L’initiative citoyenne (exhumons les restes de René Lafont et rapatrions-les en France avec l’hommage que la journaliste mérite ») a eu un écho politique important en France (La Dépêche du Midi, L’Humanité, La République des Pyrénées, Sud-Ouest, France Inter...), et en Espagne, où de nombreux médias ont repris la dépêche de l’agence nationale de presse EFE, relayant l’initiative française et son bien-fondé. Nous avions envoyé à l’Elysée, par message électronique, le 11 février dernier (avec accusé de réception de l’outil « écrire au président » ce même jour), une première requête ainsi que l’appel citoyen (voir lien pétition sur « mesopinions.com »).
Nous n’avons à ce jour reçu aucune réponse, ce qui nous amène à réitérer notre démarche, avec plus d’insistance, auprès d’un président de la République et d’un premier ministre qui ne sauraient éluder leurs responsabilités en la matière, conformément à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Art-9, C, notamment (texte ratifié par la France en septembre 2008, et entré en vigueur en décembre 2010). La disparition forcée, l’absence de jugement adéquat sont par ailleurs des crimes contre l’humanité (art 7, Statut de Rome de la CPI), et par là même imprescriptibles.
Monsieur le président de la République, E. MACRON
Monsieur le premier ministre, E. PHILIPPE
Depuis 82 ans, une journaliste et romancière française, Renée Lafont, née à Amiens en 1877, gît dans une fosse commune, à Cordoue (Espagne), aux côtés de 2 000 autres suppliciés du franquisme.
Elle couvrait les combats de Cordoue (été 1936) pour le compte du « Populaire », journal de Léon Blum, artisan d’une « non-intervention » aux allures de « farce tragique ».
Sur le front, elle est blessée par des tirs de phalangistes, capturée ; et la version un temps officielle fait état de mort par « anémie et hémorragie ». Depuis, les témoignages et les archives ont pourtant confirmé qu’elle fut bel et bien fusillée le 1er septembre 1936 par les franquistes, accusée intentionnellement d’espionnage au profit du gouvernement de Madrid. Courageuse, sur le chemin de la mort, elle saute du camion et tente de s’évader. Renée Lafont est une femme en avance sur son temps, libre, engagée, très cultivée, polyglotte, traductrice de grands auteurs espagnols, et romancière de renom.
Depuis 1936 et 1937 (citée furtivement au Congrès de la SFIO), elle a été victime d’un pesant oubli, d’une amnésie imposée, et ni son engagement ni sa mémoire n’ont reçu quelque écho, quelque hommage que ce soit. Qui dérange-t-elle ? Qui n’a pas intérêt à ce que s’ouvrent, conformément aux juridictions internationales, les fosses communes du franquisme ? L’Espagne est, à n’en pas douter, le second génocide, après Pol Pot : entre 115 000 et 150 000 corps restent sans sépulture digne de ce nom. Si le gouvernement espagnol du Parti populaire s’en contrefiche royalement, (il a même supprimé toute subvention aux associations mémorielles), le Conseil municipal et la Mairie de Cordoue ont majoritairement voté pour la constitution d’équipes pluridisciplinaires afin de réaliser un premier état des lieux des deux grandes fosses des cimetières cordouans, et pouvoir, selon les autorités municipales, commencer les travaux d’ouverture et d’exhumation en avril prochain. Le Conseil municipal de Cordoue est en outre engagé dans une politique de justice transitionnelle, basée sur les notions essentielles de « vérité, justice et réparation ». Il met également en place une réelle politique de défranquisation. La France a donc des interlocuteurs motivés, et parfaitement légitimes.
Un appel citoyen a recueilli plus de 1 400 signatures afin de mettre un terme à cette insoutenable situation, à un tel déni de justice. De nombreuses associations, mouvements, se sont prononcés, et continuent de le faire, dans le même sens.
Vous vous devez, Monsieur le président, monsieur le premier ministre, de répondre au questionnement et à la requête de ces citoyens français attachés à la mémoire historique autant qu’à la défense des Droits de l’Homme, hier comme aujourd’hui.
Il serait temps que la France exige l’ouverture de la fosse cordouane de La Salud, et l’exhumation des corps, afin d’en identifier toutes les victimes et plus particulièrement celui d’une citoyenne française. Lorsqu’il y a crime contre l’humanité, vous le savez, la législation internationale demande aux Etats d’assumer leurs responsabilités, conformément aux différents accords et textes de droits internationaux et de droits universels Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Haut Commissariat des Droits de l’Homme, 2006 ; Conventions de Genève, ONU, Bruxelles...)
Dans l’attente d’une réponse, qui pourrait difficilement être négative, nous vous prions, Messieurs, d’agréer, l’expression de notre haute considération et de nos sentiments républicains.
Jean ORTIZ, Maître de Conférences honoraire, Université de Pau, fils de combattant républicain de la Guerre d’Espagne (Albacete), et maquisard (« guerrillero ») en France (Aveyron, Bassin de Decazeville)