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Bandera a organisé le massacre de juifs, de Polonais et de communistes.

Décodex, sed lex

Non seulement le quotidien de référence français ne nous laisse aucun répit mais il ne connaît pas la nuance. Juste le noir et le blanc. C'est tantôt l'un, tantôt l'autre. Aujourd'hui, il javellise le collaborateur nazi Stepan Bandera, héros national pour une bonne partie de la population ukrainienne.

À peine avons-nous mis le doigt sur la propagande anti-chinoise à laquelle se livre le Monde que celui-ci nous sert sur un plateau de nouveaux exemples du peu de crédit qu’on devrait lui accorder. Dans deux articles consécutifs, on nous peint un portrait plein de complaisance du collaborateur nazi et génocidaire Stepan Bandera, idole des groupuscules néo-fascistes qui ont pris le contrôle de l’Ukraine.

Les journalistes y font tout leur possible pour minimiser la thèse d’une Ukraine infestée par le néo-nazisme et la haine anti-russe et ainsi invalider l’un des motifs qui ont poussé la Russie à intervenir militairement en Ukraine.

Un bref rappel sur le « héros » national ukrainien à ces artistes de l’escamotage est utile.

* * *

Entre 1941 et 1944, l’Ukraine a été l’un des principaux théâtres de la Shoah. Près d’un quart des Juifs exterminés par le régime nazi l’ont été en Ukraine, notamment dans ce que l’on nomme l’Holocauste par balles. Un million et demie de personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, ont été abattues et jetées dans des fosses communes qu’on les avait souvent forcées à creuser elles-mêmes. Toutefois, les nazis n’auraient pu en massacrer autant sans le concours de collaborateurs ukrainiens zélés au premier rang desquels Stepan Bandera.

Sans l’aide volontaire de nombreux non-Allemands, les nazis n’auraient pas pu réussir à anéantir des millions de juifs pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Dans l’ouest de l’Ukraine, les objectifs politiques des nazis ont coïncidé avec ceux des organisations nationalistes locales pour produire une alliance qui a abouti au massacre de dizaines de milliers de civils innocents. (B.F. Sabrin, in Alliance for murder : the Nazi-Ukrainian Nationalist partnership in genocide)

En 1929, Bandera devient membre de l’Orhanizatsiya ukrayins’kykh natsionalistiv (OUN). Cette Organisation des Nationalistes Ukrainiens a été fondée la même année par Yevhen Konovalets et Andryi Melnyk, deux vétérans de la Première Guerre Mondiale. À la suite de luttes intestines et de l’assassinat de Konovalets par le NKVD russe, Bandera prend le contrôle d’une partie de l’organisation qui se sépare alors en deux factions : l’OUN-B (« B » pour Banderivtsi) et l’OUN-M (« M » pour Melnykivtsi).

Les deux entretiennent très tôt des relations avec le régime nazi qui, non sans arrière-pensées manipulatrices, les finance au travers de l’Abwehr et met à leur disposition des camps d’entraînement. En 1941, le Congrès de l’OUN déclare les Juifs ennemis de l’Ukraine et « principaux soutiens de la Russie ». Avant même l’arrivée et l’occupation de l’armée allemande, les deux OUN et le bataillon Nachtigall constitué d’Ukrainiens de l’OUN intégrés à la Wehrmacht procèdent à des meurtres de masse et des pogroms contre les populations juives et polonaises. Ils continueront par la suite en assistant activement les Einsatzgruppen dans l’extermination des Juifs d’Ukraine.

Malgré les tensions entre Bandera et le régime hitlérien, nées de la contradiction entre son indépendantisme et l’occupation nazie de facto, il appellera de sa cellule l’UPA, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, fondée alors qu’il est emprisonné en Allemagne, à combattre aux côtés des Allemands contre la Russie soviétique qu’il hait par-dessus tout.

Cette dissonance cognitive chez Bandera résume la dichotomie ukrainienne actuelle. Bandera a été à la fois collaborateur des nazis, l’invasion de la Pologne ayant fait d’eux ses alliés naturels, et parce que leurs projets génocidaires s’accordaient à son propre antisémitisme, et en lutte pour l’indépendance de l’Ukraine, autant vis-à-vis de la Pologne honnie que de l’URSS exécrée, et finalement à contre-courant des objectifs d’Hitler dont il ne fut qu’un pion.

Ces divisions seront mises en lumière soixante ans plus tard lorsque les combattants de l’OUN et de l’UPA seront élevés au rang de héros de l’Ukraine par le président Viktor Iouchtchenko. Celui-ci était parvenu au pouvoir en 2005 au terme de la Révolution Orange, ce « Maïdan » avant l’heure, qui contestait les résultats des élections présidentielles en faveur de Viktor Ianoukovitch, son adversaire pro-russe. L’Ouest ukrainien, d’où étaient originaires la plupart des membres de l’OUN, considère ces réhabilitations comme justes et voient en ces hommes des héros de l’indépendance, tandis que l’Est de l’Ukraine, de culture et de langue russe, s’indigne, avec raison, de la sacralisation de criminels de guerre et de meurtriers de masse.

