Vous vous demandez pourquoi « Cuba a pris le risque d’autoriser les avions américains à survoler son territoire, sous prétexte d’accélérer les secours ». Non, pas son territoire : son espace aérien, ses couloirs, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, me semble-t-il. Cette décision est à vos yeux quelque chose d’ « inutilement dangereux » ? Pour l’ « inutilement » quelqu’un vous a déjà répondu. Je vous demandais, moi : dangereux en quoi ?
A vous lire, ce geste de Cuba modifierait quasiment le rapport de forces entre l’Empire et l’Amérique latine : vous nous rappelez que Cuba, Haïti, etc., ne sont qu’à quelques encablures des USA… Et je vous rappelle, moi, que Cuba n’est pas à quelques brasses de l’Empire ; non, elle est à quelques millimètres ! Vous oubliez la base navale de Guantánamo, qui avant d’être ce lieu de non-droit pour prétendus ennemis des USA, est un lieu de « non-droit international » pour Cuba même depuis 1959. L’Empire est déjà sur place à Cuba, il n’a pas besoin de couloirs aériens. Et la base militaire de Guantánamo est presque en face d’Haïti. Vous voyez donc que le geste de Cuba ne change rien au rapport de forces et à la géostratégie caribéenne ou latino-américaine par rapport à l’Empire…
Après ça, que l’Empire, sous le déguisement du souriant Obama, ait repris du poil de la bête par rapport à son arrière-cour historique, nous en convenons. Et l’arrivée au pouvoir de la droite pure et dure au Chili fait bien son affaire, assurément. Après l’arrivée d’un autre millionnaire au Panama, voilà quelque mois, et le coup d’État au Honduras, il est évident que l’agonie d’Haïti va maintenant comme un gant à l’Empire. Mais là encore, il faut peser les choses : l’Empire était déjà en Haïti, sous couvert, hélas, de l’ONU (inutile de rappeler comme l’organisation internationale y est arrivée), et sous couvert, re-hélas, de troupes brésiliennes et autres qui ont entériné en quelque sorte le coup de force étasunio-français contre Aristide.
Ceci dit, il est évident que l’installation en Haïti de dix mille soldats yankees dont nul ne sait quand ils se retireront (si tant est qu’ils le font un jour), après l’ « accès » à sept bases colombiennes offert par le laquais Uribe, permet à l’Empire de marquer un nouveau point, et que l’ALBA, qui est le noyau dur de la résistance anti-impérialiste (mais aussi, dans le fond, anticapitaliste), et donc le premier visé, va devoir jouer fin.
Et là , je fais confiance aux dirigeants de l’ALBA qui ont su faire preuve à ce jour de beaucoup d’intelligence et de pugnacité (comme à Copenhague, où, même si la grand presse transnationale se garde bien de le dire, ce sont eux qui ont fait avorter la manoeuvre de l’Empire).
Et puis, l’Amérique latine n’est plus tout à fait la même. Vous savez, quand on a vécu (au sens de subi, souffert) l’Amérique latine des années 70, 80, et bonne part de 90, on se dit et on sait que rien ne pouvait être pire que ça ! Elle s’est sortie de cet enfer. C’est par comparaison avec ce passé-là qu’on ne peut être qu’optimiste. Elle ne sera jamais plus jamais l’arrière-cour de Washington, comme elle le fut pendant toute la prétendue « Guerre froide », et c’est là un changement absolument capital. Washington n’a plus autant les coudées franches, même s’il a encore les moyens de faire du mal.
Et là encore, la Révolution cubaine est à la pointe du combat, sa résistance depuis 1959 étant pour beaucoup dans cette modification du rapport de forces entre les deux parties du continent. De crainte, ici, non, aucune…
Pour conclure, juste une petit anecdote bien significative : hier, interviewé par les envoyés spéciaux de la TV cubaine, un médecin chilien travaillant auprès de ses collègues cubains dans les hôpitaux de campagne que ceux-ci ont installés, avoue : nous, nous regagnons nos pénates à la tombée de la nuit (la ville est sans lumière) parce que notre gouvernement, pour des raisons de sécurité, ne nous permet pas de rester sur place ; les seuls à le faire, à dormir sur les lieux, ce sont les Cubains parce qu’ils ont toute la confiance de la population…
Sans commentaires. Les médecins cubains, je le rappelle, sont sur place depuis onze ans, pas depuis mardi dernier. Pas seulement du personnel sanitaire, mais aussi des enseignants et bien d’autres coopérants…