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De Gandrange à Caracas

Ce 8 avril 2008, deux brèves publiées par le quotidien économique « La Tribune » à une minute d’intervalle résument mieux que bien des discours théoriques les choix auxquels la mondialisation contraint les gouvernements.

En France, le géant de la métallurgie Arcelor-Mittal annonce la destruction nette de 451 postes sur son site de Gandrange en Moselle. Magnanime, il propose d’investir 30 millions d’euros pour « restructurer » l’usine, c’est à dire la ramener de 1108 salariés à 657, en assurant une sorte de service minimum. Dans le même temps, le groupe dispose d’un plan d’investissement en Inde d’un montant de 20 milliards sur les prochaines années. Pour les usines encore implantées en Europe, comme celle de Gandrange, la fin de l’histoire est donc à priori écrite.

Confronté à cette destruction du tissus industriel, le gouvernement français tente à grand peine de boucher les trous et de donner le change dans les médias. Un projet de coopération entre l’Etat et Arcelor-Mittal sur un programme de recherche et d’innovation est à l’ordre du jour, pour un montant de 20 millions d’euros. Peu de temps auparavant, M. Nicolas Sarkozy avait déclaré être « prêt à prendre en charge tout ou partie des investissements nécessaires » pour maintenir le site en activité, bien évidemment sur fonds publics, et dans une perspective de reprise par un nouvel actionnaire. Fidèle à sa tradition libérale, ce gouvernement s’accommode donc facilement des dépense publiques lorsqu’elles bénéficient directement au secteur privé. En rapprochant les préoccupations de l’énergéticien Poweo de celles d’ Arcelor-Mittal, qui vont réfléchir ensemble à la création d’une nouvelle centrale au gaz, l’Etat s’est également transformé en négociateur bénévole pour le compte des entreprises. Et pour clore cette aventure, le Président de la République rencontrera « dans les semaines qui viennent » M. Lakshmi Mittal, propriétaire du groupe et quatrième fortune mondiale avec la bagatelle de 45 milliards de dollars au compteur, afin de finaliser ces projets.

Au cours de leur entrevue, il est peu probable que les deux hommes aborderont la question des cimenteries vénézueliennes. Pourtant, cette autre information délivrée par La Tribune mériterait une plus grande attention. Le gouvernement de ce pays vient en effet d’annoncer qu’il nationalisait l’industrie du ciment, en prenant le contrôle de filiales des groupes Lafarge, Holcim et Cemex, les trois leaders mondiaux du marché. Après avoir repris l’industrie pétrolière aux multinationales, Hugo Chavez suit donc la même logique avec cet autre secteur hautement stratégique.

La juxtaposition de ces deux nouvelles est particulièrement intéressante. Lafarge, multinationale française, produit 1,6 millions de tonnes de ciment au Vénézuela alors que, dans le même temps, la France est importateur net à hauteur de 1,5 millions de tonnes. Lafarge oriente ses investissements en fonction des profits qu’il espère en retirer, et non en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Arcelor-Mittal réorganise sa production à l’échelle mondiale pour maximiser lui aussi son taux de profit grâce à des salaires plus bas et des réglementations environnementales plus laxistes. Voilà la mondialisation sous son vrai visage. Face à un désastre qui ne fait que s’amplifier, M. Nicolas Sarkozy accompagne le mouvement, sert les fonds publics aux grands groupes sur un plateau, et se soucie en premier lieu de repousser tout licenciement trop massif à plus tard. Si possible, après les élections de 2012. A l’exact opposé, M. Hugo Chavez donne les moyens à l’Etat de contrôler des outils de production stratégiques pour répondre aux besoins du peuple vénézuelien plutôt qu’à des objectifs de rendement financier. Les pays de l’Union européenne, qui voient leur industrie et leurs services partir dans les contrées où la main d’oeuvre est moins chère et où il est possible de polluer allègrement, devraient regarder du côté du Vénézuela. Et comprendre que pour lutter contre une mondialisation qui préférera toujours le pire, la reprise en main de l’économie par le politique est une absolue nécessité. Dans la position de Nicolas Sarkozy, Chavez aurait sans doute nationalisé Gandrange. Et il aurait bien fait.

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