
C’est un ouvrage intéressant qui mérite d’être connu, en tout cas pour celles et ceux qui s’intéressent aux Syndicalistes Révolutionnaires et au Mouvement anarchiste. Petite anecdote : on doit à l’Union des Travailleurs Communistes-Libertaires le fait de voir aujourd’hui dans toutes les manifestations, des cortèges syndicaux surplombés par un ballon-montgolfière, c’est l’UTCL qui a en eu l’idée la première. Sans doute, l’auteur n’a pas voulu que cela soit la seule chose que l’on retienne de l’action des Communistes-Libertaires, c’est pourquoi il a rédigé cet ouvrage et il a bien fait.
Syndicalistes et Libertaires, histoire de l’UTCL (1974-1991) par Théo Rival
“ Un voyage plein d’espoir vaut mieux que l’arrivée à destination, et le vrai succès est dans l’effort ” (Robert Louis Stevenson).
Ce livre est d’autant plus intéressant, pour les militants qui ont baigné dans la même culture syndicale, laïque et politique que moi, pour qui la CFDT et ses multiples déguisements, tours, détours et contours n’ont jamais été leur tasse de thé. C’est donc un « nouveau monde » que l’on découvre quand on lit cet ouvrage.
Pour nous, la CFDT a toujours été une organisation issue de la Doctrine sociale de l’Église chargée de mettre en œuvre un projet corporatiste. Ce livre ne peut que me conforter dans cette appréciation. Débarrassée de ses oripeaux de Mai 68, avec la perspective de la venue au pouvoir du PS, elle pouvait afficher sa véritable nature de collaboration de classes (pratique assez partagée aussi par d‘autres centrales syndicales), mais son « Petit + » était et reste fondamentalement l’intégration du mouvement syndical dans le Corporatisme le plus éhonté et le plus servile pour les intérêts du Capital.
Et le Huitième jour, Dieu créa la CFDT
Dans mon analyse « Où va le Patronat ? Bilans et Perspectives », parue dans le Numéro 4 des Cahiers de l’Observatoire social de la Libre Pensée (téléchargeable gratuitement sur le site de la Libre Pensée, j’expliquais ceci :
L’intégration des organisations syndicales (et plus généralement du mouvement ouvrier dans ses différentes composantes) dans le dispositif étatique, économique et patronal est une étape supérieure à la collaboration de classes. Elle suppose la liquidation de l’indépendance de classe du prolétariat pour le subordonner aux besoins du capital.
Le corporatisme est le stade final de la destruction du prolétariat en tant que classe sociale. C’est la ciguë cléricale qui « unifie » l’exploité et l’exploiteur dans le Corps mystique du Christ. C’est une conception totalitaire (le tout) où chaque corps social (classe sociale) n’est qu’une partie d’un ensemble destinée à fonctionner avec les autres parties sans distinction de but. C’est le fameux « bien commun » des encycliques papales. La version moderne en fut La tête et les jambes de Pierre Bellemare où Laurent Fabius excella un jour.
En 1964, quand la CFTC se transforme en CFDT, l’une des premières démarches d’Eugène Descamps est d’aller voir François Ceyrac qui est responsable des relations avec les syndicats. La CFDT propose alors un marché au patronat : « Nous reconnaissons la légitimité du pouvoir patronal, la valeur de l’économie de marché, mais nous voulons le partage du pouvoir, la cogestion dans les entreprises ». Cela est discuté lors de sept à huit réunions.
Marcel Meunier, Président de la Commission sociale du CNPF dit non, car il n’en voit pas l’intérêt. Dépitée, la CFDT se tourne alors vers la CGT et conclut le « Pacte d’unité syndicale ». Le tournant « gauchiste » de la doctrine sociale de l’Église en prend un vilain coup quand on connait cela.
En 1978, lors du « recentrage », une nouvelle tentative de séduction du patronat est entreprise par Edmond Maire. Cette fois une oreille attentive approuve et au cours de négociations secrètes sur la réduction du temps de travail et l’aménagement du temps de travail, la CFDT fait toutes les concessions nécessaires pour complaire au patronat. Mais l’UIMM refuse le marché, ainsi que la base de la CFDT, ce qui va provoquer bien des remous en son sein.
Tout cela est le prélude de la « refondation sociale » du MEDEF qui va faire de la CFDT le porte-plume des patrons et modifiera profondément le paritarisme. La CFDT n’aura pas tout perdu, puisque selon le rapport Perrruchot, cela permettra de constituer, par le biais de ce paritarisme quelque peu dévoyé, un bas de laine de 350 millions d’euros pour la succursale du Vatican.
