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Un large mouvement contre la guerre peut sauver la vie de Julian Assange

Le 10 avril dernier, à l’occasion du 25ème anniversaire du Good Friday Agreement en Irlande du Nord, le président des EU Joe Biden est arrivé à Belfast pour fêter cet accord du Vendredi saint. Un accord de paix signé le 10 avril 1998 entre la Grande-Bretagne, les Royalistes d’Irlande du Nord et Sinn Fein, le parti républicain irlandais. Trente ans de guerre prenaient fin. Fin d’une guerre contre l’occupation britannique de l’Irlande du Nord, qui a coûté la vie à 3 500 personnes.

De l’Irlande à l’Afrique du Sud : la libération des prisonniers politiques est une affaire politique et non pas juridique

La libération des prisonniers politiques irlandais dans les prisons britanniques était une question centrale dans les négociations. L’accord de paix du Vendredi saint stipulait la libération de tous ces prisonniers, appelés « les paramilitaires » ou « les terroristes » par les Britanniques.

L’inimaginable devenait réalité : au total 483 prisonniers furent libérés, dont 143 condamnés à une peine de prison à vie. Un an auparavant déjà, en signe de « bonne volonté » de la part des Britanniques, 13 prisonniers de l’IRA, qui se trouvaient dans la section de sécurité maximale (SHU), en isolement total, à la prison de Belmarsh furent transférés vers d’autres prisons, où ils pouvaient bénéficier d’un régime carcéral plus ouvert. En juillet 2000, les derniers 87 prisonniers sortaient de la prison de Maze en Irlande du Nord. La prison de Maze a été fermée la même année.

Rappelons-nous cet autre fait historique qui s’est produit dix ans auparavant en Afrique du Sud. En 1989, le mouvement de libération ANC (African National Congres) exigeait et obtenait du pouvoir raciste blanc (le NP, National Party) la levée de l’état d’urgence, la libération de tous les prisonniers politiques, la légalisation des organisations dissoutes et la suspension de l’usage de la peine de mort. Sans libération de tous les prisonniers politiques, l’ANC refusait d’abandonner ou de suspendre la lutte armée. Ainsi, le 11 février 1990, Nelson Mandela était libéré après 27 ans de prison. Il avait été condamné aux travaux forcés et à la prison à perpétuité dans une prison de haute sécurité à Robben Island. Sa libération annonçait la fin de l’Apartheid. Au 30 avril 1991, 933 prisonniers politiques étaient libérés.(1) En 1996, la prison à Robben Island fermait définitivement ses portes.

Illustration que tout est possible, vraiment tout, à condition qu’il y ait un rapport de force construit dans les luttes et suffisamment grand pour l’imposer.

À Belfast, Biden a salué le processus de paix en Irlande du Nord en annonçant une augmentation des investissements américains, « vu, ce sont ces mots, le vaste potentiel économique qui se trouve ici ». Et il a bien sûr parlé de la guerre en Ukraine. Les États-Unis ne font jamais rien sans penser à leurs profits ou sans penser à la guerre. On peut supposer, lutte pour la paix oblige, qu’il a mis aussi sur la table l’adhésion de la République d’Irlande à l’OTAN, ce pays étant un des derniers pays européens à la refuser.

Un salut à la paix on ne peut plus cynique.

À 500 km de Belfast, sur ordre des États-Unis en collaboration avec les Britanniques, Julian Assange croupit depuis quatre ans dans la prison de haute sécurité de Belmarsh. Julian Assange n’a pas commis d’attentat ou un quelconque acte violent. Difficile de le taxer de paramilitaire ou de terroriste. Julian est un journaliste qui a lutté pour la paix. Pour la fin de la guerre en Afghanistan et en Irak, en publiant des documents secrets, cachés au public, des crimes de guerre commis par les États-Unis et ses alliés. Du coup, Joe Biden a dû inventer un nouveau nom pour le lier au terrorisme : « Assange est un cyber terroriste, un hightech terroriste », a-t-il dit. Et Pompeo, le chef de la CIA, a ajouté : « il est temps d’appeler Wikileaks pour ce que c’est : un service de renseignement non-étatique soutenu par des États comme la Russie ».

Pardon, amnistie, réconciliation après les guerres du passé ?

