-il, sans discernement aussi bien aux civils qu’aux militaires". Il ne songe même pas que cette définition s’applique exactement à Israël.

La mauvaise foi

On reste pantois devant tant de mauvaise foi. Mon père m’avait dit, un jour, voyant mon indignation :" Tu sais, mon fils, l’une des principales leçons que j’ai tirée dans la vie, c’est qu’on ne peut rien faire contre la mauvaise foi". Il m’avait semblé alors qu’il parlait simplement d’un défaut mineur, caractérisé par un manque d’honnêteté dans la controverse. Je n’avais pas compris toute la portée de son message.

Ainsi, le président Biden, la larme à l’œil, dans son intervention, à son retour à la Maison Blanche, soupire qu’il se souvient que Golda Meir, l’ancienne premier ministre d’Israël, lui a dit un jour que "le secret de la combativité des Israéliens est qu’ils n’avaient pas où aller". Faux. L’affaire des otages vient de le révéler : une grande partie, si ce n’est la plus grande partie des israéliens ont la double nationalité et font le va-et-vient entre leur (véritable ?) pays d’origine et Israël. Ce sont les Palestiniens, eux, qui n’ont pas où aller, ballotés depuis 75 ans d’un camp de réfugiés à l’autre ou enfermés dans les territoires occupés.

L’argument que les Palestiniens veulent détruire Israël est une inversion totale. Dans les faits, c’est Israël qui a détruit le pays palestinien en l’occupant. Israël, non seulement ne reconnait pas l’État palestinien, mais il fait tout pour qu’il n’existe pas par une colonisation rampante. L’État israélien, lui, existe, l’État palestinien, non. C’est donc à Israël de reconnaitre l’État palestinien et non l’inverse. L’inversion est totale. Israël en arrive à demander à un État qui n’existe pas de le reconnaitre. On se f... du monde. Les États-Unis aussi se moquent du monde. Qui peut penser sérieusement que l’État palestinien n’existerait pas s’ils l’avaient voulu.

Autre perle de la mauvaise foi : Israël, et la propagande pro-israélienne en Occident, disent que c’est le Hamas qui est responsable des souffrances du peuple palestinien de Gaza. En somme, l’armée israélienne tue les Palestiniens pour les libérer du Hamas. Autres temps mais mêmes mœurs, les collaborateurs du colonialisme français hier, comme ceux d’aujourd’hui d’ Israël, tenaient exactement le même langage. Ils diffusaient en permanence le défaitisme dans les rangs du peuple avec comme argument que "le colonialisme était trop fort, et que ceux qui voulaient entrainer le peuple à l’affronter seraient alors responsables d’immenses souffrances et qu’ils étaient des provocateurs".

Le 8 mai 1945, le jour même de la victoire sur le nazisme, l’armée française commence le massacre de 45 000 algériens. C’est l’horreur : fours à chaux, juste après ceux des nazis à Auschwitz et Dachau, la légion étrangère française jette dans les précipices des gorges montagneuses de Kherrata des centaines d’algériens etc. Le massacre avait été précédé exactement, et souvent mot pour mot, comme pour le Hamas, d’accusations de massacres de la population européenne. Comme pour les indiens d’Amérique, comme pour les Mau Mau du Kenya, comme...comme... Les Etats Unis, en particulier, ont un savoir-faire reconnu en la matière pour habiller les génocides réels par des accusations de violences mensongères ou amplifiées à l’extrême.

La question de la violence

Israël a tout de suite voulu mettre l’accent et le débat sur la violence de l’attaque du Hamas. Cette question de la violence est vieille comme l’Histoire. L’oppresseur préfère toujours orienter le débat sur la violence pour éviter celui sur ses causes, pour détourner l’attention de ses racines.

Il y a en effet dans toute violence, d’où qu’elle vienne, qu’elle soit le fait de l’oppresseur ou de l’opprimé, un contenu inhumain, une absence d’humanité. La violence est le seul terrain où l’oppresseur est à l’aise car elle le met sur le terrain de la réciprocité avec l’opprimé. Les médias occidentaux en usent donc et en abusent. Ils somment leurs interlocuteurs de dénoncer "les crimes du Hamas", ils exigent d’eux de le qualifier de terroriste, fermant ainsi le débat avant même qu’il ne commence. On discutera alors des formes de la violence "barbares ou "civilisées", "primitives" ou "modernes", c’est-à-dire industrielles, avec des avions et des missiles.

