A la télé on ne peut pas regarder sans cesse Hanouna ou Zemmour, au bout d’un moment ça fatigue. Un de ces derniers soirs par hasard, je suis tombé sur un débat Marchais contre Chirac, ou inversement, cuvée 1971. Etonnant la façon de débattre de ces archétypes de politiciens. Ils avancent derrière le bouclier des chiffres de l’INSEE, ou des Comptes de la Nation, les arguments-missiles ont du poids, de la source. Même quand ils mentent, ces garçons affutent le fourchu de la langue sur la pierre de la statistique économique, plongent presque dans la « science ».
Pour dire qu’aujourd’hui, si vous assistez (deux minutes plus tard une bière s’impose) à un « débat » Christian Jacob-Olivier Faure, vous avez face à vous des ignares qui, une heure durant, vous jouer un ping-pong mou sur le thème : « C’est celui qui le dit qui y est ». Rien. Le vent d’El Nino et même pas d’éoliennes. Ca mouline avant. Et pendant. Assez pour vider les « hémisphères de Magdebourg ».
Devenue l’outil premier du mensonge et de la bêtise, la télévision a une urgence absolue, si elle veut se sauver, et nous aussi, elle doit faire jaillir une étincelle de connaissance et de vérité. De temps en temps alors que pour le reste nous sommes en apnée. Mais attention aussi, la vision du monde tel qu’il est c’est dangereux pour la santé. Les images peuvent vous précipiter vers le pharmacien et ses tubes de Lexomil. Ce qui mine aussi. Pour avoir suivi, à la devanture de la boutique d’Elise Lucet, un reportage traitant de « L’intelligence artificielle » ; puis un autre, sur la « 5 », consacré à « Amazon », tout cela vous dézingue lourdement. Finalement la seule tranquillité n’est pas le savoir, la connaissance, mais la certitude. Et c’est ainsi que je vais remplacer mon « Canalsat » par un abonnement à la « République en Marche ». Seule voie vers le bonheur.
Avant d’allumer l’écran noir de mes nuits blanches, des vôtres peut-être, vous avez l’injonction, sur « Arte » le 15 octobre au soir, de vous visser à votre cosy-corner : du lourd est au programme. Ce soir-là « Travail-Salaire-Profit » sera à l’affiche. Profitez-en avant que ne revienne assez vite le bon vieux temps annoncé du « Travail-Famille-Patrie ». Deux énergumènes se sont attelés à la charrue de l’histoire pour accoucher une vérité d’aujourd’hui : vers quel précipice nous poussent les Jeff Bizos et les libéraux, les démocrates, qui encouragent ces éradicateurs de l’humanité, tout dévoués à célébrer saint Uber. Ces deux égarés de l’orthodoxie, sont le réalisateur-écrivain Gérard Mordillat, compagnon de route et observateur accablé du monde du travail, et l’économiste Bertrand Rothé, personnage lui aussi étonnant. De la même façon qu’en 1968 quelques intellos, se voulant cohérents, sont allés « s’établir » comme ouvriers en usine ce Rothé, à rebours, a interrompu une belle carrière dans le CAC 40 pour passer du « Rotary » au col Mao. Glisser de premier à dernier de cordée pour pédaler contre le vent.
Ces deux échappés du peloton des économistes bien-pensants vont vous décevoir. Dans leur boutique, ni Attali, ni Minc. Ce qui est dommage pour l’avenir du monde, mais l’étal donne la parole à des inconnus (de moi sauf James K. Galbraith). Naguère, reprenant l’odieux moulin à prières de Thatcher, « Il n’y a pas d’alternative » le duo Mordillat-Rothé a publié un bouquin ébouriffant portant ce titre. L’idée du film d’Arte est née du livre : bâillonner les mensonges de ces « économistes » peu économes de la sueur des autres. Et mettre en regard d’eux des hommes et des femmes qui, à force de chercher, travailler, observer, penser, aimer, se sont fait des ampoules au cerveau. Mais ont vu, et voient encore, le monde dériver comme on voit l’ours partir sur son bout de banquise. Onze de ces savants-sachants sont français et, croyez-moi ne sont jamais passés sur le plateau de la moindre télé Nescafé, instantanée. C’est dire s’ils ont à dire.
