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Tous antisémites ?

Deux incidents viennent de relancer le débat sur l’antisémitisme, débat pollué par le fanatisme et l’ignorance.

Le premier s’est tragiquement déroulé en France.

L’assassinat de Mireille Knoll, une vieille dame juive, rescapée de la rafle du Vel d’Hiv, les 16 et 17 juillet 1942, vivant seule dans son petit appartement de la banlieue parisienne a ému et révolté tout être humain digne de ce nom. Comment peut-on avoir l’abjection et la lâcheté de tuer une personne fragile de par son âge, mais forte de cœur ?

Ce forfait a-t-il été commis parce qu’elle était juive ? Les deux paumés qui ont été arrêtés voulaient sans doute s’emparer de sa « fortune » parce que tout le monde sait qu’une Juive, cela a beaucoup de sous ! En plus, ces deux petits cons la connaissaient et avaient bénéficié de sa générosité ! C’est ce qu’on peut appeler l’antisémitisme primaire.

Le trépas de Mireille Knoll a très vite symbolisé le regain d’antisémitisme que l’on constate particulièrement en France.

Le CRIF représentatif ?

Mais cet antisémitisme résurgent est exploité politiquement par quelques organisations de la communauté juive de France dont l’inévitable CRIF (Conseil « Représentatif » des Institutions juives de France) qui fait la pluie et le beau temps sur la question israélienne au sein de la classe politique française. Au dîner annuel du CRIF, tout le gratin politique se dispute les places jusqu’au président de la République qui y prononce un discours.

Une question : le CRIF est-il réellement représentatif de la communauté juive de France ? Certainement pas, parce que cette communauté comme toutes les autres est diverse. Il y a des Juifs religieux comme des Juifs laïques, il y a des Juifs sionistes comme des Juifs antisionistes, il y a des Juifs de gauche comme de droite et aussi apolitiques. En plus, ils appartiennent à des classes sociales différentes. Il y a des Juifs appartenant à la haute bourgeoisie, d’autres sont des enseignants, des fonctionnaires, des commerçants, des artisans, des ouvriers. Bref, les Juifs français ont un point commun : ils appartiennent à une même culture, mais ils sont aussi divers que tous les Français. Alors, est-ce le seul CRIF qui les représente ? Evidemment, non.

Après le meurtre de Mireille Knoll, plusieurs citoyens juifs et non juifs ont décidé d’organiser une marche blanche en sa mémoire qui a très vite été récupérée par le CRIF. De plus, il s’est arrogé le droit d’interdire aux représentants du Front national et de France insoumise d’y participer.

« Le CRIF, quant à lui, avait cru bon de déclarer que les leaders du FN et de la France insoumise n’étaient pas les bienvenus. Pardon, mais de quoi je me mêle ? Qu’est-ce qui permet au CRIF de prononcer des limites à la fréquentation de l’espace public ? Et puis, depuis quand lance-t-on des invitations pour un enterrement ? Quel était le message, on ne veut pas de votre colère, ou de votre tristesse ? Pas cachères ?

Heureusement, Daniel Knoll, le fils de la défunte a eu, lui, les mots qu’il fallait pour replacer la mort atroce de sa mère dans le malheur français d’aujourd’hui. Reste qu’une fois de plus, les Juifs de France ont été embarqués sans l’avoir voulu dans un combat qui n’est pas le leur. Alors, désolée pour ceux que cela chagrinera, mais il faut dire et redire que le CRIF n’a aucune légitimité à se présenter comme le parti des Juifs. Il n’a aucun droit d’imposer à la cacophonie juive française une ligne politique (surtout quand elle est aussi consternante et peu politique que celle-là). Quant à la LDJ [Ligue de Défense Juive], je ne sais pas ce qu’elle défend, mais comme on ne dit plus, ce n’est pas bon pour nous. »

Qui a écrit cela ? Un journaliste antisémite ? Eh bien, non ! C’est Elisabeth Lévy, journaliste de droite, revendiquant sa judéité, fondatrice du journal « Causeur » …

