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Fiche d’Information sur la Palestine (11/11) : La violence du couvre-feu

par Sam Bahour

Sam Bahour est un homme d’Affaires Palestino-Americain vivant dans la ville Palestinienne
assiégée de Al-Bireh en Cisjordanie. Il est co-auteur de HOMELAND : Histoires Orales de Palestine
et des Palestiniens (1994)

Le 28 Août 2002 - Al-Bireh/Ramallah

" Oh Mon Dieu, s’il vous plait, dîtes à Sharon d’en finir avec le couvre-feu samedi afin que je
puisse aller à l’école. " C’est avec cette prière que ma fille de 8 ans, Areen, va se coucher
tous les soirs depuis deux semaines. Areen, comme beaucoup d’autres, s’en remet aux puissances
divines pour que cessent les cinq mois de couvre-feu militaire Israélien qui a été imposé sur les
villes, villages et camps de réfugiés Palestiniens en Cisjordanie. Alors que la diplomatie
mondiale de l’ après 11 Septembre délibère patiemment sur la façon d’agir après l’échec des
Accords de Paix d’Oslo, Israël détruit systématiquement les moyens d’existence des Palestiniens,
et en même temps, tout espoir futur de réconciliation entre les deux peuples.

La destruction systématique par Israël de tout ce qui est Palestinien n’est pas nouvelle, au
moins pour les Palestiniens qui ont survécu jusque-là à des décennies de destruction Israélienne.

Toutefois, ce qui est dérangeant, c’est que cette destruction est faite devant la communauté
mondiale. Pour ajouter l’insulte à la blessure, la destruction de nos vies est ouvertement
débattue et acceptée par les institutions politiques et judiciaires israéliennes.

Je vais mettre de côté les assassinats politiques, les attaques militaires qui ont eu lieu quand
Israel a violé les Accords d’Oslo en envahissant les zones contrôlées par les palestiniens, les
F16 et les tanks Merkava de 60 Tonnes qui se sont déchaînés sur les villes Palestiniennes depuis
deux ans maintenant, les milliers de civils Palestiniens et certains responsables élus qui ont
été emprisonnés sans raison et sans jugement, les plantations d’oliviers qui ont été rasées au
bulldozer, les colonies israéliennes qui n’ont jamais cessé d’augmenter. En écartant tout cela et
beaucoup d’autres choses, j’aimerais faire le point sur un aspect moins visible que la
destruction systématique Israélienne des moyens d’existence Palestiniens.

Cela a été nommé fortuitement , dans un euphémisme militaire Israélien, couvre-feu. Il serait
mieux de l’appeler : couvre-feu militaire. Dans un vocabulaire plus légal et en rapport avec les
Droits de l’Homme, cela s’appelle punition collective, et comme l’un de mes correspondants me l’a
fait remarquer, cela serait plus exactement décrit en Occident comme un blocage. Appelez le comme
vous voulez, mais la stratégie incessante d’obliger, sous la menace d’un canon de fusil ou de
tank, 1.5 million de Palestiniens à rester dans leurs maisons est l’une des formes des plus
sophistiquées de la violence, dépassée seulement par l’occupation elle-même.

Celui qui essaierait de justifier l’occupation israélienne dirait que le couvre-feu est moins
brutal que les autres moyens utilisés régulièrement par l’armée Israélienne, et donc ne pourrait
en parler en termes aussi sévères. Pour la défense de mon argumentation, laissez-moi vous
expliquer, spécialement à mes voisins Israéliens, ce que fait le couvre-feu à chaque personne,
aux familles, aux entreprises et aux écoles. Je laisserai chaque lecteur avoir ses propres
conclusions sur ce que le Monde pourrait attendre des Palestiniens dans les prochaines années, en
laissant seuls les réfugiés palestiniens.