Les mouvements de libération nationale ont toujours essayé, en général d’abord, de changer les choses par des méthodes pacifiques. Les opprimés savent en effet très bien que la violence, s’ils s’y décident, leur coûtera extrêmement cher, vu le rapport de force initial. C’est d’ailleurs ce dont les menace l’oppresseur comme l’a toujours fait Israël, promettant aux mouvement de libération palestinien "l’anéantissement". En fait, c’est en définitive l’oppresseur qui détermine les formes de lutte de l’opprimé, pacifiques ou violentes.

Un génocide annoncé

Il s’avère aujourd’hui que le but réel de l’opération Israël est bien le nettoyage ethnique de la bande de Gaza, soit par l’anéantissement physique soit en poussant les habitants à fuir le territoire. C’est la définition même du génocide. Michel Collon signale de façon précise les déclarations génocidaires claires concernant Gaza des dirigeants israéliens, celle du Major Glora Eiland, ancien chef du Conseil de sécurité israélien, celle de Gila Amiel, ministre du renseignement israélien (1). Une étude sérieuse, bien documentée, datant de février 2015, montrait qu’il y avait déjà le projet d’une "solution finale" à Gaza afin de s’approprier les ressources énergétiques gazières qui y avaient été découvertes. (2). Rien à voir donc avec l’attaque du 7 Octobre. Elle est d’évidence instrumentalisée mais l’Histoire réserve toujours des surprises à ceux qui jouent avec le feu.

Le Mardi 24 Octobre 2023, le président Macron se rend en Israël pour aller ensuite en Jordanie, à Ramallah, en Cisjordanie, puis en Égypte. Il s’est très probablement concerté avant avec le président Biden et d’autres dirigeants occidentaux. S’agit-il d’une initiative indépendante de la France comme au temps où elle avait une politique relativement autonome envers le monde arabe, encore marquée par le gaullisme, ou un désir de plaire aux dirigeants des Etats-Unis. Il semble chercher à prouver au président Biden qu’il va réussir là où celui-ci a récemment échoué, à savoir tenir la réunion que n’avait pas pu avoir le président des États-Unis à Amman avec le roi de Jordanie, le président Sissi et le président de l’OLP, Mahfoud Abbes. Du zèle ? Un besoin permanent de reconnaissance ? Le président Macron va et vient entre les trois capitales arabes. Il propose ce que le président Biden lui-même, Israël lui-même, n’auraient osé proposé : "une coalition régionale de lutte contre Hamas comme celle, dit-il, qui avait été constitué contre Daesh". Et il est content de lui. Le monde entier est éberlué par une telle proposition.

Le président Macron vient donc avec une outrance phénoménales demander ni plus ni moins à ces trois chefs d’État arabes de tuer les leurs, de les trahir. Le fait d’oser faire de telles propositions devant eux indique d’ailleurs le mépris dans lequel il les tient. Il les considère d’évidence comme des collaborateurs, des "collabos" disait-on en France à l’époque des nazis. Ces dirigeants auraient pu refuser d’entendre de tels propos qui les humilient. Ils auraient pu se lever, indignés, et mettre fin à une telle conversation qui les souille à jamais. Non, ils sont restés à écouter, en hochant même la tête. Les peuples les ont vu en direct perdre ainsi une nouvelle fois de leur dignité.

La position du président Macron qui consiste à insister sur "le droit d’Israël à se défendre", et donc à appuyer les bombardements de Gaza, et à demander, en même temps, que cela se fasse "dans le respect des droits humanitaires", est une plaisanterie. Elle est d’un ridicule total, et une illustration remarquable du principe de mauvaise foi. Comment assurer le droit humanitaire sans cessez le feu. Le Président Macron, enfonçant le clou, propose d’ailleurs un plan en trois points où l’action militaire contre Hamas est placée en premier lieu, en priorité. C’est donc le sang qui va encore couler à flot à Gaza. Comment peut-il alors verser des larmes sur les victimes civiles ?