Mais, dès lors, il n’y aura plus une grande « messe patronale » sans la présence d’un représentant de la CFDT. En 2006 est mis fin au repas traditionnel entre la Commission sociale des Evêques et le MEDEF. Serait-ce la séparation de l’Église et du patronat ? Que nenni, la CFDT est toujours là pour représenter la doctrine sociale de l’Église.
Selon Thierry Renard : « La CFDT a beau s’intituler « référent syndical », son seul projet est un projet d’appareil se résumant à une collaboration et à une gestion institutionnelle avec le patronat ».
Une fois le cadre posé pour la clarté de mon propos, il ne convient pas de jeter le bébé avec l’eau sale du bain. On peut parfaitement comprendre que dans le contexte de l’époque, après 1968, des militants libertaires aient pu tenter une expérience et des initiatives dans le cadre de la CFDT, surtout que c’était l’époque du « Socialisme autogestionnaire » et que l’on peut mettre dans le mot « autogestion » (si chère aux libertaires) tout ce que l’on veut et son contraire avec.
Rappelons le paysage syndical « ouvrier et de gauche » de l’époque : CGT, CGT-FO, FEN. Alors la CFDT pouvait passer pour une solution possible pour des militants libertaires voulant changer le monde, c’est un fait que l’on ne peut nier. Pour des militants révolutionnaires comme moi, la fin de cette possible aventure était écrite d’avance : la CFDT allait retourner au vomi de la CFTC, encore qu’aujourd’hui celle-ci apparait parfois, non pas « plus à gauche », mais « moins à droite » que la CFDT qui est un véritable paillasson du patronat. Être « moins à droite » que la CFDT aujourd’hui ne relève pas d’un exploit olympique !
Je n’entends pas faire passer les militants de ma « sensibilité » pour des « diseuses de bonne aventure », mais appuyés sur une certaine culture historique, nous pouvions entrevoir le processus. Il faut là encore pondérer l’analyse, car nous ne sommes pas des bookmakers qui prennent des paris à la fin du match. « L’opposition interne » de la CFDT a été quand même jusqu’à recueillir 45% des mandats lors du Congrès confédéral d’Annecy en 1976. En 1982, au Congrès de la CFDT, 300 délégués se réunissent dans un « Forum des amendements non-retenus » par la direction confédérale, organisé par l’opposition.
Ce n’est pas rien quand même et cela pouvait entretenir la volonté de déborder l’appareil jusqu’au bout. Pouvait-on changer la nature de la CFDT ? Chacun a son point de vue sur la question, d’autant qu’être dedans ou dehors, n’entraine pas les mêmes choses du point de vue militant.
Brève histoire de l’UTCL
● À la suite des grandes grèves de 1974 dans les banques, les PTT et le rail, se forma au sein de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) une tendance ouvriériste et syndicaliste révolutionnaire, nommée Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL). Cette tendance UTCL, principalement animée par de jeunes postiers, cheminots et électriciens CFDT, reprochait à l’ORA sa dérive gauchiste et antisyndicaliste qui l’éloignait du militantisme en entreprise. L’UTCL voulait réancrer l’anarchisme dans le mouvement ouvrier et dans le syndicalisme. À son congrès de Pâques 1976 à Orléans, l’ORA décida d’exclure la tendance UTCL, avant de se rebaptiser Organisation communiste libertaire (OCL).
● 1er Congrès de fondation : les 25-27 mars 1978.
● En 1979, l’UTCL négocia l’entrée en son sein de l’Organisation Combat anarchiste (OCA). La fusion fut actée au IIème congrès de l’UTCL, en novembre 1979. Selon les témoignages publiés dans l’ouvrage, il y eut un débat homérique visant à supprimer le A entouré d’un cercle pour jeter symboliquement les amarres avec l’Anarchisme traditionnel. Peu après, l’UTCL reçut l’adhésion de Georges Fontenis (ex-FCL, ex-MCL) et de Daniel Guérin (ex-ORA).
● Au début des années 1980, l’UTCL fut active dans la solidarité avec les dissidences ouvrières dans les pays du bloc soviétique, relayées entre autres par la revue libertaire Iztok. En 1980, l’UTCL organisa ainsi une tournée de meetings avec Viktor Fainberg et Vladimir Borissov, deux représentants du SMOT (syndicat libre interdit en URSS) réfugiés en France. À la même époque, ses militants participèrent à l’appui logistique à Solidarność, alors en butte à la répression de l’État polonais.