L’Euromaïdan de 2014 verra le néo-nazisme larvé en Ukraine ressortir du placard. Les groupuscules nostalgiques du Troisième Reich et adorateurs de Bandera prennent les armes, tirent avec sur leurs opposants à Kiev, assassinent les manifestants pro-russes à Odessa et appellent au meurtre de Russes avec la bénédiction de Washington qui encore une fois semble tirer les ficelles. Ils ont pour nom Pravy Sektor et Svoboda pour les plus connus, ils arborent le drapeau rouge et noir de l’OUN-B et des portraits de Bandera. Et jusqu’à aujourd’hui, ils ont érigé à travers le pays des dizaines, peut-être des centaines de monuments, de stèles, de statues à la gloire de génocidaires.

* * *

Le titre d’un article paru dans la rubrique des Décodeurs du Monde le 8 janvier fait de Stepan Bandera un mythe et nous annonce des révélations sur la réalité de sa collaboration avec les nazis.

La suite ne se fait pas attendre : cette collaboration pourtant attestée par les historiens et par les faits devient, à l’aide d’un conditionnel de rigueur, un narratif des « partisans du Kremlin », c’est-à-dire vous, moi, la plupart des lecteurs du Grand Soir et autres médias alternatifs, bref de tous ceux qui remettent en question la version atlantiste martelée partout et tout le temps.

Sous sa plume, Bandera passe effectivement de la triste réalité au mythe, à la légende. Effacées ses sympathies et celles de ses fanatiques pour le Troisième Reich, gommés les crimes contre l’humanité, balayée la complicité active de génocide. Bandera n’est plus que celui qui « luttait par tous les moyens pour libérer l’Ukraine des jougs successifs de la Pologne et de l’Union soviétique. » Ne conserver de Bandera que son combat pour l’indépendance de l’Ukraine, c’est dans le même ordre d’idée que le « ça en valait la peine » de Madeleine Albright lorsqu’on lui demandait de mettre dans la balance les centaines de milliers d’enfants irakiens morts des suites de la guerre menée par les États-Unis et les gains qu’ils en tirèrent. C’est tout ce qu’on veut : idiot, mensonger, malhonnête mais certainement pas du journalisme.

L’auteure reproche en outre à Moscou d’ériger Bandera en repoussoir... Méthode dont elle use elle-même quelques lignes plus loin en pensant, je suppose, que la mention de François Asselineau, lui aussi « ami du Kremlin », suffira à convaincre le lecteur et la lectrice décérébrés du Monde.fr... Je suppose aussi que c’est pour cela qu’elle se croit obligée de préciser qu’Asselineau est souverainiste, comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse... Moi qui ne suis pas mordu du monsieur personnellement, c’est quand même un ancien haut-fonctionnaire et ses analyses sont d’un autre niveau que celles d’une pigiste passée auparavant par un site d’« informations » dont le nom seul est un crachat au visage du lectorat et du journalisme (1).

Le 6 janvier, un autre article paru dans le Monde.fr nous présente Bandera comme un « antihéros » dont le « regain de popularité » serait, ô surprise, une réaction à la propagande russe... Ce qui est faire passer les causes pour les effets, et inversement. Ainsi, selon ce correspondant du Monde à Kiev, la glorification de Bandera ferait suite à l’invasion russe. C’est factuellement et historiquement un mensonge éhonté. Comme il est dit plus haut, la popularité de Bandera en Ukraine n’a jamais cessé. Elle a été bridée par la réalité des crimes commis durant la Seconde Guerre Mondiale, probablement étouffée par l’appartenance de l’Ukraine à l’URSS au sein de laquelle de tels penchants étaient, et c’est le moins qu’on puisse dire, mal vus. Beaucoup de collaborateurs et criminels de guerre ukrainiens ont d’ailleurs échappé à la justice en immigrant clandestinement aux États-Unis, comme un nombre certainement non négligeable d’officiers et d’officiels nazis, où ils ont pu refaire leur vie voire immortaliser leurs actions passées par l’édification de monuments, à l’instar de ceux qui prolifèrent aujourd’hui en Ukraine. C’est une chance qu’hélas n’ont pas eue les milliers de cadavres de Juifs, de Polonais et de Communistes qui jonchent le sous-sol ukrainien. Encore que pour les derniers, le crime soit généralement moins grave et pour reprendre à une autre sauce le célèbre aphorisme que le Général Sheridan a adressé à un chef amérindien : un bon Communiste est un Communiste mort. Plus sérieusement, comme il est dit et démontré plus haut, c’est l’Euromaïdan qui a été le déclencheur d’un coming-out généralisé du culte de Bandera et d’une multitude d’autres collaborateurs et génocidaires ukrainiens, pas l’incursion russe.