Les ancêtres redoublent de férocité

Ces derniers temps des célébrités juives (artistes, écrivains, universitaires) se succèdent sur les plateaux de TV du monde occidental. C’est comme si on les avait engagés à manifester leur solidarité avec Israël. On découvre pour certains, à cette occasion, qu’ils sont juifs. Une sorte de coming-out bizarre. Bien maladroit d’ailleurs. Pourquoi les exposer ainsi à l’accusation de communautarisme ? En France, le nombre de ceux qui répondent à l’appel reste cependant restreint. L’initiative ne semble pas avoir le succès attendu. Le discours est formaté : "pogrom commis par Hamas en Israël même, crimes abominables, bébés décapités, atrocités innommables, du jamais vu depuis la shoah" etc... Ils n’ont vu aucune image mais ils parlent, ils racontent... ce qui leur a été raconté par ceux à qui.. on a raconté. On ressent chaque fois un malaise, celui d’une gigantesque opération d’intoxication visant à légitimer l’assassinat de la population de Gaza, mais celui-là lui, réel, avec des images qu’on voit en direct tous les jours.

Le mardi 24 octobre l’un d’eux, Arno Klarsfeld, un avocat franco-israélien disposant de quelque notoriété médiatique parisienne, proche de l’ex-président Sarkozy qui l’a nommé membre du Conseil d’État, est sur le plateau du soir de LCI. Il justifie, comme c’est ici devenu l’habitude, les bombardements de Gaza par les "atrocités du Hamas", "car il ne s’agit pas, précise-t-il, des gens normaux mais de barbares" et quand on lui fait remarquer l’hostilité de l’opinion mondiale à ce que fait Israël, il répondra cyniquement "qu’Israël a l’habitude de cet isolement, qu’il ne l’impressionne guère et que l’essentiel est qu’il ait à ses côtés la puissance des États-Unis". C’est d’ailleurs un argument de plus en plus employé dans les milieux sionistes. Arno Klarsfeld est le fils d’un homme, Serge Klarsfeld, qui a consacré sa vie à la chasse aux nazis. Lui, le fils de cet homme parle sans état d’âme de bombarder le peuple et les enfants de Gaza. Des grandes manifestations dans certains pays musulmans, il dira, une semaine après, le 30 Octobre, qu’elle sont le fait de " sociétés primitives". Vous avez dit nazis ?

Cet épisode est significatif de l’esprit du sionisme actuel. Ivresse de puissance, arrogance mépris du reste du monde. A la tribune de l’ONU, le représentant d’Israël déchire, une résolution de l’ONU. Le 24 Octobre son ministre des Affaires étrangères apostrophe brutalement du Secrétaire général de l’ONU et, en Israël, on demande tout simplement sa démission. On veut d’évidence l’intimider, lui faire peur. Voilà les procédés.

25 Octobre 2023 - Entendu vers 9h sur LCI : " le président égyptien ne peut trop afficher ses positions sur le conflit actuel par peur de son opinion publique". C’est dit d’une façon ou une autre souvent des chefs d’État arabes entrés dans le processus qualifié "de normalisation". C’est très significatif de la vision qu’a l’Occident de ces dirigeants, de "l’estime" dans lesquels il les tient. Une histoire réelle circulait dans les milieux nationalistes algériens pendant la période coloniale. C’était un de ces notables locaux du colonialisme, un bachagha. Il accueille, en visite dans sa ville, Georges Clemenceau, chef du gouvernement français. Et il lui dit : "M. le Président, c’est mon père qui a ouvert cette ville à la France" . Et Clemenceau de lui répondre : "Monsieur, chez nous, on appelle cela un traitre".