D’abord, un couvre-feu militaire Israélien n’est pas un couvre-feu limité comme celui appliqué
certaines fois aux mineurs dans différentes villes américaines. Quand Israël applique un
couvre-feu sur les Palestiniens, il est total, vaste et imprévu. Les entreprises et les écoles
ferment, les bureaux du gouvernement ferment leurs portes, les pharmacies sont également fermées,
et les services médicaux sont, en tout et pour tout, inaccessibles au Public

Comment cela se passe ? Cette totale fermeture est concrétisée par des jeeps israéliennes, des
tanks et des véhicules blindés qui arpentent quelques rues Palestiniennes avec des haut-parleurs
avertissant la population de rentrer chez eux dans un affreux accent arabe. Cette annonce est
régulièrement accompagnée par des tirs au fusil automatique et l’explosion gaz lacrymogène et de
grenades assourdissantes dans les rue commerçantes pour être sûr que la population a bien compris
le message. Si la fermeture a lieu a midi, en six minutes au plus la ville devient une ville
fantôme. Si la fermeture est annoncée tôt le matin (entre 5 et 7 heures), comme cela arrive de
plus en plus souvent, la ville ne se réveille jamais.

Pendant le couvre-feu ou blocage, les familles sont confinées dans leurs maisons. Avec 50% des
Palestiniens vivant avec une moyenne de 7 personnes par famille, et dont 91% de ces familles
vivent dans des conditions de surpopulation - plus d’une personne par pièce (source :
www.pcbs.org) — les parents et les enfants deviennent rapidement énervés. Ajoutez à cela
qu’après environ deux ans de destruction sans répit des Israéliens, l’économie Palestinienne est
en sévère récession et des milliers de familles ne sont pas capables de stocker assez d’aliments
de base pour les faire tenir jusqu’à la prochaine levée du couvre-feu. Le revenu par personne a
baissé de 12% en 2000 et de 19% supplémentaires en 2001. De plus, la proportion de la population
Palestinienne vivant sous le seuil de pauvreté (2 $ US par personne et par jour) est actuellement
estimée à 45-50% (source : www.worldbank.org) !

Ces chiffres saisissants n’effraient pas les leaders Israéliens qui continuent d’envoyer leurs
soldats détruire nos vies. Les Israéliens, les soldats tout comme les individus, en sont arrivés
à l’absurde croyance que plus les Palestiniens seront battus, plus de villes et de civils
Israéliens seront en sécurité. C’est un triste état d’esprit, tout aussi triste que penser
qu’envoyer des bombes sur l’Iraq promouvra les intérêts américains à domicile et à l ’étranger.

Après un jour, ou deux, ou trois - ou dans le cas de Naplouse, 66 - d’être enfermé pendant toute
la journée, les nerfs deviennent à vif. Physiquement, le manque d’excercice commence à se
ressentir et les muscles deviennent ankylosés. Même quand le couvre-feu est levé pour quelques
heures, on n’a pas le temps de penser à quoi que ce soit d’autre que la constitution de stock de
nourriture pour le prochain blocage et courir travailler dans l’intention de faire le travail
d’une semaine en 4 ou 6 heures. Personnellement, j’ai deux hernies discales qui m’obligent à 
marcher régulièrement pour faire de l’exercice. Pendant cinq mois, j’ai été emprisonné chaque
soir par le couvre-feu Israélien et ainsi marcher dans les rue de Ramallah, en s’imprégnant de la
douce brise des soirées d’été, est limité à nos souvenirs.

Le prix que je paie est un courant électrique persistant qui brûle l’arrière de mes deux jambes
et me réveille de nombreuses nuits par des crampes douloureuses. Mes deux filles, Areen et
Nadine, 2 ans, commencent à témoigner du manque d’exercice par leurs ossatures. Ma femme, Abeer,
miraculeusement est capable de rester et de s’adapter alors qu’elle doit s’occuper de la vie de
la famille en effectuant les corvées de ménage tout en continuant à jouer avec nos filles afin de
faire attention au cas où un tank ou une jeep viendrait gronder dans notre rue, et en rationnant
notre ravitaillement au cas où la levée intermittente du couvre-feu serait annulée.

