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Ébauche de traité – Ukraine

La Russie a toujours eu le mauvais rôle. Même après avoir défait le nazisme. Aujourd'hui, c'est pire. D'après les gens trop paresseux pour réfléchir et qui se contentent des contenus informatifs pré-mâchés, l'Ukraine est outragée, l'Ukraine est brisée, l'Ukraine est martyrisée par la Russie, ce pays honni dont on ne tolérerait l'existence qu'à condition qu'il soit exsangue, imbibé d'alcool, soumis et encerclé par l'OTAN. Pour ces oisillons gueules béantes, nourris, gavés à la propagande, le passé n'existe pas, les effets n'ont pas de causes, l'histoire est un néant. Seules deux vérités subsistent : la Russie est le mal et l'Amérique fait la guerre pour défendre la liberté. Heureusement, il y a des Laurie Meadows pour éclairer cette nuit de l'information. Ce citoyen néo-zélandais fait le travail que la vaste, très vaste majorité des journalistes ne font plus : expliquer pour qu'on comprenne. (XP)

Cet article fait suite à celui que j’ai écrit le 19 février 2022, 5 jours avant le lancement de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine. Il s’intitulait Destruction mutuelle assurée - le prélude à la sécurité mutuelle assurée. À l’époque, je ne pensais pas que la Russie s’installerait dans le Donesk. J’ai écrit :

« L’avance actuelle de la Russie en matière de missiles et de systèmes défensifs pourrait persuader les États-Unis d’accepter un contrôle vérifiable des armements, mais c’est le travail de plusieurs années. En attendant, l’Occident provoque la Russie sans relâche, dans toutes les dimensions de la vie. C’est dangereux. Il est temps pour les nations de se conformer à leurs obligations en vertu de la Charte des Nations unies. Un mécanisme doit être trouvé pour accélérer le passage à la sécurité universelle et aux dividendes de la paix qu’elle apporte. Et c’est ce que la Russie a fait, dans un geste étonnant et inattendu, un geste qui a échappé à tous les médias. »

Je faisais référence à un article que j’ai publié le même jour, intitulé Pris de court par la paix ?. Le « mouvement stupéfiant et inattendu », c’était la présentation en décembre 2021 aux États-Unis et à l’OTAN de nouveaux projets de traités de sécurité. L’un a été rédigé pour l’OTAN en tant qu’organisation, et l’autre pour les États-Unis. Je note : « Les dispositions sont courtes et le langage sans compromis. Elles assurent la sécurité de la Russie tout en assurant la sécurité de l’Europe. »

Eh bien, les États-Unis n’ont pas signé, et l’OTAN non plus. Je soupçonne maintenant que les Russes disposaient de renseignements indiquant qu’un assaut contre les républiques séparatistes et la Crimée était prévu, et qu’il n’était peut-être qu’à quelques mois de son lancement. Je soupçonne maintenant les EU de savoir que la Russie soupçonnait que quelque chose se préparait, même si la date exacte n’était pas connue. Comme l’a déclaré le président russe Vladimir Poutine en 2015, « il y a plus de 50 ans, les rues de Leningrad m’ont enseigné une règle de base : si un combat est inévitable, il faut frapper en premier. »

« Les employés de l’ambassade sont en cours d’évacuation et les Anglo-Saxons sont priés de quitter l’Ukraine au plus vite. Une piste de réflexion : et si les Anglo-Saxons préparaient quelque chose de leur côté et que c’était pour cela qu’ils évacuaient leur personnel ? Nous voyons leurs actions. »
Sergey Lavrov, le 10 février 2022

Peu importe le nombre de mois que durera encore le conflit en Ukraine, la Russie a « gagné ». Ou plutôt, elle a presque atteint ses objectifs initiaux en aidant les républiques de Lughansk et de Donesk à repousser les forces armées ukrainiennes – de nombreuses unités de ces républiques étaient composées de nationalistes suprématistes blancs, épousant les idées nazies. Dans la mesure où ces extrémistes sont capturés, tués ou repoussés, la dénazification – un autre objectif russe – est atteinte, du moins dans les nouvelles républiques.