Et que puis-je faire pour vous mettre à nu les entrailles de tout ce savoir ? En crétin sachant seulement qu’Adam Smith est le nom d’une impasse ? Eh bien que fais-je ? Comme tout le monde j’ubérise. Je prends le dossier de presse parfaitement torché et « l’exploite ». Et je vous annonce le gala qui vous attend. Attention, contrairement aux critiques de films qui ne vont jamais au cinéma, n’étant pas systématiquement malhonnête, j’ai eu le privilège de regarder le travail de Mordillat-Rothé. C’est passionnant :
20 heures 50, « TRAVAIL » :
Certains mots sont d’un usage si courant qu’on finit par les utiliser sans en interroger le sens. Travail... par exemple. Depuis la nuit des temps l’homme travaille, or du Paléolithique à nos jours cette activité n’a cessé d’évoluer. Qu’est-ce que le travail aujourd’hui ? Le travail est-il devenu une marchandise ? Et qu’achète-t-on sur le marché du travail ? Pourquoi et comment est apparu le Code du travail ?
21 heures 40, « EMPLOI »
Le travail et l’emploi apparaissent comme deux termes interchangeables. De façon ordinaire, aujourd’hui, c’est l’emploi qui est le plus souvent utilisé pour désigner le travail... Travail et emploi seraient-ils de faux jumeaux ? D’un côté il y a les incroyables transformations du management contemporain, et de l’autre, l’invention de l’auto-entreprenariat comme forme moderne de l’emploi.
22 heures 35, « SALAIRE »
« Le salaire est la somme d’argent que le capitaliste paye pour un temps de travail déterminé ou pour la fourniture d’un travail déterminé ». Cette citation de Marx est-elle encore valide aujourd’hui ? Il y a le salaire de subsistance, le salaire différé et depuis peu sont apparues les idées d’un revenu universel ou d’un salaire à vie. Serait-ce la fin du salariat ?
23 heures 25, « MARCHÉ »
Aujourd’hui, le marché occupe une place hégémonique dans les sciences économiques. D’Adam Smith et sa « main invisible » aux libéraux contemporains, tous y voient le principe central de l’économie. Forts d’un discours théologico-économique, ils en font un dieu incontestable. Pour les libéraux, le marché a toujours raison. Mais de la guerre commerciale à la guerre entre nations, il n’y a qu’un pas...
A partir du lendemain, le 16 octobre et les jours à suivre sur un site dont j’ignore l’accès mystérieux, vous pouvez achever de vous désespérer, sur Internet, en allant sur arte.tv avec deux épisodes qui n’ont pas trouvé place dans la « grille », comme le disait Saint-Laurent (pas YSL) :
« CAPITAL »
Comme tous les concepts économiques, le capital a une his¬toire. Une histoire singulière que l’on peut raconter de bien des manières. D’autant plus que la signification de ce terme s’est transformée au rythme du changement des modes de production... Plutôt que de faire une théorie du capital, la situation contemporaine de l’économie ne nous invite-t-elle pas à faire une théorie de l’actionnariat ?
« PROFIT »
D’où vient l’argent ? Au cours de l’histoire, les thèses se sont succédées sans parvenir à répondre à la question. Le profit est un concept fuyant. Pour Marx il était le produit d’un vol, le capitaliste volait au travailleur une part de son travail ; pour Milton Friedman, Prix Nobel d’économie, accroître les profits était l’unique responsabilité des entreprises. Entre l’enjeu financier et l’enjeu social, la querelle demeure.
Voilà. Si vous n’avez pas compris que vous n’avez pas d’autre choix, ce mardi 15 octobre, que d’aller au savoir – parce que c’est rare face à des écrans venimeux et crétins – c’est que vous êtes Alain Minc.
Jacques-Marie BOURGET
« Travail, Salaire, Profit ». ARTE Mardi 15 octobre 20h50
« Capital, Profit » sur arte.tv
Et un le livre de l’émission Les Lois du Capital, Edition Arte-Le Seuil.