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Choses vues en Palestine cet été

Et pendant qu’à Gaza...

Notre amie et collaboratrice Colette Berthès a passé un mois à Hébron cet été.
Elle nous rapporte ici des choses vues et entendues sur le terrain, des scènes de la vie quotidienne sous l’occupation...
Le Grand Soir.

20 Juillet- 20 Août : un mois de "vacances" à Hébron, et dans les villages proches (d’où l’on entend, dans le calme des nuits, les bombardements sur Gaza), avec des visites à Bethléem, Jérusalem, désertes- pas de touristes et de rares pèlerins cette année- un mois de vacance d’été un peu particulières, un peu « schizophrènes » comme l’est la vie quotidienne des Palestiniens en ce moment ( en ce moment seulement ?) en Cisjordanie occupée : télévision allumée en permanence et en direct sur Gaza via les chaînes arabes, et tandis qu’on boit le café et le thé, que les enfants jouent, que le repas mijote, sous les bombardements, à Gaza, gens qui courent dans les rues, leurs enfants serrés contre eux ou traînés par la main, des enterrements d’enfants, de nourrissons que l’on dirait endormis, enveloppés dans un minuscule drap blanc ou un drapeau palestinien, maisons éventrées et ruines, écoles de l’UNRWA surpeuplées, journalistes au bord des larmes et de la peur, témoignages innombrables et terribles...

Ici, les discussions sur Gaza se mêlent à la vie de famille, au travail, aux tracasseries quotidiennes, parfois risibles, parfois humiliantes ou cruelles de l’armée d’occupation, aux visites de deuil ou de naissance, aux mariages et aux avanies des colons.

Cela donne des échanges surréalistes que l’on attrape dans la rue, dans les boutiques, de vive voix ou au téléphone :

- Quarante morts hier à Gaza, que Dieu les damne !
- Tu as vu cette gamine, toute sa famille morte dans l’explosion de la maison, elle a été envoyée dans l’air et est retombée sur un olivier !
 Comment va ton père ? Le diabète, il faut bien le soigner, c’est grave...au fait mon cousin Ahmed a reçu un ordre de démolition pour son abri de jardin, là haut sur la colline, une abri qui n’a même pas de toit ! Juste une bâche en plastique !
- Ce matin tôt, le chek point à l’entrée de la rue Shouhada a brûlé...
- Non, je ne bouge pas de la maison, la mairie donne l’eau dans le quartier, et comme elle ne vient qu’une fois par mois, il faut être là pour ouvrir les vannes et lancer le moteur.
- Qu’est ce que tu fais là ? Je croyais que tu travaillais au camp d’el Faouar ? - Oui mais on a fermé, le centre de loisirs, un gamin de dix ans vient d’être tué devant sa porte par un soldat israélien, ça va exploser !
- Tu as vu le prix des haricots verts ? 8 shekels le kilo, il n’y a pourtant pas d’embargo par ici...au fait, chez Bravo, ils n’ont plus de produits venant d’Israël, boycott pour eux aussi !

Et comme cela, chaque jour, toute la journée, tous les jours, avec ou sans Gaza. Gaza et ses deux mille et quelques morts, sa douzaine de milliers de blessés, auxquels tous ici pensent, chaque jour, constamment et s’ils l’oublient un moment - il faut bien vivre, aimer les siens, travailler, avoir ses propres soucis - ils y sont vite ramenés.

Mais que faire ? Plaindre Gaza, prier pour Gaza, maudire l’Etat juif, son armée, les colons et faire des dons ? Les associations, les œuvres charitables, les mosquées, les partis, les syndicats, tous collectent, l’argent donné est enregistré, un reçu est donné à chacun qui spécifie la hauteur du don et qu’il est fait pour le peuple de Gaza. Les locaux associatifs, les cours des mairies, sont remplies de palettes portant des centaines de bouteilles d’eau, des caisses de lait en poudre, des paquets de couches, des couvertures, de vêtements, de produits d’hygiène et autres biens de premières nécessité. Tout est regroupé, convoyé puis distribué par l’UNRWA.

Que faire d’autre encore ? On manifeste, on proteste, à Hébron comme dans toute la Cisjordanie, chaque vendredi en début d’après midi, chaque jour d’ obsèques de martyr aussi, tantôt les drapeaux jaunes du Fatah dominent tantôt les verts du Hamas, il y a aussi les noirs du Djihad, mais moins nombreux. Quelques morts, des centaines de blessés, peu nombreux en regard de ce qu’il se passe à Gaza : Nader Idriss, 42 ans, soutien d’une grande famille, blessé à la tête par balles mort le lendemain (plutôt sympathisant Hamas si on s’en réfère aux drapeaux verts plus nombreux le jour de ses obsèques) , et celui de ce jeune manifestant, habitant le quartier (militant du Fatah, les drapeaux jaunes dominent) tué lors de la grande manifestation du vendredi...et d’autres, à Ramallah, Naplouse, Jénine et ailleurs., une vingtaine ..manifestations pacifiques, mains nues contre grenades lacrymogènes, bombes assourdissantes et grosses balles en métal enrobé de caoutchouc qui tuent fort bien. Manifestations organisées qui partent, avec dix, quinze, vingt mille hommes de tous âge, de Ras Ejjourra, en haut de la ville pour descendre vers la vieille ville, vers Bab- ezzouia, entrée du souk, de la colonie et des rues fermées, interdites aux Palestiniens.