Le point de basculement est proche

Le point de basculement est proche. Les Occidentaux (qui sont les armuriers et les instigateurs du conflit) devront dire aux membres du gouvernement ukrainien de trouver un accord. Un traité de paix signé sera nécessaire. Il est désormais acquis que la signature des politiciens occidentaux sur des accords n’a aucune valeur, et a fortiori la signature des politiciens ukrainiens. La Russie ignorera-t-elle la capitulation des Ukrainiens et leur appel pour un traité de paix ? Après tout, elle peut continuer à prendre autant de territoires ukrainiens qu’elle le souhaite, pour autant qu’elle soit prête à les payer « en sang et en or » (1), comme on dit.

Je ne sais pas ce que fera la Russie. Je sais ce que la Russie veut pour elle-même et pour les autres, car elle l’a déclaré publiquement. Je sais qu’elle veut des relations normales avec l’Ukraine, car elle l’a dit. Et les Russes ne mentent presque jamais.

« Même certains médias apparemment respectables écrivent sur une « opération » que nous sommes censés préparer dans le but de nous emparer de Kiev et d’autres villes ukrainiennes ou qu’un quelconque coup d’État est en préparation en vue de mettre un régime fantoche au pouvoir dans la capitale ukrainienne. »
Sergey Lavrov, le 10 février 2022

On peut deviner qu’une opération était en préparation deux semaines avant le lancement. Mais pas pour « s’emparer » de Kiev. Pas pour « s’emparer » (notez ce mot) d’autres villes ukrainiennes. Pas pour placer un régime fantoche au pouvoir.

Il nous reste l’objectif déclaré – la libération des deux républiques. Kiev ne sera pas prise. Lviv ne sera pas prise. Qu’en est-il des autres villes ukrainiennes ?

Question : [...] La Russie a-t-elle l’intention d’exiger que Kiev reconnaisse en outre l’indépendance de la région de Kherson et d’une partie de la région de Zaporozhye actuellement contrôlée par les forces russes, ou leur adhésion à la Russie ?

Sergey Lavrov : La réponse à cette question sera donnée par les personnes vivant dans les territoires libérés. Ils disent qu’ils veulent choisir leur avenir par eux-mêmes. Nous respectons pleinement cette position.
6 juin 2022

Le gouvernement russe a déclaré à maintes reprises que l’avenir des autres régions serait décidé par les personnes qui y vivent elles-mêmes. Par conséquent, il y aura un référendum. Comment sera-t-il formulé ? Nous devrons attendre pour le savoir. Dans combien de temps les conditions pour l’organiser seront-elles réunies ?

Parlez-en à quelqu’un qui a du pouvoir.

« Où que MacGregor s’asseye, c’est le bout de la table » (2)

Cette citation est tirée du livre Rob Roy de Sir Walter Scott. Elle incarne la réalité selon laquelle les dirigeants exceptionnels sont presque instinctivement reconnus par tous ceux qui exercent le pouvoir, qu’ils l’admettent ou non.

Ces dirigeants inspirent un véritable respect (et non le respect qui découle de la peur) parce qu’ils l’ont gagné. Non pas par des actions spectaculaires, mais en obtenant des résultats populaires, en étant constant dans le temps, en étant honnête, calme, en ne se détournant pas et en ne rejetant pas la faute sur les autres lorsque les choses tournent mal de manière inattendue, en étant patient et prévoyant. Une personne aussi rare connaît toutes les dimensions du pouvoir – diplomatique, militaire, informationnel, économique.

La Russie, comme tout autre pays, ne se préoccupe que d’une seule chose : le confort et le bonheur de son peuple.

« Notre plus grande préoccupation et notre principale tâche sont d’augmenter les revenus des gens. C’est notre priorité, notre tâche numéro un, et nous n’allons pas la résoudre par de simples méthodes linéaires. Pour ce faire, nous devons assurer la croissance de l’économie et une modification de son infrastructure. C’est un objectif à long terme. Nous n’allons pas utiliser des méthodes populistes. C’est sur la base d’une croissance économique qualitative que nous entendons résoudre les grandes tâches sociales – notamment l’augmentation des revenus du peuple russe et le problème démographique, qui est notre deuxième tâche la plus importante. Elle implique un ensemble de questions sociales : les soins de santé, l’éducation et le soutien aux familles avec enfants. Pour résoudre toutes ces tâches, nous avons défini certains objectifs de développement national... Par conséquent, nous devons résoudre les deux principaux problèmes – améliorer la démographie et augmenter les revenus des gens, améliorer leur qualité de vie sur cette base économique sérieuse que je viens de mentionner. C’est ce que nous allons faire dans un avenir proche. »
Vladimir Poutine , le14 octobre 2021