On pourrait dire que tout cela appartient au passé, maintenant que ces guerres ont officiellement pris fin. En Irak, le 15 décembre 2011, après neuf ans de guerre. En Afghanistan, le 15 août 2021, après vingt ans de guerre. Bilan : au moins 1,3 millions de personnes, et probablement plus que 2 millions, ont été tuées pendant ces « guerres contre la terreur » en Afghanistan, Irak et au Pakistan.(2)

À la fin de ces guerres il n’y a pas eu d’accord sur la libération des prisonniers, comme en Irlande du Nord ou en Afrique du Sud.

Pas de fermeture de Guantanamo, comparable à la fermeture de celle de Maze ou de Robben Island. Aucune poursuite des responsables politiques étasuniens et britanniques par un tribunal international pour les crimes de guerre commis, comme cela se met en place pour la guerre en Ukraine. Pas d’excuses, pas de prise de responsabilité pour ces crimes rendus publics par Wikileaks. Pas d’amnistie, pas d’arrêt des poursuites contre les journalistes et les lanceurs d’alerte par leur libération de prison ou en leur permettant de retourner dans leur pays après avoir été forcés à l’exil.

Pourquoi n’assiste-t-on pas à un accord de paix ?

Tout d’abord, l’accord de paix conclu en Irlande du Nord ne signifiait pas la défaite de l’impérialisme britannique. Certes, la résistance irlandaise obtenait des progrès politiques et sociales considérables, mais pas la fin de l’occupation britannique de cette partie de l’Ile. C’était une situation où les deux parties étaient à bout de forces après trente ans de guerre.

En Afghanistan, les États-Unis (et l’OTAN) ont subi une défaite sanglante, qui les a humiliés aux yeux du monde entier. Cette défaite historique, après vingt ans de guerre, est loin d’être digérée et, tout comme la défaite des EU au Vietnam, elle ne le sera probablement jamais. Ce qui explique en partie l’esprit de vengeance et de représailles, œil pour œil, dent pour dent, qui sont les leitmotivs de l’appareil politique, militaire et judiciaire des États-Unis et dont Julian Assange et ses camarades sont victimes. Celui ou celle qui, comme Assange, était du mauvais côté dans la guerre en Afghanistan et en Irak, en paiera le prix et subira une politique d’extermination jusqu’au bout, jusqu’à la mort.

Une deuxième raison est que la « Global War on Terror », la guerre mondiale contre le terrorisme, lancée par le président Bush en 2001, n’est pas une guerre comme les autres. Elle est par définition une guerre sans tranchées, sans frontières, une guerre qui se déplace de continent en continent, une guerre sans fin, une guerre sans accord de paix en perspective. Il suffit de lire la récente publication du département d’État, intitulée « Terrorism Still a Pervasive Threat Worldwide » (le terrorisme : une menace toujours omniprésente à l’échelle mondiale), qui annonce de nouvelles guerres contre le terrorisme. (3) De ces nouvelles guerres coloniales, les Assange, les lanceurs d’alerte ou autres fouineurs doivent être écartées une fois pour toutes.

Une troisième raison est qu’après la fin de la « guerre froide », les tambours de la guerre résonnent à nouveau. La guerre en Ukraine (et la défaite de la Russie) doivent rétablir la confiance perdue dans la surpuissance des EU de diriger le monde. Un conflit mondial entre les EU-OTAN d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre se dessine à l’horizon. Les conséquences au niveau de la liberté de la presse sont un prélude de ce qui nous attend. Pour ceux et celles qui pensent que la liberté de la presse est uniquement menacée en Russie et en Chine, voici quelques exemples de ce qui se passe dans notre camp. « Aux États-Unis, il n’y a aucun média grand publicqui semble prêt à publier ne fût-ce qu’un appel à arrêter la livraison d’armes à l’Ukraine ou même de plaider pour des négociations en Ukraine, écrit Counterpunch, Il y a même un blackout sur les nouvelles concernant le (petit) mouvement contre la guerre qui est en train de se construire ».(4) Ce n’est pas uniquement le cas aux Etats-Unis. En Europe, des médias comme RT/RussiaToday ou Sputnik sont interdits. En 2022, l’Ukraine publie une liste noire de politiciens et journalistes européens et étasuniens « pro-russes », dont le journaliste Glen Greenwald. Au sein des grands médias, la chasse aux journalistes considérés comme « pro-Russe » ou « pro-Poutine », par des menaces, leur licenciement, le gel de leurs avoirs a bel et bien commencé.(5)

C’est pourquoi Assange est toujours en prison. Il est l’avertissement à tous les journalistes : vous allez subir le calvaire de Julian Assange si vous osez nous critiquer.

