RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
22 

Ces Français qui voulaient un Roi

Macron a bien réfléchi : « Tout le système social, on met trop de pognon, on déresponsabilise, on est dans le curatif ». Bien inspiré, Henry de Montherlant écrivit : « La plupart des hommes recèlent en eux-mêmes leur propre caricature. Et cette caricature ressort un jour, à l’improviste, sous le coup de l’événement. »

Tous les cinq ans, maintenant, lors d’une grande et profonde respiration démocratique, les Français se choisissent un monarque républicain, dans une immense communion nationale, en souvenir d’une grandeur à jamais révolue. C’est le circus maximus avec force effets spécieux de com’ . Les méchantes langues diront que les Français sont comme « les Grenouilles qui demandent un Roi » (1). Ensuite, ils replongent, sombrent à nouveau dans l’apathie, l’indolence, l’indifférence, dans le gris du quotidien, avec la conviction erronée du devoir citoyen accompli.

Après avoir opté pour un énergumène du genre excité, ils jetèrent leur dévolu sur « un roi tout pacifique », du moins en apparence, sur un « président normal ». Ce roi de l’anaphore, même s’il usa de l’état d’urgence pour une tartufferie internationale (une COP 21 sans lendemain), fut semblable à ce soliveau jeté parmi les batraciens de la fable de La Fontaine.

Le peuple se lasse très vite : il faut dire que de nos jours tous les produits sont si rapidement frappés d’obsolescence. Donc ce peuple a aspiré à du neuf, à du vrai changement. Il pouvait croire à l’apparente jeunesse d’un nouveau prétendant, tout frais émoulu de ses classes ministérielles, jamais adoubé par la moindre élection : ce peuple allait être servi (servir, terme de vénerie : achever).

La révolution était en marche : le monde des affaires avaient présenté, promu son dévoué, son affidé, son fondé de pouvoir. Il restait à convaincre, à fabriquer le consentement, et à l’introniser. Il y a le chef d’orchestre (le faiseur de roi) et les musiciens : ces derniers sont les médias, étymologiquement les moyens, ils sont majoritairement là pour divertir et pour « façonner » (étymologie de « informer »), ils « travaillent » de concert l’opinion publique, ils jouent leur partition.

Passé la théâtralisation inaugurale, les travaux ont pu rapidement débuter. Au diable le permis de déconstruction : l’innovation n’attend pas. Le public s’est choisi librement ou non un monarque sans connaître son « projet », comme si la « belle gueule » du porteur de projet suffisait à séduire les électeurs. Au diable le contenu pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ?

C’est ainsi que ceux qui voulaient un roi et ceux qui n’en voulaient pas se sont fait dépouiller par petites touches : c’est cela la théorie du ruissellement, les petits gains sordides forment les grandes fortunes. Le « projet » était pourtant clair : il s’agit d’en finir avec le programme, « le programme du CNR ». C’est cela la révolution au sens astronomique : un mouvement elliptique qui ramène au point de départ.

Petit rappel, toujours utile pour une parfaite vaccination :

« II - mesures à appliquer dès la libération du territoire

Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre en œuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques groupés au sein du CNR proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la Libération : [...]

4) Afin d’assurer :

 l’établissement de la démocratie la plus large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement du suffrage universel ;
 la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ;
 la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ;
 la liberté d’association, de réunion et de manifestation ;
 l’inviolabilité du domicile et le secret de la correspondance ;
 le respect de la personne humaine ;
 l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi ;

5) Afin de promouvoir les réformes indispensables :

a) Sur le plan économique :

 l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ;
 une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des États fascistes ; [...]
 le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques ;
 le développement et le soutien des coopératives de production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales ;
 le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.

b) Sur le plan social :

 le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail ;
 un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ; [...]
 la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ;
 un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ;
 la sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier ;
 l’élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs, [...]
 une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; [...]

d) La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires. » (2)

Ce programme bien qu’écrit en 44 reste toujours pertinent !

