Vania,
Essayer de cerner un peu mieux la figure de Poutine, fut-ce jusqu’à la critique, ne remet pas en cause la compréhension qu’on peut avoir du conflit ukrainien et notamment en faisant le constat des lourdes responsabilités occidentales. Il ne s’agit donc pas comme tu le sous-entends dans ta réponse de convaincre qui que ce soit du contraire.
D’abord, tu contestes l’affirmation selon laquelle le philosophe russe Ivan Illine fait partie des fondations idéologiques du poutinisme en cherchant à décrédibiliser son auteur, lui aussi russe, sous le prétexte qu’il écrit dans un magazine dont le propriétaire est... entrepreneur. Sans démontrer au passage que le magazine en question serait anti-russe.
Du coup, j’ai une première question : qu’est-ce qui selon toi rend un entrepreneur incompatible avec la Russie de Poutine ? N’est-ce pas le fait que tu associes toi-même entreprenariat et capitalisme ? Bon, si c’est le cas, rassure-toi, être entrepreneur ou chef d’entreprise, être passé par les bancs des plus grandes écoles de commerce ou même être un capitaliste forcené n’empêche absolument pas d’être pro-russe ou pro-chinois. J’en veux pour preuve cet entretien de Castelnau avec un entrepreneur français en Chine, donné il y a peu en lien par Patoche.
L’interrogation demeure donc : est-il vrai que Poutine est influencé par la pensée de ce philosophe russe très indulgent avec le nazisme ? J’insiste sur le fait que l’objectif est de mieux cerner sa personnalité (et surtout de ne pas tomber dans l’idéalisme comme tu le fais à pieds joints) et que savoir cela n’aurait pas plus d’importance que de savoir par exemple qu’Ursula Von der Leyen serait sous l’influence du philosophe Heidegger...
Ensuite, au-delà de ta description angélique de Vladimir Poutine, tu dis quelque chose selon moi qui est problématique, qui confine à l’aveuglement et qui ne sert pas du tout la cause russe :
Ce pays sous sa direction n’a pas agressé , ni volé , ni menacé, ni appliqué des blocus criminels contre les autres pays.
Tu vois, pour moi c’est une limite que je ne peux pas franchir par honnêteté et je t’explique pourquoi : si on ne prend le cas que de l’Ukraine, affirmer comme tu le fais que ce n’est pas une agression de la Russie ne servira qu’à convaincre des convaincus. Bien qu’on puisse justifier ça par des éléments de preuve tout à fait valides, au premier rang desquels les vies menacées des habitants russophones du Donbass et le péril atlantiste aux portes de la Russie, objectivement, lorsque tu pénètres illégalement et unilatéralement avec ton armée dans les frontières d’un autre pays, ça s’appelle une invasion et c’est une agression. Que tu aies essayé la voie diplomatique pendant des années avant d’en arriver là ou que tu baptises cette agression par un euphémisme n’y change rien. Pas plus que le cas de l’épouse qui finit par tuer son mari brutal après des années de violences conjugales et d’appels à l’aide ne change rien à la qualification d’assassinat. Ce ne sont que des circonstances atténuantes. Éluder cela pour convaincre les indécis (car c’est bien de cela qu’il s’agit dans le Grand Soir, j’imagine, ou bien ?) les détournera automatiquement de ta parole car tu commences ton argumentaire en niant une réalité.
Je t’épargne la liste des guerres poutiniennes menées autour et dans la fédération de Russie qui tendent à montrer que le président russe a souvent le réflexe de privilégier l’emploi de la force pour régler les problèmes. Ce n’est pas une opinion, ce sont des faits.
À titre personnel, je pense que Poutine est probablement l’un des chefs d’état les plus intelligents et les plus rusés qui existe. Pas de doute là-dessus. Mais je ne tombe pas dans l’idolâtrie. Celle-ci est favorisée par l’incompétence, la déloyauté et la malveillance de nos propres dirigeants. Poutine apparaît alors comme une sorte de « père de substitution » pour les orphelins que nous sommes. Et c’est dangereux. Car on sent bien que le conservatisme poutinien, saupoudré de bigoterie orthodoxe, est en train de distiller son idéologie dans les rangs d’une certaine gauche devenue inapte au moindre esprit critique quand il est question de la Russie et par conséquent de plus en plus réceptive à cette rhétorique de la décadence voire de la dégénérescence occidentale, très en vogue dans les rangs de l’extrême-droite*, elle aussi poutinolâtre.
(*) C’est beaucoup moins surprenant de la part de l’extrême-droite puisque celle-ci se démarque par sa bêtise crasse. Dénuée de la plus petite intelligence idéologique, se complaisant dans le crétinisme par sa façon d’aborder l’histoire sous l’angle des symboles de la soit-disant grandeur passée de la France et qui fait se masturber (littéralement et intellectuellement) des pelletées de droitards sur la figure de Napoléon (à l’instar des nazis qui se branlaient sur la Grèce Antique dont ils croyaient mordicus être les descendants), elle ne sait convaincre qu’en jouant sur les peurs et les angoisses, et n’admire Poutine que pour son virilisme d’homme à poigne et probablement sa faculté de chevaucher des ours. Des preuves ? Citez-moi un seul intellectuel dont l’extrême-droite se réclame aujourd’hui. Elle en a tellement peu qu’elle est obligée de piocher à l’extrême-gauche...