Le mouvement contre la guerre au Vietnam a libéré Daniel Ellsberg.

Daniel Ellsberg était un analyste militaire qui a travaillé pour l’armée des EU. En juin 1971, il a divulgué les Pentagon Papers, des documents secrets qui exposaient les mensonges du gouvernement des EU dans la guerre du Vietnam. Le 3 janvier 1973, Ellsberg a été inculpé en vertu de la même loi que celle par laquelle Assange est inculpé aujourd’hui : l’Espionage Act de 1917, en plus des accusations de vol et de conspiration. Il risquait alors une peine maximale de 115 ans. : « Ce dont Assange est coupable, je le suis aussi, a déclaré Daniel Ellsberg, nos motivations sont les mêmes. La différence est que j’étais une source, lui un éditeur. Je me reconnais complètement en lui. Les publications de WikiLeaks sur les guerres en Afghanistan et en Irak ont montré que la torture est devenue la chose la plus normale au monde. Les publications de WikiLeaks sont l’une des révélations les plus importantes et les plus véridiques du comportement secret et criminel de l’État dans l’histoire des EU. Le public étasunien avait le droit de savoir ce qui était fait en son nom. La publication non autorisée de documents secrets était le seul moyen d’accorder ce droit au peuple » (6).

Les autorités des EU ont mis en place des écoutes illégales contre Ellsberg, des cambriolages chez son psychiatre pour tenter de le discréditer, et ils y avaient, tout comme dans l’affaire Assange, des plans pour l’éliminer physiquement. Mais contrairement à Assange, Ellsberg n’a pas été envoyé en prison en attendant son procès. Le 11 mai 1973, le tribunal a même abandonné toutes les charges contre Ellsberg. Pourquoi ?

Parce qu’Ellsberg était entouré par « le mouvement contre la guerre au Vietnam qui était le plus large et le plus organisé jamais connu dans l’histoire des Etats-Unis »(7). À partir de 1964 jusqu’à la fin de la guerre en 1975, des centaines de milliers de jeunes, des syndicats, groupes religieux, organisations pour les droits égaux de la population noire se sont engagés dans la résistance à la guerre.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Organiser la résistance à toutes les guerres qui ont suivi celle du Vietnam jusqu’à aujourd’hui est pourtant la voie à suivre pour obtenir la libération de Julian Assange.

Comme dit au début, rien n’est impossible. Que le courage et la ténacité d’Ellsberg soient une source d’inspiration dans ce combat.

Notes

(1) http://www.csvr.org.za/docs/correctional/negotiatingtherelease.pdf

(2) Voir le rapport “Body Count : Casualty Figures after 10 Years of the ’War on Terror” par Physicians for Social Responsibility, Physicians for Global Survival et Physicians for the Prevention of Nuclear War

(3) https://www.voanews.com/a/us-state-department-terrorism-still-a-pervasive-threat-worldwide-/6357632.html

(4) https://www.counterpunch.org/2023/04/12/the-war-machine-keeps-turning/

(5)Voir https://johnpilger.com/articles/there-is-a-war-coming-shrouded-in-propaganda-it-will-involve-us-speak-up ; https://www.algeriepatriotique.com/2023/02/19/contribution-de-mohsen-abdelmoumen-la-propagande-arme-ultime-de-lempire/

(6) https://en.wikipedia.org/wiki/Daniel_Ellsberg ; https://www.chicagotribune.com/nation-world/ct-nw-daniel-ellsberg-julian-assange-20200916-ovkpeeehpve5lbcamvslhsniru-story.html

(7) https://www.history.com/news/anti-war-movements-throughout-american-history

»» https://lukvervaet.blogspot.com/2023/05/un-large-mouvement-contre-la-guerre.html
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La face cachée de Reporters sans frontières - de la CIA aux faucons du Pentagone.
Maxime VIVAS
Des années de travail et d’investigations (menées ici et sur le continent américain) portant sur 5 ans de fonctionnement de RSF (2002 à novembre 2007) et le livre est là . Le 6 avril 2006, parce que j’avais, au détour d’une phrase, évoqué ses sources de financements US, RSF m’avait menacé dans le journal Métro : " Reporters sans frontières se réserve le droit de poursuivre Maxime Vivas en justice". Au nom de la liberté d’expression ? m’étonné-je. Quoi qu’il en soit, j’offre aujourd’hui (…)
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