Qu’a donc rapporté l’allégeance de ces dirigeants, le Maroc, les Émirats arabes Unis, l’Égypte, la Jordanie, à travers la dite normalisation des rapports avec Israël ? Une colonisation de plus en plus en grande, des souffrances encore plus grandes, l’apartheid, les ouvriers obligés d’aller gagner le pain de leurs enfants à travers des check points, l’esclavage palestinien. En quelques heures, le Hamas a remis les compteurs à zéro, a reposé avec force la nécessité d’un État Palestinien que tous se sont mis à reconnaitre, même si c’est pour certains du bout des lèvres en attendant que la tempête passe.

Ce même jour du 25 Octobre, vers 11h,. Benjamin Stora apparait sur LCI, un media français. Il est issu de la communauté juive de l’époque coloniale en Algérie. Il est connu comme un spécialiste en France de l’histoire du colonialisme français en Algérie. Il a la réputation d’être un homme de bonne volonté, de médiateur entre les deux rives, au-dessus des positions partisanes. Il parlera d’emblée, comme pour faire patte blanche, "des atrocités inimaginables de Hamas qui, dit- il, sont commises contre des civils", sans songer un instant qu’il en existe, mais multipliées par cent, commises par Israël et son armée. C’est le deux poids deux mesures. C’est, chez lui, le même récit israélien du conflit. Il rend responsable le Hamas de la situation. Ce qui est étrange, c’est que 70 ans après le début de la guerre d’Algérie, lui qui "sait" ce qui s’est passé en Algérie, attribue au Hamas la responsabilité de la détérioration de la situation, comme l’idéologie et la propagande coloniale en Algérie attribuaient de la même manière "à la radicalité et au terrorisme du FLN, la responsabilité des souffrances des populations algériennes". Rien de nouveau donc sous le soleil occidental, même chez des hommes de l’envergure d’un Benjamin Stora, même chez des représentants intellectuels supposés les plus éclairés les plus "objectifs". Il est vrai qu’il est plus facile d’être lucide sur un évènement historique colonial, passé, sur lequel l’histoire a déjà tranché, que sur un évènement colonial en train d’exister. Est-il si difficile d’échapper à son appartenance, à cette identité dominatrice, dont pourtant Stora regrette les ravages. Les ancêtres redoublent de férocité.

Ils ne sont pas comme nous

Au terme de cette revue des différents visages de la mauvaise foi, de ses outrances, et des comportements qu’elles induisent, une question s’impose soudain à moi. Est-ce uniquement de la mauvaise foi au sens de mensonges assumés et conscients ? L’affaire ne serait-elle pas bien plus grave ? Derrière ces cris de guerre d’une violence inouï, derrière ces menaces d’anéantissement de Gaza, y aurait-il simplement une mauvaise foi, un déni de la réalité, une volonté de tromper l’opinion sur la réalité des choses, bref de la propagande ?

Je me souviens d’un évènement que m’avait relaté un ami. Il était entré dans ce qu’on appelle, le "quartier juif" de Paris. Au même moment, les propriétaires et clients d’un restaurant "vident" un algérien barbu et de sa femme vêtue d’un hidjeb. Ils s’étaient probablement égarés là, ne connaissant pas le quartier. Les restaurateurs, prenant mon ami pour un juif, l’invitent chaleureusement à entrer. Ils le font asseoir, aux petits soins avec lui. Ils le prennent à témoin : "Vous les avez vu ? Quelle arrogance, venir manger chez nous ! Il faut que tu comprennes, ils ne sont pas comme nous ."

Tout est là. Derrière cette violence inouïe contre les Palestiniens : "ils ne sont pas comme nous". Il y a cette état d’esprit, qui explique que l’oppression la plus barbare peut être vécue innocemment, légitimement, avec bonne conscience. C’est l’explication du double standard.

Le droit de tuer

Il faut pousser donc plus loin l’analyse. Ils sont en fait sincères. Ils croient à ce qu’ils disent. Derrière un humanisme universel factice , théorique, il y a en réalité comme chez tous les suprématistes, quels qu’ils soient, l’idée totalement intégrée qu’il n’y a d’humanité que d’eux-mêmes.