Et que s’est-il passé ? Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, tous deux députés à l’Assemblée nationale, ont été exfiltrés manu militari par les gros bras de la LDJ sous l’œil bienveillant des leaders du CRIF. Daniel Knoll, le fils de Mireille Knoll, a commenté brièvement cet incident :

« Je pense qu’il y a des gens biens partout, dans toutes les religions, tous les partis, toutes les couleurs de peau. Et il y a des abrutis, et chez nous aussi il y a des abrutis. Je le reconnais et je ne leur donne pas raison. Tout le monde aurait dû défiler dans le calme. »

La politisation de l’antisémitisme

La réalité : ces associations politisent l’antisémitisme. Par définition, en fonction de son appartenance politique, on est antisémite ou non. Donc, Le Pen et Mélenchon sont antisémites, alors qu’aucun des deux n’a tenu ou cautionné de propos antisémites.

Ces mêmes associations se permettent de qualifier d’antisémite toute personne qui affiche un soutien par trop radical à leurs yeux à la cause palestinienne.

Et pour effectuer du « nettoyage », ses dirigeants n’hésitent pas à faire appel à une milice privée d’ailleurs interdite aux Etats-Unis et en… Israël, la Ligue de Défense Juive qui avait été fondée par feu le rabbin Kahane.

Le second incident a lieu en Belgique.

L’Université Libre de Bruxelles (ULB) a décidé de remettre cette année-ci les insignes de Docteur Honoris Causa entre autres au cinéaste britannique Ken Loach. Tollé de plusieurs personnalités et associations juives belges.

Ken Loach est donc antisémite !

Ken Loach, homme de gauche radicale, a réalisé des films d’une qualité exceptionnelle exprimant ses préoccupations sociales, politiques et humanistes. On retient parmi eux l’extraordinaire Land and Freedom qui dénonce l’action des Staliniens pendant la guerre d’Espagne. Il a reçu deux fois la palme d’or du Festival de Cannes. C’est la qualité de son œuvre et son message humaniste que l’ULB a décidé d’honorer.

Cependant, Ken Loach a le grand tort d’être un militant affiché de BDS (Boycott Désinvestissements, Sanctions), association fondée par des Palestiniens et des militants occidentaux – américains comme européens – ayant pour objet de faire campagne contre l’achat de produits en provenance des colonies israéliennes dans les territoires occupés. On peut détecter ces marchandises à la lecture du code barre de leurs emballages.

Et BDS, cela fait mal. Si les Ultras du Sionisme se sont déchaînés contre cette campagne, c’est sans doute parce qu’elle est efficace !

C’est le professeur honoraire de l’ULB Jacques Brotchi qui est aussi un homme politique libéral, considéré à juste titre comme un sage en matière de santé publique, qui a été le premier à s’être insurgé contre la décision de remise des insignes de Docteur Honoris Causa de l’ULB à Ken Loach. Aussitôt, plusieurs associations juives ont emboîté le pas.

Elles ont publié le communiqué suivant :

« Nous sommes conscients qu’à travers ses films et son style sans concession, Ken Loach dénonce avec talent les inégalités sociales et réussit à y sensibiliser un large public.

Toutefois, « l’engagement et l’action dans le monde » d’un réalisateur ne peuvent se mesurer exclusivement à l’aune de ses réalisations cinématographiques. Il y a son œuvre cinématographique certes, mais il y a aussi le reste. Et le reste est déplorable.

Ainsi, Ken Loach a développé une haine obsessionnelle d’Israël jusqu’à faire du sionisme un mouvement allié des nazis et à considérer que les communautés juives attachées à cet Etat sont des entités hostiles.

Ken Loach est à ce point obsédé par Israël qu’il en devient incapable de dénoncer l’antisémitisme et le négationnisme lorsqu’ils s’expriment au sein même de sa famille politique.