Le 7 mai 2018, la Russie a promulgué un document décrivant les buts et objectifs stratégiques nationaux. Ils couvraient 12 domaines et, dans de nombreux cas, énuméraient des indicateurs-clés de réussite très spécifiques qui devaient être atteints d’ici 2024. Les domaines couverts vous seront familiers, car la plupart des pays ont des souhaits similaires pour leur population :

• faire face aux conséquences de l’inadéquation démographique d’une population vieillissante et d’un faible taux de natalité
• des soins de santé améliorés et abordables
• une population plus instruite
• de meilleurs logements et un meilleur environnement urbain
• protection de l’environnement naturel et lutte contre la pollution
• des autoroutes sûres et de qualité
• améliorer la productivité du travail et le soutien à l’emploi
• soutenir la recherche afin d’être compétitif dans les économies modernes
• soutenir l’économie numérique
• soutenir et préserver la culture russe
• soutien aux petites et moyennes entreprises et aux entrepreneurs individuels
• encourager la coopération internationale et accroître les exportations

Tout cela est coûteux, tant en argent qu’en efforts. Une énorme quantité d’argent a été engloutie dans ce projet. Si vous étiez le gouvernement russe, prendriez-vous le risque de détruire tous vos progrès durement acquis ?

Comment le développement russe pourrait-il être détruit, de toute façon ? Il y a 4 possibilités évidentes :

• un tir de missile nucléaire
• une guerre conventionnelle
• une guerre biologique
• une guerre économique

Nous pouvons écarter les frappes nucléaires – même par les Étasuniens. Les présidents russe et étasunien ont signé une déclaration selon laquelle une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit pas être menée. Tous deux sont liés par les chaînes de la terreur. J’ai pleinement couvert ce sujet dans mon article Le moment est venu. La politique de frappe nucléaire de la Russie a été très clairement expliquée par le président russe en 2018, et est annexée à mon article. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus.

« La fin, les voies et les moyens, ils manquent de cela, pour pouvoir revenir à l’avant-2014.

Le deuxième point que je voudrais soulever est que, vous savez, si vous regardez le DIME – diplomatique, informationnel, militaire et économique – nous manquons cruellement de la partie diplomatique. Si vous remarquez, il n’y a pas du tout de diplomatie en cours pour essayer d’arriver à un certain type de négociations. Et je ne pense pas que nous puissions mener cela, étant donné ce que Poutine pense de nous.

Mais si vous vous asseyez et pensez à ceux qui pourraient éventuellement faire partie de cette équipe de négociation, deux d’entre eux (...) sont dans l’OTAN. L’un d’eux est le président Orbán, de Hongrie. Il pourrait peut-être contribuer à l’effort de négociation. L’autre est le président Erdoğan de Turquie. Des amis de longue date du président Poutine, bien que certains considèrent cette relation comme transactionnelle. Je ne sais pas. Mettons cela à l’épreuve et voyons. »
Stephen Twitty, ancien commandant adjoint du EUCOM (Commandement européen des États-Unis) de 2018à 2020, le 31 mai 2022

La Russie allait de toute façon gagner la guerre par procuration de l’OTAN. Pourquoi ? Parce que la Russie dispose de missiles à distance avancés, d’une dissimulation électronique supérieure, d’une défense aérienne supérieure, d’avions supérieurs, d’une formation supérieure en matière de guerre urbaine (en Syrie) – la liste est longue. Si l’OTAN ne le savait pas, c’est qu’elle est professionnellement incompétente.

La Russie résout tous les types de conflits (sauf qu’elle ne fait pas beaucoup de propagande). Elle sait que sa puissance provient de la diplomatie, soutenue par la compétence militaire (dans toutes ses nombreuses dimensions), et d’une économie nationale robuste et autonome. Ses réponses militaires sont très soigneusement calibrées, constamment réévaluées et ajustées. La Russie ne gagnera pas « à tout prix ». Elle créera un réseau de connexions militaires, économiques et humaines dans lesquelles la partie adverse ne pourra que trouver son compte.