Comme si le temps était compté, les prochains chantiers de démolition se profilent déjà, c’est quand le fer est encore chaud qu’il faut le battre. Il faut en finir avec « le système de retraite par répartition et solidaire » (3), pour mieux imposer un système par points à l’égalité trompeuse (3). Il faut aussi tailler dans le gras. Les pauvres sont obèses plus qu’à leur tour. Ils votent moins. Pourquoi se gêner ? Bercy préparerait 7 milliards d’économies sur les minima sociaux (Le Canard Enchaîné du 6 et 13 juin). Dans le même temps, le « verrou de Bercy » préserve l’anonymat, épargne les intérêts des « évadés fiscaux ». Il est des délits qui sont réprimés avec dureté et publicité. Et il en est d’autres qui se règlent dans la douceur et le secret des officines.

Comme tout l’édifice repose sur la propagande (et non pas sur les résultats, des résultats toujours plus inégalitaires), il devient utile, en guise de diversion, de faire la chasse à ce qui pourrait nuire, à ce qui sera taxé de fausses-nouvelles : c’est l’hôpital qui se moque de la charité et qui monte en fiacre. En effet, les secrets des affaires et de l’État sont promus à un bel avenir, quand dans le même temps, les lanceurs d’alerte sont toujours exposés... In fine, il n’est de vérité qu’officielle.

Chaque étape, chaque succès incitent au chantier suivant. Mais le problème avec les marches triomphales, c’est l’hybris, c’est l’ego démesuré. Ils vous coupent irrémédiablement du monde, des réalités. Ils vous aveuglent, vous isolent. Les succès faciles rendent audacieux. Et c’est déjà l’heure du premier faux-pas, puis les suivants, par excès d’assurance, deviennent échecs. Et la belle mécanique promise à un bel avenir s’emballe. Malgré l’emballage, le pur produit de la com’ finit par décevoir, par agacer, voire par dégoûter (d’autant, qu’il a été choisi, en partie, par défaut). Et « les clients » finiront par comprendre qu’ils se sont fait gruger.

Déjà, les mauvaises fréquentations s’enchaînent : les vigoureuses poignées de main avec un psychopathe avant le camouflet économique, comme les franches poignées de main avec un criminel de guerre avant le prochain massacre, sont révélatrices d’une absence affligeante du sens de l’Histoire.

L’illusion de grandeur s’évanouit, comme si tout n’est qu’apparat factice.

Cinq ans, c’est long. Cela en laisse du temps, du champ pour déconstruire les conquis sociaux, les idéaux...

La morale, car il en faut bien une, n’est pas celle de La Fontaine (« Que votre premier roi fut débonnaire et doux, De celui-ci contentez-vous, De peur d’en rencontrer un pire. »). Elle serait plutôt : quand on se prétend libres, quand on se rêve démocrates, il ne faut jamais déléguer ses pouvoirs sans faculté de révoquer ses représentants à tout moment. Signer un blanc-seing valable cinq ans n’est que pure folie.

PERSONNE

(1) Les Grenouilles qui demandent un Roi, La Fontaine :
http://www.lafontaine.net/lesFables/afficheFable.php?id=47

(2) Les jours heureux, https://www.humanite.fr/politique/les-jours-heureux-le-programme-du-conseil-national-542380

(3) Macron lance le chantier du big-bang des retraites, L’Humanité du 1 juin 2018 : https://www.humanite.fr/macron-lance-le-chantier-du-big-bang-des-retraites-656192

URL de cet article 33487
   
Ukraine : Histoires d’une guerre
Michel Segal
Préface Dès le premier regard, les premiers comptes-rendus, les premières photos, c’est ce qui frappe : la « guerre » en Ukraine est un gâchis ! Un incroyable et absurde gâchis. Morts inutiles, souffrances, cruauté, haine, vies brisées. Un ravage insensé, des destructions stériles, d’infrastructures, d’habitations, de matériels, de villes, de toute une région. Deuil et ruines, partout. Pour quoi tout cela ? Et d’abord, pourquoi s’intéresser à la guerre en Ukraine lorsque l’on n’est pas (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Informer n’est pas une liberté pour la presse, mais un devoir. La liberté de la presse a bien une limite : elle s’arrête exactement là où commence mon droit à une véritable information.

Viktor Dedaj

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.