Alors que des incidents antisémites se multiplient au sein du Parti travailliste britannique depuis qu’il est dirigé par Jeremy Corbyn, Ken Loach se range systématiquement du côté des militants travaillistes aux idées ouvertement antisémites et conspirationnistes, tout en affirmant qu’il n’a jamais entendu ni lu le moindre propos antisémite de leur part.

Pire, Ken Loach a lui-même tenu des propos plus que douteux lorsqu’une journaliste l’interrogeait en septembre 2017 sur la remise en cause de la Shoah. Incapable de condamner purement et simplement le négationnisme, il s’est perdu dans une réponse ambiguë en déclarant que « l’histoire est là pour être discutée par nous tous ».

Dans ce contexte, nous estimons que l’ULB ne devrait pas attribuer les insignes de docteur honoris causa à Ken Loach. Sa tolérance inacceptable à l’égard de l’antisémitisme et la forme révisionniste qu’il donne à son engagement pour la Palestine sont incompatibles avec les valeurs de respect que l’ULB doit incarner et mettre à l’honneur à l’occasion de cette cérémonie. »

Le Centre Communautaire Laïc Juif David Susskind
Continuité des Anciens Résistants Juifs de Belgique
L’Enfant Caché
L’Union des Déportés Juifs de Belgique - Filles et Fils de la Déportation
L’Union des Etudiants Juifs de Belgique

Ce communiqué reprend tous les poncifs de la propagande du gouvernement Netanyahou : Est antisémite tout individu qui soutient ouvertement les Palestiniens.

La « haine obsessionnelle d’Israël »

Des expressions comme « haine obsessionnelle d’Israël » le montrent. La critique des crimes de l’armée israélienne dans les territoires occupés est donc de la haine obsessionnelle ! Et, on va encore plus loin : « jusqu’à faire du sionisme un mouvement allié des nazis et à considérer que les communautés juives attachées à cet Etat sont des entités hostiles. » Doit-on rappeler que de hauts dirigeants de Tsahal ont dénoncé la dérive fasciste du gouvernement israélien et de certains partis qui le composent ?

Zeev Sternhell, l’antisioniste utile

Récemment, dans Le Monde, l’historien israélien Zeev Sternhell qui n’hésite pas à comparer la politique raciste du gouvernement actuel au nazisme !

Il commence par poser la question :

« Quand, exactement, les Israéliens, au moins en partie, ont-ils compris que leur cruauté envers les non-juifs sous leur emprise en territoires occupés, leur détermination à briser les espoirs de liberté et d’indépendance des Palestiniens ou leur refus d’accorder l’asile aux réfugiés africains commençaient à saper la légitimité morale de leur existence nationale ? »

En effet, une nouvelle loi a été adoptée sous la pression des deux partis les plus extrémistes du gouvernement israélien :

« L’élément le plus important de cette nouvelle jurisprudence est une législation dite « loi sur l’Etat-nation » : il s’agit d’un acte constitutionnel nationaliste dur, que le nationalisme intégral maurrassien d’antan n’aurait pas renié, que Mme Le Pen, aujourd’hui, n’oserait pas proposer, et que le nationalisme autoritaire et xénophobe polonais et hongrois accueillera avec satisfaction. Voilà donc les juifs qui oublient que leur sort, depuis la Révolution française, est lié à celui du libéralisme et des droits de l’homme, et qui produisent à leur tour un nationalisme où se reconnaissent facilement les plus durs des chauvinistes en Europe. »

Et l’objectif de la loi est de transformer l’Etat d’Israël en une nation purement juiv

« En effet, cette loi a pour objectif ouvertement déclaré de soumettre les valeurs universelles des Lumières, du libéralisme et des droits de l’homme aux valeurs particularistes du nationalisme juif. Elle obligera la Cour suprême(…) à rendre des verdicts toujours conformes à la lettre et à l’esprit de la nouvelle législation.