● Cette activité culmina avec l’organisation du colloque « Cronstadt 1921-Gdansk 1981, soixante ans de résistance au capitalisme d’État », à Paris, associant des historiens (Marc Ferro, Daniel Guérin, Henri Arvon, Jean Barrué, Jacques Baynac, Arthur Lehning, Frank Mintz, Boris Souvarine, David Rousset), des vétérans révolutionnaires (Marcel Body, Ante Ciliga) et des dissidents de l’Est (le Bulgare Kiril Yanatchkov, le Roumain Mihnea Berindei, le Hongrois Pierre Kende, les Russes Viktor Fainberg et Vladimir Borissov).
● Au moment des législatives de mars 1978, l’UTCL mena une campagne abstentionniste en association avec l’Organisation Combat anarchiste (OCA), créée en 1976 et qui fusionnera avec l’UTCL au IIème Congrès de celle-ci en 1979. Leur plateforme « Pour une alternative révolutionnaire » fut également signée par le groupe Combat communiste (CC) qui était une scission de Lutte Ouvrière.
Pour la présidentielle de 1981 en revanche, l’UTCL fit un pas de côté et préconisa « Pas une voix ouvrière à la droite, pas une illusion pour la gauche ! La solution est ailleurs... elle est dans nos luttes ! » Lors de la présidentielle de 1988, enfin, l’UTCL, sans appeler à voter pour le candidat de « gauche alternative » Pierre Juquin, participa de façon critique aux « comités d’initiative et de soutien » qui avaient fleuri dans le cadre de cette campagne.
● 1986 au IVème Congrès de l’UTCL de Nantes, adoption du Projet Communiste Libertaire.
● À partir de 1988, l’UTCL fit le pari de s’autodépasser au sein d’un rassemblement des communistes libertaires. En mai 1989, fut rendu public un « Appel pour une alternative libertaire » cosigné par plus de 150 personnes issues de différents horizons du mouvement : UTCL, OCL, TAC, COJRA, revue Noir et Rouge. Un processus d’unification débuta alors, qui conduisit à la fondation, en mai 1991, d’Alternative libertaire. L’UTCL et le Collectif jeunes libertaires (CJL) décidèrent alors de s’y autodissoudre.
● Disparition : Vème Congrès du 16 juin 1991 et adoption du texte-bilan.
(Source : Wikipédia et Théo Rival)
Pour les militants de l’UTCL, leur autodissolution tenait plus de l’autodépassement, même si le résultat était le même, la structure disparaissait, les militants restaient. Son action voulait s’appuyer sur l’histoire des Syndicalistes Révolutionnaires. Ceux-ci étaient rentrés dans la CGT-U au début des années 1920 puis, quand survint la stalinisation du PCF, ils la quittèrent pour fonder une troisième CGT, la CGT-Syndicaliste Révolutionnaire (CGT-SR) en 1926. Celle-ci adhère à l’AIT refondée en 1922 par la CNT Espagnole, la FAUD Allemande, l’USI Italienne et la SAC Suédoise. C’est alors qu’ils reprirent le diminutif d’Anarcho-Syndicaliste attribué par les Bolcheviks.
Quelques éléments d’histoire intéressants
L’ouvrage est riche en détails. Alors que l’ORA était dans la « Nuit des barricades » en mai 1968, la FA faisait gala à la Mutualité avec le Groupe Louise Michel et refusait d’y participer. Comme quoi, il n’y eut pas que les « lambertistes » qui adoptèrent cette attitude à ce moment-là. Cela entrainera, avec bien autre chose, le départ de l’ORA de la Fédération Anarchiste, (qui fut fondée en 1967 au Congrès de Bordeaux de la FA), passant de la tendance à une organisation nécessairement concurrente. L’ORA était hébergée au 33 rue de Vignoles à Paris, dans les locaux de la CNT Espagnole, car celle-ci avait jugé la FA comme inexistente en 1968 et elle lui faisait ainsi le coup de pied de l’âne.
L’ORA subit une infiltration-provocation d’un agent franquiste. Rappelons que la prégnance de l’Espagne révolutionnaire était très forte et que les flics franquistes devaient surveiller tout cela de près. On verra cette prégnance au moment de l’exécution barbare par garrot de Salvador Puig i Antich, pour les militants qui ont connu cette époque, ce fut un moment d’horreur et d‘indignation partagée par toutes les organisations. Le Moyen-Âge frappait à nos portes.
