Au cours de cette série, l’histoire tumultueuse du FMI en Ukraine est analysée depuis le déclenchement de la crise de 2007/2008 jusqu’à aujourd’hui, avec une attention particulière sur la période post-insurrectionnelle de 2014. Le plan d’endettement approuvé au forceps par le gouvernement non élu à l’issue du mouvement révolutionnaire est une aubaine pour l’institution et lui permet de renforcer ses recettes capitalistes dans l’ancienne Union soviétique.
La réforme du FMI est rejetée et le versement pour l’Ukraine approuvé
Depuis sa création, la structure du pouvoir au sein du FMI bénéficie aux États-Unis et à ses alliés victorieux au sortir de la seconde guerre mondiale. Profondément inégale, cette répartition du pouvoir qui repose sur la règle « 1 dollar = 1 vote », est de plus en plus contesté par les pays émergents qui veulent leur part du gâteau. Cette querelle exclue de fait les pays pauvres et appauvris, comme l’Ukraine, qui n’ont jamais eu et n’auront pas voix au chapitre au sein de cette institution tant que celle-ci existera. En effet, les États-Unis possèdent une minorité de blocage puisque les décisions importantes nécessitent 85% des voix alors qu’ils détiennent à eux seuls 16,75% des droits de vote. Ils conservent ainsi leur droit de veto depuis la création du Fonds en 1945. L’Ukraine qui fait partie d’un groupe de 16 pays ayant droit à un seul siège sur 24 au Conseil des gouverneurs, n’en détient actuellement que 0,57% |1|.
Les États-Unis bloquent à nouveau la réforme des quotes-parts du FMI
Pour tenter d’établir un semblant de démocratie, et satisfaire la demande des pays émergents, une réforme sur l’augmentation des quotes-parts |2| et le transfert des droits de vote est finalement approuvée par les États membres à la réunion de printemps du FMI en avril 2008 |3|. Le G20 à Pittsburgh en 2009, confirme son accord pour transférer 5% des droits de vote - 3% pour la Banque mondiale qui fonctionne aussi selon la règle « 1 dollar = 1 vote » – des pays riches sur-représentés (notamment la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France) vers les pays émergents. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, a à nouveau interpellé les pays membres du Fonds en janvier 2014 pour une meilleure répartition donnant plus de pouvoir aux pays émergents. Alors qu’elle détient à peine plus de droits de vote que l’Italie (3,81 % contre 3,16 % respectivement) et moins que la France (4,29 %), l’enjeu permettrait à la Chine de devenir le 3ème membre de l’institution.
La réforme poursuit son cours interminable et est approuvée cette fois par le Conseil d’administration du FMI fin 2010. Elle renforcerait par ailleurs les moyens d’intervention du Fonds en doublant les ressources permanentes des quotes-parts, pour les porter à environ 755 milliards de dollars |4| sans que les États-Unis aient a contribuer plus. En apportant plus de capitaux cela permet aussi aux pays émergents, comme la Chine, la Turquie, l’Inde, le Brésil, le Mexique ou la Corée du Sud de relever leur quotes-parts, et leurs droits de votes en conséquence. Les pays émergents et en développement passeraient de 39,4% à 44,7%, au dépend des pays les plus riches qui ne perdraient que 5,3 points de pourcentage et conserveraient plus de 55 % des voix. Cette « mini-réforme » ne remettrait donc pas en cause le rapport de force en faveur des États-Unis et des pays riches qui règne au sein de l’institution basée à Washington depuis sa création. Les grands perdants seraient sans surprise les pays appauvris – aussi appelés pays en développement – et notamment les pays africains qui perdraient 0,4 points de pourcentage alors qu’il ne détiennent que 6,8 % de droits de vote.
L’Ukraine révèle le refus catégorique des républicains à tout changement au sein du FMI
La crise ukrainienne a été le prétexte pour les États-Unis de relancer le débat sur cette réforme de la gouvernance du Fonds. L’administration Obama (démocrate) a voulu l’inclure dans un projet de loi dans le cadre de l’aide d’un milliards de dollars promise en toute hâte à l’Ukraine. En effet, en augmentant les quotes-parts et donc en stimulant les ressources disponibles du Fonds grâce à l’apport supplémentaire de pays émergents, celui-ci serait en mesure d’accroître les disponibilités pour l’Ukraine et d’autres futurs candidats qui ne manqueront pas de se présenter. L’Ukraine pourrait ainsi obtenir à 18,6 milliards de dollars sur trois ans, sans financement exceptionnel, contre 12,6 milliards actuellement. De plus, la Maison blanche presse depuis un an le Congrès d’approuver un transfert de 63 milliards de dollars des fonds de crise du FMI vers les ressources générales de l’organisation. Cependant les républicains y sont défavorables et ne souhaitent plus envoyer autant de capitaux dans un contexte de crise. Ils jugent disproportionnée l’augmentation du poids des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine..) et craignent pour la suprématie étasunienne au sein du FMI. « Je trouve inexcusable qu’une telle mesure, voulue par Poutine, soit incluse dans une proposition de loi destinée à aider notre allié assiégé » souligne le sénateur républicain Ted Cruz |5|. Devant l’opposition des républicains, le texte a finalement été retiré et abandonné par ses promoteurs démocrates le 25 mars afin de voter au plus vite le prêt d’un milliard de dollars à Kiev, une aide de 150 millions pour l’Ukraine et les pays voisins ainsi que des sanctions aux russes et ukrainiens responsables de corruption.
En définitive, les États-Unis nous apportent la preuve une fois de plus, qu’ils contrôlent le Fonds en faisant l’impasse sur l’entrée en vigueur d’un changement structurel minime de l’institution, pourtant approuvée par les Parlements des 187 autres pays membres. Celle-ci est toujours en attente de ratification par le Congrès étasunien depuis décembre 2010.
Partie 1
Partie 2
Partie 3
Notes
|1| Le groupe des 16 pays auquel appartient l’Ukraine détient 6,57% de droit de vote. Voir la répartition des droits de vote des pays membres du FMI : http://www.imf.org/external/np/sec/...
|2| La quote-part d’un pays membre détermine son engagement financier maximum envers le FMI ainsi que son pouvoir de vote. Fin mars 2008, le total des quotes-parts s’établissait à 217,4 milliards de droit de tirage spécial (DTS) (soit environ 354,3 milliards de dollars).
|3| http://www.ladocumentationfrancaise... Communiqué de presse du FMI, 29 avril 2008 : Le Conseil des Gouverneurs du FMI adopte à une large majorité les réformes des quotes-parts et de la représentation. http://www.imf.org/external/french/...
|4| Ce montant est valable au taux de change de l’époque vis à vis des Droits de Tirage spéciaux, le panier de devises du FMI. http://www.imf.org/external/french/...
|5| Le Monde, Le congrès américain abandonne la réforme du FMI, AFP, 25 mars 2014.