La guerre biologique peut être écartée. Si un nouveau cas d’agent pathogène apparaît, son génome sera démonté et examiné, l’origine consensuelle sera trouvée, ses différences génétiques seront examinées en termes de structure et de placement sur et entre les chromosomes ou l’ARN, et des conclusions seront tirées. Une attaque contre la Russie à l’aide d’armes biologiques entraînera une réponse immédiate, nucléaire ou hypersonique.

La guerre économique finira par échouer. Elle causera des difficultés certaines pendant un an ou deux, mais elle n’a aucune chance de réussir. Qui plus est, elle porte préjudice à ceux qui ont lancé l’attaque. J’ai abordé ce sujet en détail dans Le système commercial international d’apartheid de l’Occident.

La Russie n’a pas besoin et ne veut pas de conflit armé – elle a toujours voulu la paix.

L’Ukraine trouvera un accord parce qu’elle atteint un point de basculement, où les choses auxquelles tout le monde tient sont perdues ou sont devenues incertaines et périlleuses. Les soins de santé, le logement, l’éducation, un bon emploi, une vie stable et raisonnablement confortable, la certitude, la stabilité, l’absence de peur – voilà ce que les gens doivent avoir. À un certain point, ils exigent la paix.

La Russie offrira la paix à des conditions raisonnables. La Russie considère toujours l’Ukraine comme faisant partie de l’orbite slave, comme un peuple apparenté. Il existe des racines profondes entre les deux pays. Elle ne cherchera jamais à humilier l’Ukraine, ni à la saigner à blanc. La Russie pense à long terme – à très long terme. Mais les conditions seront fixées sans l’intervention des États-Unis ou de l’Europe.

La Russie ne traitera pas avec des « médiateurs ».

« C’est l’essentiel de la médiation de l’UE. Un certain processus a commencé dans les Balkans après que le Kosovo a proclamé son « indépendance » de manière unilatérale et sans aucun référendum. L’Assemblée générale des Nations Unies a invité l’UE à servir de médiateur entre Pristina et Belgrade et ses efforts ont été plutôt fructueux : en 2013, l’accord a été conclu sur la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. En 2014, lorsqu’un coup d’État a été organisé en Ukraine et que les forces du « contre-terrorisme » ont lancé une opération contre le Donbass et les Russes en Ukraine, l’UE a également joué le rôle de médiateur. Cela a conduit à la signature des accords de Minsk qui ont établi certaines règles, tout comme pour les municipalités serbes du Kosovo.

L’UE a fait la promesse solennelle de soutenir un statut spécial pour le nord du Kosovo et l’est de l’Ukraine. Ce statut n’impliquait pas de choses compliquées : laisser les gens parler leur langue maternelle (les Serbes étaient censés pouvoir parler le serbe et les Russes d’Ukraine le russe), enseigner aux enfants dans les écoles dans leur langue maternelle, l’utiliser dans la vie quotidienne et disposer d’une certaine autonomie en matière d’application de la loi et de liens économiques avec les régions voisines (le nord du Kosovo avec la Serbie et l’est de l’Ukraine avec la Russie). Des accords identiques ont été conclus, qui préconisent le respect des minorités nationales en pleine conformité avec les conventions européennes internationales sur les droits de ces groupes. L’UE a annoncé qu’elle avait réussi dans les deux cas.

Mais elle a honteusement échoué dans les deux cas et a dû l’admettre par la suite en déclarant qu’elle ne pouvait pas persuader Kiev de respecter les accords de Minsk ou obliger Pristina à respecter ses accords avec Belgrade. Il y a quelque chose de commun en ce qui concerne le traitement par l’UE des différentes zones de notre espace géopolitique commun, ses objectifs, sa compétence et sa capacité à conclure des accords... J’ai souligné à plusieurs reprises la principale conclusion géopolitique de cette situation : il est désormais impossible de s’entendre avec l’Europe sur quoi que ce soit et d’être sûr qu’elle respectera ses obligations. »
Sergey Lavrov, le 6 juin 2022

Les « médiateurs » de l’UE ont échoué deux fois maintenant. Ils sont inutiles. Il n’y aura pas de médiateurs. Les questions ne seront pas non plus traitées de président à président. Elles seront traitées entre fonctionnaires compétents, et ce n’est que lorsque tout sera réglé dans les moindres détails qu’un accord sera signé par un fonctionnaire. Il y aura probablement une séance de photos, où le responsable ukrainien sera traité avec la courtoisie habituelle par le président russe. Mais c’est tout.