Je comprends désormais mieux maintenant le fond de la remarque de mon père sur la mauvaise foi, laquelle s’applique tout particulièrement ici au récit occidentalo-israélien sur la question palestinienne. Cette mauvaise foi est "sincère". Ils croient dur comme fer à leurs droits, à leur légitimité de dominer l’autre, de le nier comme Autre. Ils ne veulent pas résoudre la question palestinienne, ils veulent la faire disparaitre, l’effacer.

Ne sommes-nous pas devant cette monstruosité, cette horreur indicible d’une sincérité destructrice, d’une frontière où le vrai et le faux n’existent plus, où on tue de "bonne foi", où on pense de "bonne foi" représenter la civilisation, où on peut dire, le cœur sur la main quelque chose d’aussi aberrant, d’aussi vide de sens, que Hamas est le responsable des souffrances des Palestiniens, qu’Israël bombarde Gaza et tue des milliers d’enfants pour les libérer du Hamas, et que, comme vient de le dire à Ramallah le président Macron, "l’attaque du Hamas est avant tout une catastrophe pour les Palestiniens" ?

On est désormais devant autre chose que de la politique, que de la propagande, que des idées. On est devant l’idée enracinée dans l’idéologie occidentaliste que l’Occident est "le monde civilisé face aux barbares", et que tout ce qu’il fait est donc moral, qu’il est "l’axe du bien". Plus que de la conviction, on est devant une croyance. À ce titre, lorsque le ministre de la défense israélienne parle
"d’animaux palestiniens", on se trompe gravement en pensant seulement à des propos racistes. Ce n’est pas que du racisme. C’est le droit de tuer. Le droit de tuer des animaux nuisibles. Ce dirigeant israélien proclame ainsi la supériorité de l’espèce humaine israélienne, occidentale sur le monde animal et végétal. Ce n’est même pas du nettoyage ethnique, c’est éradiquer – ce mot qu’ils affectionnent – les mauvaises herbes, c’est éradiquer le Hamas afin qu’il ne se reproduise plus.

Il n’a pas cherché à fuir

le 28 Octobre 2023 Israël rappelle ses diplomates de Turquie après le discours du Président Erdogan durant lequel il a apporté son soutien à Hamas et au peuple palestinien de Gaza. Ces trois dirigeants arabes, ainsi que le roi du Maroc, et les Émirats arabes Unis, ont-ils faits au moins la même chose, rompre diplomatiquement avec Israël. On est pris d’écœurement. Comment ne pas comprendre qu’après cela le Hamas acquiert encore plus de représentativité.

31 octobre 2023. L’ONU, le monde demandent un cessez le feu. Les États-Unis y ont mis leur veto. L’Assemblée générale a condamné Israël à une immense majorité. Le premier ministre israélien dit que tout cessez-le-feu, toute trêve humanitaire "serait une reddition face à Hamas". Ont-ils conscience, lui et les États-Unis qui les soutiennent que de tels propos les condamnent à tout jamais, puisqu’ils considèrent que ce qui est humanitaire est une défaite pour eux ?

Nous sommes au 19 ème jour du bombardement de Gaza par Israël. Dans la nuit du vendredi au samedi, ils ont pris encore plus d’intensité. Un roulement monstrueux, continuel.

Nous analysons, nous écrivons, c’est évidemment le minimum que nous pouvons faire. Mais en attendant, nous regardons le massacre d’un peuple, en direct devant nous, devant nos yeux. Nous regardons en spectateurs ces images d’apocalypse. Nous fermons les yeux lorsque parait l’image d’un corps désarticulé d’un enfant de Gaza.

C’est peut-être le plus grand crime, la plus grande humiliation, celle d’amener ainsi des centaines de millions de personnes dans le monde à contempler cela, la gorge serrée, à assister à cette boucherie, à cet exécution de tout un peuple, en vase clos.

La seule chose, on le voit, qui inquiète Israël, les États Unis, les dirigeants des alliés occidentaux d’Israël, c’est la réaction de l’opinion publique arabe et internationale aux massacres de Gaza. C’est tout. Aucune commisération pour les victimes palestiniennes. S’il n’y avait pas l’opinion publique, comme cela s’est passé pendant des siècles de colonialisme, ils n’auraient aucun état d’âme.
Le peuple de Gaza savait le prix terrible qu’il paierait pour sa révolte. Mais il s’est révolté comme l’avait fait le ghetto de Varsovie. Il n’a pas cherché à fuir, il n’a pas cherché se rendre. Au fond, c’est Israël qui est à plaindre. Le peuple palestinien de Gaza lui est admirable.