Le flic infiltré réussit à faire partir un quart des membres de l’ORA vers la Ligue Communiste (le NPA aujourd’hui). Le motif de l’exclusion était pour « trotskysme » ; comme le note l’auteur, il n’y avait strictement aucun rapport avec cela. La Ligue Communiste, bien que dûment informée par l’ORA de la vraie nature du « rallié », ne cessa de crier victoire. Cela, sous fond d’attirance du marxisme chez certains Libertaires. Le même provocateur déposera des armes au local de la Ligue Communiste, ce qui renforça le dossier de sa dissolution par le ministre de l’Intérieur en 1973, après l’affrontement lors du meeting d’Ordre Nouveau à la Mutualité.
L’UTCL était représentée au centre de tri PTT de Paris-Brune où 2 000 postiers côtoyaient toutes les tendances de « l’extrême-gauche » qui l’appelaient leur « Billancourt ». Maxime Vivas en fit un roman dont je ferai une recension dans une prochaine Raison présente car tous ceux qui l’ont lu semblent l’apprécier hautement (j’ai de même beaucoup aimé son ouvrage de vérité sur les Ouïghours.
La naissance de l’UTCL coïncide avec le moment où l’appareil confédéral CFDT va en même temps commencer son « recentrage » vers le patronat et se rallier au Parti socialiste dans le cadre des « Assises du Socialisme ». Ce qui fera réagir les militants Communistes-Libertaires dans l’Union locale CFDT Paris 8-9 par une affiche devenu célèbre : « Comme ton patron, adhère au PS », c’était déjà trop pour la CFDT, mais ce qui décupla sa rage fut le petit dessin en bas à droite de l’affiche qui était assez explicite et qui montrait comment les militants locaux de la CFDT voyaient tout cela. L’Union locale fut exclue manu-militari de la CFDT, car « chez ces gens-là, on ne rit pas, on vire ». Dès lors, l’appareil confédéral CFDT se mit à établir un fichier des « mal-pensants » pour mieux les exclure.
Dans la période de 1983/1984, tout cela sera nourri aussi par la répression engagée par le gouvernement de « gauche » » de François Mitterrand, Charles Fiterman alors ministre « stalinien » des transports enverra ses flics contre les grévistes d’Air Inter et Quilès « socialiste » enverra les siens contre les grévistes des PTT.
Ceux qui vont fonder l’UTCL existent aux PTT, dans les Banques, et à la SNCF. Ils vont constituer une « tendance secrète » dans l’ORA. Elle sera alimentée par le cours anti-syndicaliste de celle-ci qui mettait, au nom de la « violence révolutionnaire de masse », sur le même plan partis et syndicats, ce qui était un reniement de tout ce qu’avait porté l’Anarchie et particulièrement les Anarcho-Syndicalistes. Les militants de la future UTCL seront exclus de l’ORA à son congrès de 1976, y compris Daniel Guerin, ce qui n’est pas rien quand même !
L’UTCL se définissait comme « l’avant-garde consciente et active des masses populaires » et promouvait « une conception anarchiste de la minorité agissante » et de « se donner pour tâche le développement de la responsabilité politique directe des masses » afin de viser « à développer la capacité d’auto-organisation des masses ». Ses militants se définissaient comme « animateurs autogestionnaires de lutte ». On peut dire que c’était assez ambitieux ou qu’ils ne se mouchaient pas du coude. Dans le point 3 de ses Principes adoptés au Congrès fondateur de 1978, on pouvait lire « La participation aux luttes de masses revendicatives des travailleurs. Et aujourd’hui la participation active à la CGT et à la CFDT ». Ce qui les délimitait des autres Anarchistes et Anarcho-Syndicalistes, comme Maurice Joyeux, Alexandre Hébert, Marc Prévotel ou Joaquim Salamero qui étaient dans la CGT-Force Ouvrière.
Des tentatives de rapprochements seront faites entre l’UTCL et , l’Alliance Syndicaliste (AS) et l’Organisation Combat Anarchiste (OCA) et aussi avec notre camarade et ami Alexandre Hébert, tout ceci ne donnera rien. L’un des débats fracturant sera la volonté de créer ou pas une CNT-Française, l’UTCL y verra une illusion dangereuse. On retrouve dans toutes ces tentatives Daniel Guerin que l’on ne présente pas et pour qui nous avons tous un immense respect et Georges Fontenis, pour qui nous n’en avons aucun, il était revenu de son OPA sur la FA qu’il transformera un temps en Fédération Communiste Libertaire, ce qui lui vaudra une haine tenance de la rue Amelot. Il faudra tous les efforts de Maurice Joyeux notamment pour reconstituer la Fédération Anarchiste.