Frontières politiques et frontières de sécurité - 2 choses différentes

« Vladimir Poutine a commenté la situation qui s’est créée en rapport avec l’arrivée des nouvelles armes. Je ne peux qu’ajouter que plus vous fournirez des armes à longue portée, plus nous éloignerons de notre frontière la ligne où les néo-nazis pourront menacer la Fédération de Russie... Permettez-moi de répéter ce qui suit. L’Occident a décidé de fournir des armes qui, de toute évidence, sont capables d’atteindre non seulement les zones frontalières de la Fédération de Russie mais aussi ses points les plus éloignés. Les politiciens et les législateurs en Ukraine même se moquent des EU, qui ont dit croire à la promesse de Vladimir Zelensky de ne pas bombarder la Russie. ...Je le souligne une fois de plus : plus les systèmes fournis au régime de Kiev auront une longue portée, plus nous éloignerons les nazis de la ligne d’où émanent les menaces pour la population russe d’Ukraine et de la Fédération de Russie. »
Sergey Lavrov, le 6 juin 2022

Quelle est la « ligne » à laquelle Sergey Lavrov fait référence ? C’est le point à partir duquel les obus et les roquettes peuvent atteindre non seulement la Russie, mais aussi « la population russe d’Ukraine ». Où se trouve donc la population russe d’Ukraine ? Selon Wikipedia, citant une étude de 2004, le pourcentage de russophones par région (Oblast) est le suivant :

72% à Dnipropetrovsk
81% à Zaporizhia
85% à Odessa
74 % à Kharkiv
66 % à Mykolaiv

Ces données sont obsolètes et les populations se sont beaucoup déplacées au cours des 18 dernières années. De nombreux Ukrainiens de l’Est ont fui vers la Russie. De nombreuses familles sont composées de personnes parlant à la fois l’ukrainien et le russe. Et la langue parlée n’est pas le seul facteur déterminant la façon dont les gens s’identifient. Certains Ukrainiens peuvent vouloir « voter Russie », pour ainsi dire, pour des raisons économiques. Certains Russes peuvent s’identifier à l’Ukraine pour de nombreuses raisons, qu’il s’agisse de liens familiaux, d’affaires ou d’opinions idéologiques.

Cela signifie que la Russie peut jouer le grand « jeu des définitions ». La Russie peut utiliser n’importe quel critère qui convient à ses objectifs politiques pour décider pour la population où se termine l’« Ukraine russe » et où commence l’« Ukraine ukrainienne ».

Mais la Russie est très sensible aux problèmes de frontières mal définies. Le président russe a passé des heures interminables à servir de médiateur dans les conflits frontaliers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Lorsque l’Union soviétique s’est dissoute, elle n’a pas complètement défini certaines frontières. Aujourd’hui encore, environ 450 kilomètres de la frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, longue de 970 kilomètres, ne sont pas délimités et restent une source de litiges constants.

Mais la « frontière militaire » ne peut tout simplement pas être définitivement fixée tant que la frontière politique ne l’est pas. (Même si, lorsque l’Ukraine arrivera à un accord, il faudra peut-être fixer une frontière temporaire en attendant que les frontières politiques soient finalisées).

La frontière politique

Prenons un précédent. La Russie a utilisé un référendum populaire (impliquant des groupes de surveillance extérieurs) pour déterminer si la Crimée devait rejoindre la Russie ou non. La Russie était mécontente qu’un référendum n’ait pas été utilisé (par l’UE) pour déterminer si le Kosovo devait devenir une région autonome ou non. Mais la Crimée était fortement pro-russe, et ces autres régions ukrainiennes sont beaucoup moins faciles à définir dans un sens ou dans l’autre.

