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Le capitalisme absolu

Il est de bon ton d’annoncer la fin d’un capitalisme agonisant. Rassurez-vous, bonnes gens, bien au contraire, le capitalisme se porte à merveille ! Un de ses principaux thuriféraires, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, un des leaders des GAFA, l’a annoncé en grande pompe : il lance une nouvelle monnaie baptisée la Libra signifiant « balance » en latin, qui a la caractéristique d’être mondiale et ainsi d’échapper à tout contrôle du système bancaire et monétaire international. L’économiste belge Bruno Colmant a déclaré que ce projet est une « révolution copernicienne ». Et il a raison !

Le principe de la Libra n’est cependant pas nouveau. Il existe déjà des monnaies virtuelles comme le Bitcoin et le réseau chinois WeChat a aussi sa propre monnaie. L’innovation consiste en l’ampleur que la Libra prendra sur le marché. Facebook compte près de 2,5 milliards d’amis, un peu plus d’un tiers de la population mondiale qui compte 7,7 milliards d’individus selon les derniers rapports de l’ONU. Et parmi les 2,5 milliards d’utilisateurs du réseau social le plus important, on compte 1,7 milliard d’utilisateurs qui n’ont pas accès au système bancaire, essentiellement des ressortissants de pays du Tiers-monde. Jamais dans l’histoire, un réseau d’échanges n’aura compté autant d’êtres humains.

Et Zuckerberg n’est pas seul. 27 partenaires se sont associés à son projet en y plaçant de l’argent, beaucoup d’argent. On compte, entre autres, Uber, eBay, Sportify, Booking et aussi PayPal, Visa et Mastercard, ainsi que free, le groupe du milliardaire français Xavier Niel, etc. On parle aussi d’Amazon qui pourrait s’ajouter à ce panel de transnationales du « néo » capitalisme. Bref, il est clair qu’est en train de se bâtir là une puissance financière inégalée et les banques « classiques » s’en inquiètent.

On passera ainsi d’un capitalisme plus ou moins sous contrôle à un capitalisme absolu échappant à tous les pouvoirs nationaux et internationaux existants. Même le FMI sera impuissant face à la Libra si elle se concrétise.

Comment va fonctionner la Libra ? Le principe en est assez simple. Cette monnaie numérique est adossée à un panier de valeurs relativement stables comme le dollar, l’euro ou la livre sterling. C’est sa différence fondamentale avec les autres monnaies cryptées. La Libra sera une vraie monnaie contrairement au bitcoin qui n’est basé sur rien et qui dépend donc totalement des fluctuations du marché et de la spéculation. L’objectif de la Libra, au contraire, est d’être le plus stable possible.

Elle fonctionnera de manière centralisée Elle n’est pas détenue par ses utilisateurs. La cryptomonnaie du géant Facebook – qui évite soigneusement d’apparaître trop ostensiblement sur le site Internet dédié à la Libra, appartient à la « Libra Association », une organisation basée en Suisse et détenue par ses 28 co-fondateurs. Ce sont donc de grandes entreprises technologiques, et financières surtout américaines, qui ont la mainmise sur cette nouvelle monnaie.

Les différents partenaires de Libra association.

Les utilisateurs de la Libra disposeront d’une application sur smartphone qui leur permettra de payer via Internet sur des plateformes d’e commerce, comme dans des magasins ordinaires et aussi via les messageries Whatsapp et Messenger.

La Libra servira au transfert d’argent pour ses utilisateurs grâce à un service plus rapide et moins cher que ceux que leur prodiguent les banques et Western Union. L’essentiel est que les échanges passeront par une chaine de blocs (blockchain) de transmission d’informations sécurisées et cryptées, sous le contrôle de Facebook. Ainsi, les transactions ne passent pas par le circuit ordinaire des banques. C’est la raison pour laquelle Visa et Mastercard se sont joints au consortium Libra : ne pas se laisser dépasser par des paiements par l’intermédiaire de la blockchain. Enfin, la Libra pourra être achetée dans tous les pays du monde avec de la monnaie locale, y compris en liquide pour des personnes ne disposant pas de compte bancaire.

C’est une application nommée Calibra, filiale de Facebook, qui traitera les paiements en Libra elle fixera les règles en matière de traitement des données personnelles liées aux paiements en Libra.

