Hier, j’ai eu une conversation, disons-le, philosophique avec le subtil Jean-Pierre qui vend les journaux dans son kiosque et, donc, en sait long sur l’humanité. Même L’Humanité Dimanche où je me suis exprimé cette semaine, bien que n’étant pas, c’est évident, communiste. Il m’a demandé si j’avais vu Michel Onfray. Je lui ai demandé où. A la télévision, bien sûr. Je lui ai dit que je n’avais pas la télévision et que je ne la regardais pas parce que je n’en avais ni le temps ni l’envie et que ce que pouvait dire Michel Onfray de Freud m’intéressait autant que de savoir si Benoît XVI porte des slips ou des caleçons. Que certainement, personne n’écrirait jamais rien, c’est sûr, sur Michel Onfray. Il m’a été objecté que c’était un philosophe. J’ai remarqué que c’était problématique. Les gens qui se consacrent à la philosophie lorsqu’ils écrivent, écrivent des livres de philosophie et sont généralement assez avisés pour avoir compris que ces livres-là ne sont pas destinés aux gens qui regardent la télévision. Ils ne font pas de gros tirages.
D’après ce que je sais de Michel Onfray, il fait plutôt du chiffre en avançant des évidences présentées comme des paradoxes qui étonnent les incultes notoires. Tout l’art des faux livres de philosophie est de faire croire aux gens qu’ils sont intelligents et qu’ils ont raison de ne se soucier que de leur ego, de leur ventre, de leur bas-ventre, et du niveau de leur compte en banque. Les « philosophes » de la télévision ressemblent aux « philosophes » au sens du XVIIIe siècle : des gens qui péroraient dans les salons pour dire toutes sortes de fadaises, par exemple que les nègres n’étaient pas des hommes, un discours qui plaisait à leurs amphitryons, généralement enrichis par le commerce des Africains. La reconnaissance du ventre en quelque sorte. Dans l’Antiquité, on les appelait des sophistes. Nourrissez moi, et je vous dirai des choses que vous avez besoin d’entendre ou bien encore : nourrissez moi et je vous dirai des choses qui feront oublier celles qu’il est nécessaire que vous n’entendiez pas.
Au XXIe siècle, les salons sont virtuels et servent toujours à la même chose : à vendre les écrans publicitaires, ou, si on supprime la publicité, l’idéologie du gouvernement. Bref, la télévision est certainement utile, mais pas à moi ni à vous non plus. Pendant que des gens faisaient la queue pour acheter, qui le Herald Tribune, qui Hola édition espagnole (mais qui, alors, achète donc toutes ces revues de cul ?) il m’a été naturellement demandé ce qu’était un philosophe.
J’ai dit que c’était quelqu’un qui cherchait principalement la vérité et que la télévision n’avait pas pour fonction de répondre à ce genre de demandes, même si certains programmes ne sont pas dépourvus de qualité. Ensuite, laissant Michel Onfray et sa contre histoire de la philosophie, dont je me contrefiche, Jean-Pierre m’a demandé ce qui me préoccupait le plus en ce moment. Ou s’il ne me l’a pas demandé, j’ai fait comme s’il m’avait posé cette question parce que je me la suis posée moi-même. C’est une technique. Donc j’ai répondu.
La question qui me préoccupait le plus sur le moment, c’était que des préjugés aussi absurdes que le racisme puissent prospérer à ce point dans un siècle qui passe pour très supérieur aux précédents, mais qui ne me semble au fond guère plus avancé sur ce point comme sur bien d’autres.
Ce qui m’inquiète, c’est de voir que l’homme qui ramasse les poubelles - devinez sa couleur - ait été surpris à dormir dans le local à poubelles, justement, parce qu’il travaille de trois heures du matin à vingt trois heures le soir, tout en gagnant moins que ceux qui gagnent plus en travaillant moins.
Ce qui me donne du souci, c’est de voir des gens en principe éduqués passer plus de trois heures chaque jour à regarder des images animées, des simulacres, débitant des sottises ou des bouffonneries.
Ce qui me préoccupe c’est que le progrès technique ne facilite nullement la recherche de la vérité et de l’équité, deux critères qui permettent de différencier un homme d’une bête ou d’une machine. Toute avancée qui permettrait de mieux agir en fonction du vrai, du bon, du beau, créée toujours de nouveaux problèmes qui nous en éloignent. La télévision, par exemple, qui pourrait être utile si elle n’était aux mains de personnes sages et bien intentionnées n’est-elle pas une machine à abrutir, à encenser des gnomes débitant des idées choses fausses qui produisent de l’injustice.
Puis j’ai pris mon journal, que je n’ai pas encore lu, j’ai salué Jean-Pierre et l’ai abandonné à d’autres clients qui, certainement, ont « vu » Onfray, mais n’ont ni l’envie ni le temps de discuter avec le kiosquier.
Claude Ribbe
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