Les choix proposés dans le cadre d’un référendum doivent probablement permettre la création de quatre États :

• rester avec l’Ukraine
• [devenir] une région autonome de l’Ukraine
• [devenir] un État indépendant
• fusionner avec la fédération russe

Ces options déterminent les frontières politiques. Nous pouvons maintenant deviner où sera la ligne militaire. Là encore, nous pouvons nous appuyer sur les précédents. Il existait une zone démilitarisée autour de Lughansk et de Donetsk, surveillée par l’OSCE. L’artillerie de gros calibre devait être retirée à une distance prescrite de la « ligne de contact ». (Cela n’a pas empêché les nazis de tuer 14 000 personnes par des bombardements, des mortiers et des tirs isolés dans les régions séparatistes pendant 8 ans. C’était à l’époque. Ce sera différent cette fois-ci)

Rester ukrainien

Évidemment, ce sera le statu quo moins les oblasts de Lughansk et de Donesk. Une ligne sera tracée à une distance des frontières des oblasts de Lughansk et de Donesk qui se situe un peu au-delà du point de portée de l’arme la plus longue dont disposent l’Ukraine ou les deux républiques. Une ligne maritime similaire devra être tracée au large de la mer Noire. Pour simplifier les choses, toutes les armes de grande taille, même de plus courte portée, pourraient être interdites à partir de cette ligne jusqu’aux frontières de la Russie et des deux républiques. Il suffit de regarder le texte de l’accord de Minsk II. Tout y est. Bien sûr, la formulation sera modifiée, les « oblasts de Donetsk et de Louhansk d’Ukraine » devenant respectivement les républiques de Donetsk et de Louhansk. La surveillance des lignes militaires sera probablement assurée par des militaires ou des policiers militaires russes et de l’Union économique eurasienne. Une fois que la situation se sera calmée, les méthodes normales de surveillance électronique par les républiques (nécessitant l’assistance de satellites russes) devraient suffire.

La clause 4 de Minsk II n’est plus pertinente, et les principes de prévention des représailles contre les Russes dans d’autres parties de l’Ukraine sont mentionnés dans la clause 5 (« ...une loi qui interdit la persécution et la punition des personnes »). Cette loi devra être adoptée par la Rada ukrainienne avant que les forces d’occupation russes ne quittent les zones où il existe un risque important de persécution des Russes. Bien entendu, les Européens, qui ont travaillé si assidûment pour provoquer ce désastre, seront chargés, par l’intermédiaire de l’OSCE, de veiller à ce que la population reste en sécurité et que les criminels soient retrouvés et punis. Et l’OSCE devra mettre en œuvre la suppression de l’idéologie nazie et garantir la liberté d’information et d’expression, la protection des minorités et les droits de l’homme – c’est leur travail.

La clause 8 n’est plus pertinente ; une partie de la clause 9 sera conservée pour garantir qu’aucun contrôle ne soit rendu à l’Ukraine jusqu’à ce que les changements constitutionnels visant à dé-nazifier (plutôt qu’à décentraliser, comme indiqué dans l’accord de Minsk II) soient adoptés par la Rada.

La clause 10 est nécessaire pour démilitariser l’Ukraine (expulser toutes les forces étrangères), et elle devra également être intégrée à la Constitution pour empêcher l’OTAN ou tout autre groupement similaire de s’installer dans le pays.

« Le président Poutine a dit à plusieurs reprises, en janvier et début février, que la Russie ne tolérera pas un modèle de sécurité européenne qui repose sur l’OTAN comme force dominante. Surtout lorsque cela se passe juste à notre porte.

Nous avons dit à plusieurs reprises que nous voulions trouver une solution alternative – une solution qui répondrait de manière fiable aux préoccupations de sécurité de l’Ukraine, des nations européennes et, naturellement, de la Russie. Et c’est la direction que nous devons prendre.