Mais la ministre va plus loin encore : elle vient juste de déclarer que les droits de l’homme devront s’incliner devant la nécessité d’assurer une majorité juive. Mais puisque aucun danger ne guette cette majorité en Israël, où 80 % de la population est juive, il s’agit de préparer l’opinion publique à la situation nouvelle, qui se produira en cas de l’annexion des territoires palestiniens occupés souhaitée par le parti de la ministre : la population non-juive restera dépourvue du droit de vote. »

Et, deuxième élément :

« Dans le même ordre d’idées, d’ores et déjà, en cas d’annexion officielle des territoires occupés, eux et leurs partis politiques annoncent sans complexe qu’ils refuseront aux Palestiniens la nationalité israélienne, y compris, évidemment, le droit de vote. En ce qui concerne la majorité au pouvoir, les Palestiniens sont condamnés pour l’éternité au statut de population occupée. »

Qu’on considère ou non, comme Elisabeth Lévy, que Zeev Sternhell soit un « savant utile de l’antisionisme », on ne peut que constater des faits : cette loi revient à retirer tous les droits fondamentaux à tout habitant non juif de la Palestine historique qui serait transformée en un Etat d’Israël purement juif.

L’image monolithique du Juif

Ce fait politique n’est-il pas bien plus grave que des propos prêtant à confusion recueillis de la bouche de Ken Loach dans une interview datant de 2017 ?

Heureusement, et c’est un démenti aux extrémistes, bien des Juifs et d’Israéliens sont farouchement opposés à ce nationalisme exacerbé. Et cela est le plus beau barrage à l’antisémitisme et à son image monolithique et caricaturale du Juif.

La preuve en est : l’Union des Progressistes Juifs de Belgique, par la voix de son représentant, Henri Goldman, s’est démarquée de la démarche des organisations juives de Belgique.

Cependant, le plus déconcertant, ce sont les extrémistes nationalistes qui font la pluie et le beau temps dans le gouvernement d’un Netanyahou affaibli par ses problèmes de corruption, qui ont exactement la même vision que les nazis et tous les antisémites, du peuple auquel ils appartiennent !

L’ULB a finalement répondu ce mardi soir 3 avril aux réclamations des associations en justifiant leur choix d’honorer Ken Loach.

« Monsieur Loach a été choisi par le Conseil académique de l’ULB, dans le cadre de l’Année des Diversités, en raison de son ‘œuvre militante relative aux conflits sociaux et la lutte pour le droit des travailleurs ou des immigrés clandestins’”, annonce l’ULB. “Si les prises de position politiques de Monsieur Loach dans le cadre du conflit Israélo-arabe attirent inévitablement les critiques de ses opposants, aucun élément du parcours de ce cinéaste engagé ne permet cependant d’étayer des accusations d’antisémitisme ou de révisionnisme à son égard. »

L’ULB maintient donc la cérémonie prévue le 26 avril prochain, lors de laquelle Ken Loach, ainsi que sept autres personnes, dont l’ancienne ministre française Christine Taubira, recevront la plus haute distinction universitaire.

Je reste dans le gris !

Concluons par cet épisode vécu et raconté par Michel Warshawski militant anticolonialiste et pour une paix juste et équitable en Israël Palestine.

Lorsqu’il fut arrêté pour avoir entretenu des contacts réguliers avec des Palestiniens, ce qui est interdit par une loi israélienne, il était déjà un militant connu. L’agent du Shinbeth qui l’interrogeait, lui proposa un marché – il risquait cinq années de prison – : « Regardez le sol. Il y a des damiers blancs et noirs. Si vous choisissez le blanc, c’est-à-dire le camp israélien et renoncer à vos relations avec les Palestiniens, vous serez libre. Si vous choisissez le noir, c’est-à-dire le camp palestinien, vous purgerez de longs mois en prison. »

Warschawski répondit : « Entre le blanc et le noir, il y a un interstice qui est gris. C’est là où je me trouve ! »

L’officier du Shinbeth lui laissa trois jours pour réfléchir. Lorsqu’il revint, après lui avoir demandé son choix, Warshawski lui répondit : « Je reste toujours dans le gris !  »

Et il purgea sa peine.

Et tant qu’on ne sera pas dans le gris, rien n’avancera !

Pierre Verhas

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