Quant à appliquer le concept d’antihéros à cette figure controversée de l’histoire ukrainienne, c’est problématique car ça ressemble pour le moins à une entreprise de ravalement de façade du bandérisme.

Qu’est-ce qu’un antihéros ?

C’est un héros qu’on aime détester, un personnage au passé sombre et à la psychologie chaotique, criminel lui-même ou agissant aux frontières de la loi. Ce n’est pas systématiquement le méchant de l’histoire. Le cinéma et la littérature en regorgent : Mandrin, le Comte de Monte-Cristo, Jesse James, Bonnie and Clyde, le dictateur de Chaplin ou plus récemment le Joker de Todd Phillips. Bandera n’est pas un antihéros. C’est un criminel de guerre qui a promu, organisé et supervisé l’extermination des Juifs d’Ukraine, le massacre de Polonais et de Communistes.

* * *

Cette campagne de blanchiment n’est pas propre au Monde. Nombre d’autres médias et de titres de presse européens s’y adonnent. Le but étant clairement, comme je l’ai dit au début, de discréditer la thèse d’une Ukraine rongée par le néo-nazisme, « a land of the Not-Z » (2) comme le faisait remarquer avec humour un commentaire sur le site de Moon Of Alabama. Elle n’est pas sans lien avec la criminalisation du Communisme par les instances européennes, le mettant de la sorte à équivalence avec le nazisme et la récente résolution du Parlement européen de faire de l’Holodomor, cette famine ayant eu lieu en Ukraine entre 1932 et 1933, un projet génocidaire de Staline, alors même que l’historiographie diverge sur le sujet. Fi donc ! Il faut d’abord absoudre les haines ukrainiennes pour le grand voisin russe. Quand le politique se mêle d’histoire, ce n’est jamais bon et c’est ici une tentative de réécrire l’histoire, d’en imposer une version au forceps dans les esprits, à contre-courant de la tâche dévolue aux historiens.

C’est donc de facto un travail de propagande auquel recourt le Monde afin de justifier un agenda occidental devenu totalement incompréhensible.

Le quotidien, artisan du Décodex, cette instance de vérification des faits, de distribution de certificats de bonne conduite médiatique, de validation et d’authentification de l’info, ment, brode, mystifie, induit en erreur de manière systématique ses lecteurs lorsqu’il s’agit de les guider dans les ornières de la narration atlantiste et européiste. Le journal qui se targue d’avoir approximativement 500 000 abonnés (une paille !) totalise près de 21 millions de lecteurs mensuels, parmi lesquels on imagine une énorme majorité de non-abonnés n’ayant donc pas accès à l’entièreté d’un article. Par ailleurs, il n’est pas absurde de présumer que dans un environnement habitué à la brièveté et au zapping permanent, une part significative du lectorat du Monde et d’autres titres de presse payants va rarement plus loin que la lecture des manchettes. La technique est donc simple et usée jusqu’à la corde, comme on a pu l’observer sur d’autres sujets : des titres et sous-titres trompeurs et ambigus, des textes ponctués d’exemples invérifiables, de libertés prises avec les faits, de simplifications excessives de l’Histoire et d’analyses à l’emporte-pièce que contrediront peu de lecteurs en allant les corroborer eux-mêmes avec d’autres sources. Le Monde et la presse occidentale dominante qu’on nomme mainstream participent ainsi à la fast-foodisation de l’information qu’un accès tarifé, ouvrant peut-être vers à peine plus de nuances, réserve à une élite économique et les met, déontologiquement et judiciairement, à l’abri d’accusations de désinformer leur lectorat.

Le résultat se révèle atroce pour la vérité.

Si le Décodex fait loi, la loi ne s’applique ni à lui ni à ses créateurs.

Xiao PIGNOUF

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Sources sur Bandera :

Heroes and villains : creating national history in contemporary Ukraine, David R. Marples.
Alliance for murder : the Nazi-Ukrainian Nationalist partnership in genocide, B.F. Sabrin

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(1) Buzzfeed

(2) Not-Z, jeu de mots qui fait référence à la mise au ban de la lettre Z en Ukraine puisqu’elle symbolise l’intervention russe, se prononce [notzi] ce qui se rapproche de la prononciation anglaise de « nazi », [natzi]

EN COMPLEMENT PAR LGS

https://www.legrandsoir.info/rions-en-lisant-l-immonde.html

»» https://taistoixiao.wordpress.com/2023/01/20/decodex-sed-lex/
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