Le président Zelensky a déclaré qu’il était intéressé par des garanties de sécurité pour l’Ukraine. Je vois cela comme un développement positif. Nos négociateurs sont prêts à discuter de ces garanties... »
Sergey Lavrov, le 2 mars 2022

Des clauses empêchant l’Ukraine de développer ou d’accueillir des armes nucléaires seront nécessaires. Les termes devront également inclure une formulation reconnaissant que les armes nucléaires constituent une menace existentielle inacceptable pour la Russie et que leur existence sur le territoire ukrainien entraînera une réponse militaire. Cela permet à la Russie d’attaquer l’Ukraine à tout moment si elle renonce à cette partie essentielle.

« Le chef du Service russe de renseignement extérieur (SVR), Sergueï Naryshkin, a déclaré que le SVR avait obtenu des renseignements montrant que l’Ukraine travaillait à la construction de ses propres armes nucléaires. »
Sputnik News, le 3 mars 2022

Mais nous devons prêter attention à la nature « globale » de la déclaration de Sergey Lavrov. Le gouvernement russe a déjà fait remarquer que l’Ukraine n’était pas vraiment le principal problème de la Russie. Il est clair que la sécurité mutuelle indivisible de la Russie et de l’Europe l’est. Et cela doit inclure le « désengagement » des États-Unis, car ils se sont profondément ancrés dans les tissus de leurs hôtes européens.

Régions autonomes d’Ukraine

Les régions telles qu’Odessa qui pourraient voter pour l’autonomie pourraient tout aussi bien signer un accord de type Minsk II. Après tout, Minsk II a été élaboré pour convenir à toutes les parties, dans des circonstances assez similaires. Ces accords seraient probablement approuvés par les Nations Unies. Bien que cela ne soit guère essentiel, cela permet à l’Occident de sauver un peu la face. Le seul changement nécessaire pourrait consister à intégrer la dé-nazification dans la constitution ukrainienne.

État indépendant

Le modèle ici est le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. De tels traités ont été signés entre la Russie et les deux républiques. La clause d’assistance mutuelle a incité la Russie à venir en aide aux républiques, à chasser l’Ukraine de leurs territoires et à mettre fin aux tirs d’obus et de roquettes ukrainiens sur Lughansk et Donetsk.

Je n’ai pas trouvé de copie du traité sur le web pour le moment. Tout ce que nous savons, c’est que les clauses 4 et 5 permettent de fournir une assistance militaire aux républiques.

Les États-Unis ont imposé des restrictions commerciales aux deux républiques, et vous pouvez être sûrs que tout Oblast ukrainien qui s’engage sur la voie de l’indépendance subira le même blocus. Toutefois, il se peut que cela ne soit pas très différent de ce que connaît déjà Odessa, par exemple.

La « mère de toutes les clauses »

La Russie, je crois, veut un traité qui mette enfin un terme à la menace que représente l’OTAN. Elle veut la sécurité en Europe pour tous, mais pas aux dépens d’un pays donné.

« Le fait est que pendant vingt ans, vous, les Britanniques et les Américains, ainsi que tous les autres pays de l’OTAN, avez été exhortés à faire ce à quoi vous avez tous souscrit en 1999 : aucun pays ne doit renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Pourquoi ne pouvez-vous pas le faire ? Pourquoi les engagements signés par votre premier ministre, les présidents et les premiers ministres de tous les autres pays de l’OSCE se sont-ils révélés être des mensonges ?...Vous vous êtes rapprochés de nos frontières à cinq reprises (une alliance défensive !). Le traité de Varsovie et l’URSS n’existent plus. Contre qui vous défendez-vous ? A cinq reprises, vous avez décidé tout seul où seraient vos lignes de défense. Qu’est-ce que c’est ? Cela sent la mégalomanie. »
Sergey Lavrov, le 6 juin 2022

La sécurité pour toute l’Europe, c’est ce que les deux traités présentés par la Russie en décembre 2021 visaient à obtenir. J’en ai parlé dans mon article Pris de court par la paix ?. Si - ou plutôt quand - l’Ukraine adhère(ra) à l’Union européenne, le traité russe relatif à l’Europe (le traité de l’OTAN) liera alors l’Ukraine. Si l’OTAN le signe. Il se peut qu’elle ne le fasse pas.

L’Europe finira par le signer, il n’y a pas d’autre choix sensé. Mais les États-Unis ne le « permettront » jamais, et l’OTAN devra donc être dissoute avant. Une fois que l’OTAN n’existera plus, la voie sera ouverte pour que le traité de sécurité de 2008 soit remis en lumière.