Jusqu’à quand le monde supportera-t-il cette humiliation du martyr du peuple palestinien ? Jusqu’à quand Israël se blottira dans les bras des États-Unis ? Il faudra bien un jour que cela cesse, que cette protection finisse. Que fera alors Israël ? Quel avenir peut-il avoir ? On peut compter, depuis le XIème siècle, 38 drames historiques majeurs où les juifs ont été expulsés de divers pays européens ( France, Italie, Angleterre, Espagne, Suisse, Russie, Pologne, Autriche) sans compter les pogroms cycliques. Mais jamais d’expulsion d’un pays arabe, d’un pays musulman, sauf après les tensions causées par la création de l’État d’Israël, la Nakba, ou la décolonisation comme en Algérie où, d’ailleurs, les minorités juives sont parties d’elles-mêmes. Quoi qu’il en soit, les souffrances des juifs ont été terribles. Elles ont probablement servi à les manipuler jusqu’à ce qu’ils occupent le territoire de ceux qui ne leur avaient jamais faits de mal, les Palestiniens. Les Étasuniens ont tellement soutenu Israël qu’on ne sait plus qui, des deux, est le serviteur ou le maitre et que cela nourrit les thèses complotistes les plus extrêmes et l’antisémitisme. Le sionisme s’est mis au service des desseins coloniaux occidentaux. Une sorte de syndrome de Stockholm où les juifs ont aimé leurs bourreaux, cette Europe, où est né le nazisme. Jusqu’à quand les juifs accepteront ce rôle de servir de base des États-Unis dans la région ?
L’arrogance d’Israël, sa brutalité extrême envers les Palestiniens ont fait que beaucoup de juifs dans le monde prennent leur distance avec l’État hébreu. C’était déjà très net lors des bombardements cruels de Gaza en mai 2021. Cette barbarie avait suscité la réprobation générale et une immense sympathie dans l’opinion publique mondiale. Au cœur même des États-Unis, la gauche du parti démocrate avait exigé du président Biden qu’il désavoue Israël (3). Tout cela se confirme, aujourd’hui, nettement et prend de plus en plus d’ampleur. Israël, supposé créé, dans le récit sioniste, pour protéger les juifs, apparait à toujours plus de juifs comme un danger pour les Juifs eux-mêmes, pour la communauté juive dans le monde. L’oppression qu’exerce l’État sioniste sur les Palestiniens, ses crimes de masse, le discrédite, empêchent les Juifs dans le monde d’avoir des relations apaisées non seulement avec la masse gigantesque et de plus en plus émergente des musulmans mais aussi avec le monde entier, y compris dans les pays occidentaux.

D’immenses manifestations ont lieu partout dans le monde, pas seulement dans les pays arabes et musulmans, mais sur tous les continents Les universités du monde manifestent pour Gaza, y compris aux États-Unis, comme à Stanford et Harvard. Ce qui frappe dans la mobilisation mondiale pour la cause palestinienne, c’est la mobilisation de la jeunesse. Gaza aujourd’hui est devenue un de ses points de ralliement historique, comme l’avaient été, pour les génération précédentes, les guerres du Vietnam et d’Algérie, les symboles de Cuba, de Che Guevara, la lutte contre l’apartheid. Va-t-il y avoir de même une génération Gaza ?


(1) https://fb.watch/n-iG_0OqW-
(2) https://www.middleeasteye.net/decryptages/les-ambitions-energetiques-disrael-necessitent-une-solution-finale-gaza
(3) https://blogs.mediapart.fr/pr-djamel-labidi/blog/290521/de-la-palestine-et-du-declin-annonce-de-la-communaute-juive-mondiale

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L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige (…)
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La pire chose qui soit jamais arrivée au peuple juif, après l’Holocauste, c’est la création de l’état d’Israël.

William Blum - juin 2010

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