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Roger Faligot. La rose et l’edelweiss. Ces ados qui combattaient le nazisme, 1933-1945. Paris : La Découverte, 2009.

Les guerres exacerbent, révèlent. La Deuxième Guerre mondiale fut, à bien des égards, un ensemble de guerres civiles. Les guerres civiles exacerbent et révèlent atrocement. Ceux qui militent, qui défendent des causes, tombent toujours du côté où ils penchent. Ainsi, le 11 novembre 1940, des lycées parisiens font le coup de poing avec des jeunes fascistes et saccagent les locaux de leur mouvement, Jeune Front et la Garde française. Quelques mois plus tôt, les nervis de Jeune Front avaient détruit les magasins juifs des Champs-Élysées « pour bien montrer leur sympathie envers la cause nazie triomphante. » Le fondateur du mouvement, Robert Hersant, futur grand patron de presse, « s’est fait une belle renommée en giflant une petite vendeuse juive. » Hersant quittera ce mouvement en octobre 1940 pour rejoindre le secrétariat général à la jeunesse du régime de Vichy et diriger le centre de jeunesse Maréchal-Pétain de Brévannes, dans le département de Seine-et-Oise. Il sera condamné en 1947 à dix ans d’indignité nationale avant d’être un élu (de gauche) dès 1956.

Spécialiste de l’Irlande et des services secrets, Roger Faligot a publié cette année un gros ouvrage consacré à tous les jeunes qui, en Europe, se sont levés contre le nazisme et le fascisme. Le mérite de ce livre est de sortir de l’oubli, voire de révéler l’existence de mouvements d’adolescents extrêmement courageux qui se sont créés, souvent avant ceux des adultes, pour mener le combat de la liberté.

L’auteur replace toujours les actions de ces résistants de la première heure dans le contexte politique, et aussi culturel qui les a vu naître. Il pointe les élans magnifiques, tout comme les ambiguïtés, les reniements.

La propagande avait joué un rôle important dans de nombreuses guerres depuis fort longtemps. Souvenons-nous de la guerre des Boers, du « bourrage de crânes », expression inventée pour la circonstance durant la Grande Guerre et qui aura comme conséquence la création du Canard Enchaîné. Mais avec la guerre de 39-45, la propagande guerrière est devenue une industrie. Raison pour laquelle Faligot s’intéresse aux loisirs culturels des jeunes (et des moins jeunes).

Hitler vouait un véritable culte au film Blanche Neige et les sept nains. Il l’a visionné pendant toute la guerre jusqu’à ses derniers jours. Blanche Neige (créée par les frères Grimm) représentait pour lui l’archétype de la beauté aryenne, alors que la sorcière, avec son nez crochu, incarnait le mal, donc le Juif. Le culte était partagé par bien des nazis : dans le camp de Birkenau, des officiers SS faisaient dessiner des personnages de Blanche Neige à des enfants juifs en sursis afin de décorer les chambres de leurs propres enfants. Walt Disney avait d’autant plus la sympathie des hitlériens qu’il était proche du parti nazi américain, hostile à l’intervention des États-Unis dans la guerre. En 1941, après l’entrée en guerre des États-Unis, Disney changera son fusil d’épaule et réalisera des films de propagande pour l’armée de son pays. Pendant vingt ans, dans le grand bureau de Disney, trônera un portrait de Mussolini, dédicacé de sa main. Après la guerre, Disney dénoncera, pour communisme, trois de ses anciens employés à la Commission spéciale sur les activités anti-américaines.

Alors que Mickey Mouse et Blanche Neige triomphent partout dans le monde, il est un animal qui, en France, défend la cause de l’humanisme, de l’anti-fascisme : Babar l’éléphant, de Jean de Brunhoff , qui combat la dictature des rhinocéros. La nièce de Brunhoff, Marie-Claude Vaillant-Couturier, dirigera l’Union des jeunes filles de France, tandis que son fils, Mathieu, animera le combat de la jeunesse communiste dans les lycées de l’ouest de la région parisienne.

A la même époque, en Italie, un tout jeune futur grand dessinateur rejoint les jeunesses fascistes. Il s’agit d’un gosse élevé dans le ghetto juif de Venise où s’était installée sa mère, alors que son père était un cadre de la police coloniale fasciste chargée d’écraser les indépendantistes d’Abyssinie. En 1941, Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese, assiste au retour de l’empereur Hailé Sélassié dans Addis-Abeba libérée. Sa famille est envoyée dans des camps de prisonniers. Le père tombe malade et meurt en captivité. Hugo et sa mère sont rapatriés par la Croix-Rouge en 1943. Dans une Italie divisée par la guerre, Venise est sous le contrôle des Allemands. Pratt est arrêté par les SS qui le prennent pour un espion sud-africain. Il est enrôlé dans la police du Reich dépendante de la Waffen SS ; il s’échappe au bout de dix-huit jours et se met au service des Alliés, comme interprète et organisateur de spectacles jusqu’en 1946. Une drôle de vie, dont le créateur, cultivant l’ambiguïté, dira : « J’ai treize façons de la raconter et je ne sais pas s’il y en a une de vraie, ou même si l’une est plus vraie que l’autre. »