« En 2008, la Russie a présenté une initiative visant à conclure un traité de sécurité européen en vertu duquel aucun État euro-atlantique ni aucune organisation internationale ne pourrait renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Cependant, notre proposition a été rejetée d’emblée sous prétexte que la Russie ne devait pas être autorisée à poser des limites aux activités de l’OTAN. »
Vladimir Poutine, le 21 février 2022

Cela prendra un certain temps. Mais je doute que la Russie ou l’Ukraine puissent attendre aussi longtemps. Un accord entre la Russie et l’Ukraine doit être conclu maintenant. Il devra inclure les parties pertinentes de Minsk II, ainsi que les éléments supplémentaires que j’ai décrits ci-dessus.

La question des missiles

Reste la question des missiles. Au fur et à mesure que l’Ukraine « s’offre » des roquettes plus grandes, plus rapides et plus sophistiquées (ou qu’elle en fabrique), la distance entre les frontières de la Russie, de Donetsk et de Lughansk devra augmenter. En réalité, ce n’est pas une question de distance, mais de temps entre le lancement et l’arrivée à la cible. La Russie a besoin de temps pour alerter les lignes de défense. Donc, plus les fusées sont rapides, plus elles doivent être placées en arrière pour laisser ce temps. À un certain stade de leur développement technique, elles seront trop rapides pour être déployées en Ukraine. Et comme la Russie développe des fusées plus rapides que mach 20 (ce qu’elle fait déjà), ses fusées devront peut-être être déployées à des milliers de kilomètres sur la côte Est. Cette situation est absurde, et un accord devra être conclu avec l’Europe sur la limitation de la portée des fusées. Cela nécessitera un dialogue et une vérification.

Eh bien, l’Occident a détruit toutes les relations diplomatiques avec la Russie. Ils se sont creusés un trou d’une profondeur impressionnante. Leur diplomatie, lorsqu’il s’agit de la Russie, est tout simplement incompétente, au sens propre du terme.

Feuille de route pour la confirmation

Comme le souligne Scott Ritter dans son nouveau livre intitulé Disarmament in the Time of Perestroika, nous sommes déjà passés par là, nous avons surmonté des difficultés pratiques et nous sommes parvenus à limiter les armements, dans l’intérêt de tous. Nous savons que nous pouvons le faire parce que cela a déjà été fait auparavant.

Lorsque Trump s’est arbitrairement retiré du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, il était clair qu’il voulait conclure un autre « accord » portant sur les armes hypersoniques de la Russie. Biden a marché jusqu’au bord du précipice en poursuivant le plan agressif de l’OTAN, en organisant et en incitant le conflit ukrainien, en finançant et en attisant la haine raciale, en poursuivant le plus grand programme de propagande de l’histoire de l’humanité et en imposant à la Russie un blocus économique d’une malveillance inégalée – conçu pour causer au peuple russe autant de dommages que les effets de la guerre.

L’Amérique a atteint les limites extrêmes de sa malignité. Un pas de plus et c’est la destruction.

Elle est montrée à sa place. Et ce n’est pas en bout de table.

« Laissez-moi vous assurer, chers amis, que nous évaluons objectivement nos potentialités : notre potentiel intellectuel, territorial, économique et militaire. Je fais référence à nos options actuelles, à notre potentiel globalEn consolidant ce pays et en regardant ce qui se passe dans le monde, dans d’autres pays, je voudrais dire à ceux qui attendent toujours que la force de la Russie s’affaiblisse progressivement, la seule chose qui nous inquiète est d’attraper un rhume à vos funérailles. »
Vladimir Poutine, le 22 octobre 2020

* * * * * *

(1) « En sang et en or » est la traduction (presque) littérale d’une expression anglaise signifiant « un coût matériel et humain », notamment lors d’un conflit.

(2) « Où que MacGregor s’asseye, c’est le bout de la table » est une expression anglaise faisant référence au rebelle écossais Robert MacGregor signifiant, grosso modo, que ce n’est pas la place qui fait l’homme, c’est l’homme qui fait la place.

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Une idée devient une force lorsqu’elle s’empare des masses.

Karl Marx

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