Selon le quotidien belge le Soir, « Facebook assure que les informations financières stockées dans le portefeuille virtuel Calibra disponible sur ses différentes applications seront strictement séparées de celles détenues par l’entreprise du réseau social. L’un des responsables de l’application Calibra, Kevin Weil, assure également qu’aucune donnée financière ne sera utilisée pour cibler de la publicité. »

Or, on sait que Facebook exploite les données personnelles des « amis » sans scrupules. Aussi, on peut douter de la validité des garanties faites par Zuckerberg et son équipe de la confidentialité des données financières des utilisateurs de Calibra !

Quelles en sont les conséquences ? Pour les pays au système monétaire instable comme l’Inde, le Brésil, le Venezuela, l’Argentine, si le nombre de transactions en Libra est massif, cela risque d’accroître leur situation précaire avec toutes les conséquences politiques, économiques et sociales que cela entraîne. Et, à terme, d’avoir des conséquences sur l’économie mondiale.

La fin de l’Etat-nation et le triomphe ou la fin de l’impérialisme étasunien ?

Il faut aussi noter que Libra fonctionne comme une véritable banque centrale. En effet, la Libra repose sur une réserve de change. Le Monde du 18 juin 2019 cite le philosophe libéral Gérard Koenig : « Cette monnaie globale signerait la fin des Etats-nations déjà bien vacillants. » Et le Monde cite l’économiste Philippe Herlin : « Si on ajoute à cela toutes les autres cryptomonnaies comme le bitcoin, les banques centrales ne seront bientôt plus les seuls maîtres à bord du système monétaire. » Cependant, comme on l’a vu, le bitcoin est très différent de la Libra.

Ainsi, il pourrait arriver que le taux de couverture de la masse monétaire aujourd’hui annoncé à « 1 pour 1 » pourrait être baissé en-dessous de 100%, permettant l’émission de libras sans contrepartie, bref de se créer un panier monétaire similaire à ceux dont disposent les banques centrales des monnaies souveraines : la planche à billets.

On pourrait aussi se poser la question du renforcement de l’impérialisme étasunien. Le dollar est et reste la monnaie de réserve. Il pèse aujourd’hui 61,7 % des réserves de change des banques centrales sous forme de bons du Trésor. Aussi, les réserves de la Libra en contiendront aussi une part non négligeable. Martin Della Chiesa spécialiste de la cryptomonnaie pose la question, toujours dans le Monde : « Dès lors, on peut s’interroger : la devise Facebook sera-t-elle un défi à l’impérialisme américain ou, au contraire, sa prolongation ? »

Et Alexis Toulet dans le blog de Paul Jorion évoque la puissance terrifiante que pourrait prendre la Libra.

« Si on imagine la Libra utilisée quotidiennement par 1 à 2 milliards de personnes, sa masse monétaire énorme générera une forte capacité de pression sur tout Etat. Voir cette remarque intéressante sur « Capital ».

« [Avec Libra] Facebook ne va pas concurrencer les États mais plutôt organiser la concurrence entre eux. Projetons-nous dans 10 ans quand le Libra sera utilisé par 1,5 milliard de personnes, soit plus que le yuan et quantité d’autres monnaies. Il y aura une masse monétaire monstrueuse et le rapport de force sera totalement inversé.

En cas de conflit avec la BCE, Libra pourra réduire la part de l’euro dans son panier de devises au profit d’autres monnaies. Ça fera chuter le cours de l’euro, du CAC 40 et aura des conséquences sur la zone euro, comme lorsqu’un fonds de pension fait pression sur des États, mais en version XXL. On se retrouvera sur un marché où le dollar ne sera plus l’étalon – ce que l’on peut regretter ou pas, remplacé par la Libra, en dépit de sa fonction de panier de devises. » »

Le glas du capitalisme « classique »

Ainsi, ce ne seront plus les Etats, ni les banques qui contrôleront la masse monétaire et sa circulation. Ce sera une entreprise transnationale qui disposera de tous les pouvoirs même si, au départ, Facebook se cachera derrière le système blockchain. Quid en cas d’échec ? Sans doute des dégâts importants si la sauce a pris, mais ne nous faisons aucune illusion, d’autres reprendront l’idée en tirant les leçons d’un éventuel revers du plus célèbre des réseaux sociaux.