D’un point de vue professionnel la situation est extrêmement désolante. Bien que nous
connaissions l’agitation d’être employé quand le couvre-feu est levé, à l’intérieur nous savons
bien que nous ne pourrons pas tenir longtemps. La grande majorité des entreprises ont perdu leurs
clients et beaucoup ont déjà perdu leur capacité à garder leurs employés. L’activité primordiale
est de rester actif dans l’économie, en dehors de l’effort national envers le pays et les
salariés, avec l’espoir, qui diminue progressivement, que la fin de l’occupation est proche. Pour
ceux qui sont assez chanceux d’avoir encore leur travail, la plupart ont les jours de couvre-feu
déduits de leurs salaires. Ces sommes déduites aux travailleurs diminuent leur salaire de 10 à 
50% en fonction des mois. Un nombre en augmentation de Palestiniens qui ont la possibilité de le
faire ont choisi, ou ont été forcés, de quitter la Palestine pour chercher un emploi ailleurs. Au
début de l’intifada, cela était limité à certains individus ; aujourd’hui des compagnies entières
sont en train d’envisager le déplacement de leurs entreprises. Pour ceux d’entre nous qui
restent, l’aspiration naturelle à une construction de carrière a été remplacée par une lente
reconnaissance que nous prenons rapidement du retard dans nos professions et que, peut-être, nous
ne pourrons jamais le rattraper - une réalisation personnelle décourageante, spécialement pour
ceux qui ont connu l’opulence.

Pour les étudiants, la réalité insupportable que les écoles et les universités seront encore
pertubées une nouvelle année est inconcevable. Pendant 36 ans d’occupation Israélienne, les
palestiniens se sont enorgueillis d’avoir cet atout qui, même pendant les difficiles périodes
d’occupation, pouvait leur changer les idées. Traditionnellement, en Palestine, l’éducation
passait en second devant la vie de famille. Les Universités se sont arrangées pour conserver des
classes et des étudiants diplômés malgré de nombreuses années de crise. Les garderies, les écoles
élémentaires et les écoles supérieures n’ont jamais affronté des conditions qui provoquaient
leurs fermetures prolongées ou les forçaient à d’importantes interruptions. Mais aujourd’hui,
avec le calme apparent de la politique du couvre-feu, tout a changé. Comme le décrivent les mots
de ma fille, même les primaires ressentent la dégradation du système éducatif qui est occasionnée
par les couvre-feux. Pour ajouter des complications supplémentaires à la politique de
destruction, les couvre-feux sont accompagnés de fermetures, qui sépare chaque centre de
population Palestinienne des autres, en installant des barrages routiers et des check-points
contrôlés par les militaires israéliens entre les étudiants et leurs écoles ou leurs universités.

Certains villages ont actuellement vu des Bulldozers Caterpillar Israéliens détruire les routes
menant à l’intérieur et à l’extérieur du village et remplacées par des monticules d’ordures. Ces
villages Palestiniens, lors des 24 derniers mois, se résument à des prisons à ciel ouvert, dignes
de l’utilisation du mot blocage au lieu de couvre-feu. En clair, il est maintenant de notoriété
publique en Palestine qu’une génération entière a été condamnée par Sharon à l’ illétrisme, ou au
mieux, à l’ignorance.

En dehors de la crainte inculquée à chaque famille par encore une autre phénomène qui est la
fouille de maison en maison par l’armée israélienne, qui peut arriver jour et nuit lorsque le
couvre-feu est installé, c’est de cette façon que nous avons vécu depuis cinq mois. Si la plus
jeune de mes filles illustre les effets du couvre-feu sur les enfants Palestiniens, quand ses
premiers mots - "dabbabeh" (tank), "naqelet jonnood" (véhicule blindé), "tayyara" (avion de
combat) - reflètent le défi auquel nous aurons à faire face pour réhabiliter une génération
entière. Une lumière d’espoir peut-être, c’est qu’elle appelle certaines fois les soldats
Israéliens "Ammou" (oncle).

Ceux d’entre nous qui n’ont pas perdu un membre de leur famille dans cette folie sont chanceux.
Ceux d’entre nous qui ont encore intactes leurs entreprises ne peuvent pas se plaindre. Ceux
d’entre nous qui peuvent revendiquer d’avoir toujours un emploi sont reconnaissants envers ces
investisseurs qui restent engagés en Palestine. Ceux d’entre nous qui sont chanceux, ne peuvent
pas se plaindre et sont reconnaissants deviennent rapidement une minorité en Palestine.

Dans la rue, on dit que nous serons sous couvre-feu/bouclage 24h/24h pendant les prochaines fêtes
Juives. Alors que mes voisins israéliens préparent leur saison de fêtes, je me demande s’il se
joindrait à la prière nocturne de ma fille pour l’ouverture de son école. Entre-temps, nous
continuons de construire notre Etat entre les couvre-feux.

Informations transférées par l’Association France Palestine Solidarité de Nantes (02-51-72-01-23 et amfp.erm@libertysurf.fr)


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