En avril 1943, à Bruxelles, la jeunesse belge est très partagée. D’un côté, il y a le concert de Django Reinhardt (né en Belgique), au Palais des Beaux-Arts, qui joue devant des milliers de zazous avec l’autorisation des autorités d’occupation qui, dans le même temps, déportent ses frères tsiganes pour les exterminer. De l’autre, au Palais des Sports, on fête de jeunes fascistes flamands qui vont se battre en URSS sous l’uniforme de la Waffen SS. Pendant ce temps, quelques résistants au courage exceptionnel tentent de sauver des Juifs de la déportation. En Belgique, la population juive était de 70000 personnes en 1940. 32000 seront exterminés. Ce qui n’empêchera pas un jeune et talentueux dessinateur de publier en 1942 une bande dessinée mettant en scène deux Juifs se frottant les mains en écoutant un vieux fou annoncer la fin du monde : L’Étoile (jaune ?) mystérieuse

« Tu as entendu, Isaac ? La fin du monde ! Si c’était vrai !

- Hé hé, ce serait une bonne bedide avaire, Salomon !

- Che tois 50000 francs à mes vournizeurs…

A l’époque, précise Faligot, Hergé « ne cache pas la sympathie qu’il éprouve pour les milieux fascistes belges, et notamment son ami le Führer Léon Degrelle. Ils sont si proches que certains commentateurs assurent que Degrelle a servi de modèle pour le personnage de Tintin. » Il est vrai que la bonne bouille ronde du wallon nazi rappelle étrangement celle du célèbre personnage.

Il y a mille façons de résister. Par le contrepet : brailler « Métropolitain ! » pour « Pétain mollit trop ! ». A la manière du brave soldat Schweik sous la domination austro-hongroise, en se moquant, idiot mais rusé. Les Alsaciens lèvent leur bock de bière en direction des soldats allemands en lançant Ein Liter ! pour Heil Hitler ! Et puis, il y a ceux qui prennent le taureau par les cormes. Le 8 mai 1941, Marcel Weinum, âgé de seize ans, fondateur de la Main noire (un mouvement de gosses qui s’est lancé dans l’action dès décembre 1940), décide de détruire la voiture du Gauleiter de Strasbourg (sans attenter à la personne du dignitaire nazi). Constitué sans le soutien d’aucun adulte, spécialisé dans la contre-propagande, le sabotage, et le renseignement, ce groupe se compose en tout et pour tout de 25 jeunes de 14 à 16 ans, pour la plupart apprentis et fils d’ouvriers. Presque tous agissent à l’insu de leurs parents. Le 19, Weinum est arrêté, condamné à mort. Il écrit à ses parents une série de lettres magnifiques (les conseillers techniques de Sarkozy n’ont jamais entendu parler de ces lettres). Le 14 avril 1942, il est décapité après avoir déclaré à l’aumônier : « J’ai eu toute une longue année pour me préparer à cet instant, je ne crains rien. » Un seul ouvrage a été consacré à Weinum et à la Main noire.

Un mot sur l’admirable Jacques Lusseyran. En mars 1941 (il a 17 ans), il organise les Volontaires de la liberté. Il est en classe de philo à Louis-le-Grand. Ca garçon est aveugle depuis l’âge de huit ans. Lui et ses camarades vont réussir à diffuser des centaines de milliers de tracts et journaux clandestins. En 1943, il tente de passer un concours de l’Éducation nationale. Le ministre Abel Bonnard lui ordonne d’interrompre les épreuves car l’Éducation nationale ne recrute pas les infirmes. En janvier 1944, il est déporté à Buchenwald. Il survivra au bloc des invalides car on aura besoin de lui comme interprète en anglais. A la Libération, l’administration l’empêchera de tenter d’intégrer l’École normale supérieure et de passer l’agrégation en vertu de la législation pétainiste toujours en vigueur. Son fils fut, un temps, l’un de mes camarades de classe. C’était un garçon très fin et très modeste.

Autres lycéens au destin tragique évoqués par l’auteur : Renée Lévy, petite-fille d’un ancien grand rabbin de France, professeur de lettres classiques au lycée Victor-Duruy, arrêtée en octobre 1941, décapitée à la prison de Cologne deux ans plus tard ; Madeleine Michélis, professeur au lycée de jeunes filles d’Amiens (qui porte désormais son nom), arrêtée par la Gestapo en 1944 et étranglée lors d’un interrogatoire ; Pierre Benoît, 17 ans, FTP, arrêté en 1942 par la police française, livré aux Allemands après avoir été torturé.