Ainsi, on se rend compte qu’il s’agit d’une révolution fondamentale qui mettra hors-jeu les Etats et toutes les institutions financières. Cela risque de sonner le glas du capitalisme « classique » pour faire place à un capitalisme absolu tel que le rêvent les libertariens qui accroissent leur influence et leur pouvoir face à des institutions politiques et financières sclérosées qui se sont avérées incapables à répondre à la crise financière de 2008 qui est loin d’être terminée.

Mais, Libra est-elle un élément de la solution ? Certes non. Elle représente un danger majeur, car l’économie ne sera plus contrôlée, les échanges n’auront plus de garde-fou comme les banques centrales et le FMI. À terme, l’économie pourra tomber entre les mains de puissantes mafias, de lobbies et d’entreprises transnationales avec toutes les conséquences que l’on imagine.

Les néolibéraux pris à leur propre piège !

Voilà le résultat de la libéralisation et de l’affaiblissement de la puissance publique et de la souveraineté nationale comme internationale voulue par les néolibéraux depuis Mme Thatcher et M. Reagan. Politique qui a été poursuivie et accentuée par leurs successeurs aux Etats-Unis comme en Europe avec l’affaiblissement de l’Etat, la privatisation des entreprises et services publics, le démantèlement de la Sécurité sociale et la dérégulation économique et financière, sans compter les atteintes aux droits sociaux des travailleurs.

Eh bien ! Les voilà pris à leur propre piège, nos néolibéraux ! Ce serait réjouissant si les conséquences de cette dérégulation totale du système monétaire n’étaient pas aussi catastrophiques.

Dans une interview à Libération le 18 juin 2019, Gilles Babinet, spécialiste du numérique, s’alarme : « On ne peut pas lancer un système de paiement avec une échelle à terme de 2,5 milliards d’utilisateurs sans une large concertation avec les parties prenantes à commencer par les Etats. » Il met en évidence plusieurs dangers : « La conjugaison entre un réseau social avancé et un système de paiement est précisément ce qui permet les systèmes de « crédit social » comme en Chine avec une sanction des mauvais comportements. » Et puis, Facebook pourrait se transformer en banque : « Le risque que demain Facebook se mette à faire du crédit, et donc de l’émission monétaire. »

Gilles Babinet met en évidence un autre danger : « Je me souviens de ce que disait Peter Thiel qui siège toujours au conseil d’administration de Facebook, lorsqu’il a lancé Paypal [qui fait partie de Libra association] : il le voyait comme un moyen de contourner les Etats. »

Enfin, le risque majeur selon Babinet est de voir émerger une puissance monétaire capable d’influencer les marchés dans une échéance de cinq à dix ans.

La Libra est-elle inéluctable ?

Comment empêcher ce projet ? Babinet pense qu’une concertation avec des Etats et notamment ceux du G7 pourrait empêcher sa concrétisation. On peut en douter. En définitive, et il conclut par cela : il s’agit du choc de deux cultures. D’un côté, des Etats ou des associations d’Etats comme l’Union européenne qui cherchent à instaurer un système économique le plus libéral possible, mais soumis à des règles et à des normes et de l’autre une culture de rupture « libertarienne » incarnée par Facebook et les GAFA qui se montrent capables de mettre sur pied un système correspondant à leur propre philosophie et surtout à leurs intérêts et à leur volonté de puissance.

Au moins la Libra nous a fait comprendre qu’Etat, souveraineté, puissance et services publics ne sont pas des gros mots ! Mais demandons-nous si ce n’est pas trop tard !

En cette occurrence, il est urgent que l’imagination soit au pouvoir pour préserver l’essentiel et pour enfin retrouver le sens du mot progrès, le vrai pas celui de prédateurs au style cool et sans scrupules.

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"Pour sauver la planète, sortez du capitalisme" de Hervé Kempf
René HAMM
Le titre claque comme un slogan que l’on clamerait volontiers avec allégresse. Quel immense dommage que si peu de Vert(-e)s adhèrent à ce credo radical, préférant, à l’image de Dominique Voynet Daniel Cohn-Bendit ou Alain Lipietz, quelques commodes replâtrages ! Les déprédations gravissimes de l’environnement découlent d’un mode de production uniquement mû par « la maximisation du profit ». La crise économique actuelle, corollaire des turbulences qui ont frappé la bulle des hedge funds et (…)
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Soit dit en passant, c’est une chose assez hideuse que le succès. Sa fausse ressemblance avec le mérite trompe les hommes.

Victor Hugo

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