Introduction critique au marxisme analytique
Les œuvres de Karl Marx n’auront jamais cessé de faire le débat. Parmi tous les courants d’interprétation, il en est un peu connu en France, le marxisme analytique. Ce mouvement a pris naissance en 1978 avec la publication du livre de Gérald A.Cohen, Karl Marx’s theory of history : a Defence, qui a paradoxalement associé la philosophie analytique, de tendance positiviste, au corpus de Karl Marx. Cette parution a été suivie de plusieurs rencontres annuelles, d’où sera issu le "Groupe de septembre", élément central de ce courant de pensée. A quelle lecture procède le marxisme analytique ? Que devient le marxisme sans la méthode dialectique ? Le marxisme est-il soluble dans la philosophie analytique ? Fabien Tarrit apporte des éléments de réponse dans son dernier ouvrage, Le marxisme analytique, dans lequel il présente de façon critique ce courant de pensée anglo-saxon. L’auteur précise : "Ce livre vise à prendre le marxisme analytique au sérieux, avec pour objectif d’en tracer le contour, d’en dégager les fondements, de le situer par rapport à son objectif de reconstruire, recycler, reconsidérer, reconceptualiser, rajeunir, restreindre, réinterpréter, révolutionner, repenser, interpréter le marxisme".
Fabien Tarrit souligne, dès le premier chapitre, le déplacement majeur que le marxisme analytique impose aux idées de Karl Marx, à savoir le rejet de la méthode dialectique, qualifiée de foutaise tout en la critiquant pour son manque de clarté. Robert Brenner, Eric Wright, John Elster, John Roemer, tenants de la logique formelle, entendent en fait détacher le marxisme de sa base hégélienne qui l’aurait empêché d’être utile à l’émancipation sociale. En contestant toute unité méthodologique dans les œuvres de Karl Marx, les marxistes analytiques essayent d’autres méthodes venant des sciences sociales dominantes pour interpréter la pensée marxienne.
L’auteur reproche aux marxistes analytiques d’avoir séparé le marxisme de sa spécificité dialectique en utilisant des instruments épistémologiques contraires à l’inspiration de l’œuvre de Karl Marx. Le marxisme analytique est ainsi critiqué pour son exclusivité cognitive qui néglige l’importance des luttes sociales, réduisant le marxisme à une science sociale neutre. Dans cette perspective, le marxisme serait amputé de ses principaux piliers et Fabien Tarrit ne passe pas par quatre chemins pour affirmer l’échec de cette approche de la pensée marxienne, la ramenant à une "lecture étroite de l’édifice théorique marxien".
Le livre de Fabien Tarrit est la première étude en français publiée sur le marxisme analytique, qui manifeste une rencontre entre le marxisme et le monde anglosaxon, traditionnellement réfractaire aux idées de Karl Marx. Contre la thèse de la disparition du marxisme, les marxistes analytiques cherchent à renouveler à leur façon le "spectre de Marx" avec des propositions théoriques divergentes mais qui se rencontrent sur leur éloignement progressif de l’œuvre de Karl Marx. Cependant, leur prétendue ambition de "clarté conceptuelle" les aurait conduits, selon Fabien Tarrit, à négliger ce qui fait la puissance propre de la pensée de Karl Marx, la puissance contestatrice : Ce en quoi ce courant de pensée serait, selon lui, plus marxisant que marxiste.
Jean-Jacques Cadet.
Doctorant en philosophie
Le marxisme analytique, de Fabien Tarrit,
éditions Syllepse, 2014,
142 pages, 10 euros.
ISBN : 978-2-84950-409-3
Chez l’éditeur : http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_60_iprod_598-le-marxisme-analytique.html