Certains jeunes résistants bénéficieront de la " rectitude " de la législation des occupants. André Kirschen abat un militaire allemand le 10 septembre 1941. Arrêté le 9 mars 1942 par la police française, il est torturé puis livré à la police allemande. Au terme de son procès, il entend, médusé, qu’il n’est condamné qu’à 10 ans de prison car le code allemand ne prévoit pas la peine de mort pour les moins de 16 ans !

En Allemagne, en 1942, on estime que 5% de jeunes font partie de mouvements opposés au régime. A Cologne, la Gestapo a fiché 3000 jeunes appartenant au mouvement des Pirates, qui luttent de concert avec des militants communistes. Les fortes têtes repérées sont envoyées dans des Wehrertüchtigungslager, des camps spéciaux encadrés par des SS. On connaît bien désormais la lutte du mouvement d’inspiration chrétienne La Rose blanche (http://www.legrandsoir.info/article7346.html), impulsé par Hans et Sophie Scholl, guillotinés en février 1943 pour une distribution de tracts dans leur université. Après la guerre, l’Allemagne Fédérale aura quelque peine à célébrer à leur juste valeur les actes héroïques de tous ces jeunes. En revanche, elle octroiera une pension à la veuve du maréchal Goering. S’il est, par ailleurs, un sujet encore tabou en Allemagne, c’est bien celui des déserteurs de la Wehrmacht. Ils sont toujours considérés comme « traîtres au regard du droit pénal. »

Situation différente et originale au Danemark. Hitler a accepté qu’aient lieu des élections libres dans ce pays. Tous les partis peuvent concourir, à l’exclusion du Parti communiste, pourtant marginal. Les nazis danois récoltent seulement trois sièges, les sociaux-démocrates 66, les conservateurs 31, les agrariens 28. La participation est de 90%. Ces élections vont stimuler la résistance danoise, d’abord chez les jeunes, puis chez les adultes. En août 1943, le gouvernement danois donne sa démission. La marine saborde la plupart de ses navires. Le roi et la reine sont placés en résidence surveillée. Les communistes et les Juifs sont raflés et envoyés en camp de concentration. « Lorsque les nazis veulent imposer l’étoile jaune et constituer un ghetto, les Danois manifestent, les évêques vitupèrent l’occupant, le roi propose de s’installer dans ce ghetto et de porter lui-même l’étoile de David. En octobre 1943, des jeunes regroupés autour de Jorgen Kieler permettent à 7000 Juifs d’éviter la déportation. Parmi eux Niels Bohr (plus tard l’un des pères de la bombe atomique américaine).

Les camps de concentration ont connu d’authentiques épisodes de lutte contre les nazis. 700 tentatives d’évasion à Auschwitz. Dans le ghetto de Varsovie, des jeunes vont résister par la photographie. En photographiant, et surtout en subtilisant des négatifs ou des épreuves à des soldats allemands. Afin que le monde sache. On a tous en mémoire ce cliché d’un membre d’un Einsatzgruppe qui s’apprête à tirer sur une femme juive avec son enfant dans les bras, tandis qu’accroupis plus loin des gens creusent leur propre tombe. Le SS tireur sera jugé en RDA et pendu en 1969.

En Italie, les femmes tiennent toutes leur place dans la résistance. L’auteur rappelle l’histoire de la jeune juive Ginetta Sagan (" Topolino " , la petite souris), entrée dans la lutte à l’âge de seize ans. Sa mère a été déportée à Auschwitz, son père, militant anti-fasciste, fusillé en 1943. Elle fait passer plusieurs centaines de Juifs en Suisse. En février 1945, elle est arrêtée par des miliciens de la Brigade noire, torturée, violée. Un jour qu’elle « désespère dans son cachot, un gardien jette par le judas une boîte d’allumettes dans laquelle se trouve un papier plié avec ce mot : "Courage ! ». En souvenir de la flamme qui lui a permis de lire ce mot de soutien, elle concevra le logo d’Amnesty International.

En conclusion, Faligot regrette que les récits sur les " armées des ombres " fassent si peu de cas de la lutte de ces moins de vingt ans. Henri Noguères consacre 13 lignes au Lycée Buffon sur les 3500 pages de son Histoire de la Résistance en France. Il qualifie les futurs fusillés de « potaches ». Pourquoi, demande l’auteur, « y a-t-il si peu de compagnons de la Libération parmi les très jeunes (et parmi les femmes) alors qu’ils constituaient la moitié des Forces françaises libres ? » Pour Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, « l’armée des ombres est une armée d’enfants. »

C’est peu dire que les familles de ces jeunes enfants sacrifiés ont énormément souffert : celle de Guy Môquet, ou encore celle d’Henri Fertet (fusillé à seize ans malgré son jeune âge - les Allemands savaient déroger à leurs propres règles), dont la mère et le petit frère se suicideront en 1980.

Bernard GENSANE

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http://www.roger-faligot.name/fr/Le...
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