Ou rassemblement spontané quand on apprend qu’il y a eut un ou des morts, ici ou là. Tout se sait très vite. Comme un rite, à Bab ez-zaouia, les gamins, neuf, dix ans qui ramassent et entassent des pierres, les voitures qui font un détour, les passants qui se dépêchent de finir leurs commissions puis les ados qui arrivent ensuite, visages cachés par des passe montagne ou des keffiehs, parfois un simple tee shirt, ils font brûler palettes et pneus, jettent les pierres, à la main ou à la fronde, sur les murs du check point ; et immanquablement, l’armée qui sort de sa caserne, armes en main, premiers tirs, espacés puis de plus en plus nombreux, l’air devient irrespirable entre les pneus qui brûlent et les tirs de grenades, les premiers blessés tombent, les ambulances sont pleines, les médecins mobilisés... chaque vendredi et souvent le samedi depuis le début de l’offensive sur Gaza, et parfois le soir aussi, au coucher du soleil.

Et chaque jour, en Cisjordanie, qu’il y ait ou non des « incidents », ce sont des arrestations, des maisons détruites - le 18 août celle des familles des jeunes gens accusés avoir enlevé, près de Hébron, les trois jeunes colons - , des attaques de colons, des journalistes expressément visés, - à Hébron, le caméraman de Télé Palestine s’est fait descendre, une balle dans le genoux, il filmait une fin de manifestation devant l’entrée de la colonie, le gilet pare-balles de la jeune journaliste qui faisait le reportage a été déchiré par un autre tir : ils étaient pourtant visibles et reconnaissables. Des fuites côté israélien ont laissé entendre qu’il fallait, sans les tuer, se débarrasser des journalistes.

A Jérusalem, il y a eu aussi, quelques manifestations conjointes, Israéliens juifs et arabes pour demander l’arrêt des massacres à Gaza et, en face, des contre manifestants agressifs et violents. Dans cette ville, du moins à l’ouest et dans les nouveaux quartiers juifs construits sur des terres palestiniennes, il vaut mieux ne pas avoir l’air arabe, encore moins parler cette langue, surtout si l’on est seul ! R., jeune palestinienne qui vit côté israélien et parle couramment l’hébreu au point qu’on l’a prend toujours pour une juive, me montre sur son téléphone portable, des photos d’un ami, le visage tuméfié, évanoui, filmé par un de ses copains, resté à l’écart, puis dans son lit d’ hôpital : il marchait dans la rue en discutant au téléphone avec des amis, en arabe ; plusieurs jeunes israéliens l’ont pris à parti, injurié et tabassé, il est gravement blessé. Elle a aussi filmé une scène qui se répète plusieurs fois par jour devant le centre commercial moderne où elle travaille : un gros homme qui, me dit-elle, parle l’hébreu avec un fort accent américain, un nouvel émigré, passe en hurlant des obscénités et des injures aux deux ou trois mendiants palestiniens dont un aveugle et une vieille femme qui depuis des années font la manche devant le centre ; et non seulement il hurle et menace mais ce jour là il prend les piécettes de monnaie de l’aveugle données par les passants et les jette à terre. C’est un jeune israélien religieux, costume noir et blanc et boucles longues - qui ramasse l’argent et les rend à l’homme. La veille, « l’américain » avait bousculé et renversé la vieille dame. Les agressions se comptent par dizaine chaque jour, les parents, souvent, vont en voiture, le soir récupérer leurs enfants au travail pour qu’ils ne prennent plus les transports en commun. La police intervient rarement.

En parallèle, injures, menaces, jets de pierres sont parfois réservés aux juifs qui traversent les quartiers arabes. Mais ici, la police et les rondes de l’armée réduisent la gravité des incidents. Un appel par téléphone et les forces de sécurité arrivent. Eux aussi, sans doute, ont peur. La haine monte des deux côtés.

A Hébron comme ailleurs, la vie continue, les commerces sont ouverts, les bureaux et les entreprises aussi même si le travail est ralenti pendant les vacances. On repère les patrouilles militaires de loin, les points de contrôle volants, certains changent de trottoir, de rue, mais la plupart continuent leur route.

Résister c’est aussi ça, faire comme s’ils n’étaient pas là, comme si on ne les voyaient pas, frôler les uniformes et les armes des six ou sept jeunes soldats qui parcourent le souk, surarmés, surprotégés l’oeil aux aguets, faire comme s’ils étaient invisibles ; bien sûr on surveille du coin de l’oeil, mais sans interrompre ce que l’on faisait, un incident peut survenir à tout moment. Ne pas lever les yeux vers les tours, les caméras, les terrasses entourées de barbelés derrière lesquels des silhouettes armées font les cent pas. Passer les check points de la vieille ville sans tourner la tête sauf si on est arrêté pour présenter ses papiers ou ouvrir un sac. Faire comme si... en ayant toujours à l’esprit les images de Gaza.

Au fait vous connaissez la dernière « histoire drôle » qui a couru cet été en Israël : « Savez vous pourquoi il n’y aura pas de rentrée scolaire cette année à Gaza ?
Réponse : Parce qu’il n’y aura plus d’enfant ! ».

Il y a encore des enfants à Gaza mais sous les bombes, plus de cinq cent sont morts, pour ceux là il n’y aura plus jamais de rentrée scolaire, qu’en sera-t-il pour les autres ?

Colette Berthès

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Christophe OBERLIN
L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige (…)
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Le plus troublant pour moi était la soif de meurtre témoignée par les membres de l’US Air Force. Ils déshumanisaient les personnes qu’ils abattaient et dont la vie ne semblait avoir aucune valeur. Ils les appelaient "dead bastards" et se félicitaient pour leur habilité à les tuer en masse.

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