Le rôle de la LCR
En 1978 et 1979, des militants de l’UTCL vont rejoindre la LCR. C’est Pierre Cours-Saliés qui anime le travail de la LCR dans la CFDT et qui sert d’interlocuteur à l’UTCL. Celle-ci n’apprécie guère que ce soit un « extérieur » au monde ouvrier qui vienne donner des conseils et des consignes, il y a un témoignage en ce sens de Christian Mahieux. La LCR a une certaine force dans la CFDT, elle aura jusqu’à 60 à 65 délégués au Congrès confédéral de 1976 et cherche à être l’interlocuteur privilégié au nom de « l’opposition » à l’appareil CFDT, « squeezant » ainsi toutes les autres oppositions. Elle fera de même dans la FSU pour éjecter ceux qui vont devenir Émancipation après la scission de l’École Émancipée.
Dans un article de Lutter ! n°1 de mai-juin 1982, on pouvait lire : « La Ligue communiste révolutionnaire, elle, a la prétention plus ou moins ouverte d’organiser à elle seule l’opposition interne à la CFDT, quitte à gâcher l’unité et le développement de cette opposition. Par sa pratique fractionniste et rebutante, elle sert de repoussoir à la direction confédérale. Les militants facilement reconnaissables dans les congrès au discours stéréotypé (sur la loi des 35 heures par exemple), et à la défense des mots d’ordre centraux de la Ligue, sont l’objet d’attaques qui visent toute l’opposition. »
Pierre Cours-Saliés sera un laudateur zélé de la CFDT, il fera même un ouvrage « La CFDT, un passé porteur d’avenir », dans lequel vont écrire Eugène Descamps, Gilbert Declercq, Albert Détraz et Paul Vignaux, pas franchement des oppositionnels et rappelons que Descamps fut le principal acteur de la mystification de la « déconfessionnalisation de la CFTC en CFDT », en clair l’Alchimiste du Vatican qui transforme le plomb en plomb, et surtout pas en antimoine.
Quant à Lutte Ouvrière, il y a des passages savoureux dans l’ouvrage où l’on voit la monomanie maniaque de LO : intervenir ou plutôt faire intervenir un « benêt de service » pour proposer une énième fois d’abord un « Comité de grève », puis une « coordination » qui ne coordonne que ses militants qui veulent « truster » toutes les places . Ce qui finit très rapidement par fatiguer tout le monde et qui les identifie à coup sûr. C’est un peu comme le sketch du Sombréro à l’Opérette, on connait le début, le milieu et la fin à coup sûr.
La LCR va intensifier son action pour constituer des « Comités de soldats » qui ne vont pas regrouper grand monde et qui seront une véritable « aventure » au mauvais sens du terme. Cela permettra une grande répression des appelés qui y seront impliqués et permettra aussi à l’Appareil de la CFDT de s’en servir pour normaliser en interne le square Montholon (siège alors de la CFDT). Edmond Maire passera de la dénonciation des « coucous » à la chasse aux « moutons noirs » en passant par « les Merlins l’Enchanteur qui ne sont que des fées Carabosse ». La LCR utilisera ses positons dans la direction des structures CFDT pour les impliquer dans « la solidarité avec les soldats ». Les sanctions tomberont à la pelle, des structures entières seront exclues.
Ces « Comités de soldats » vont aussi profondément diviser les oppositionnels, car nombre d’Anarchistes et de Libertaires sont plus sur la ligne historique de l’Objection de conscience que celle de « noyauter » l’Armée. Nous avons publié récemment toute l’action primordiale de la Libre Pensée qui, historiquement a été à l’initiative de cela, dès la sortie de la Première Guerre mondiale. Le Mouvement libertaire est pour « À bas l’Armée » et la LCR plutôt pour « démocratiser et syndicaliser l’Armée », c’est difficilement conciliable, on l’admettra volontiers.
Le mouvement de l’Objection de conscience va se développera, liant de plus en plus un fort aspect antimilitariste collectif et non plus individualiste. La création des Comités de Lutte des Objecteurs (CLO) renforcera cette tendance ; il y aura jusqu’à 5 000 Objecteurs de conscience dans le Service civil.
Les exclusions massives de la CFDT déboucheront sur la création de plusieurs syndicats autonomes : Syndicat Démocratique des Banques (SDB) en 1978, Sud-PTT en 1989, SUD Rail en 1996 après la grande grève générale contre le Plan Juppé, SUD-Éducation en 1996 pour les mêmes raisons. En 1987, des militants de l’UTCL comme Marco Sazzetti et Clotilde Maillard participèrent au déclenchement de la vaste grève des instituteurs et institutrices contre les « maîtres-directeurs », à la tonalité très anti-hiérarchique. On devait les retrouver neuf ans plus tard à la fondation du syndicat SUD-Éducation. En 1989, les militants UTCL du secteur aérien étaient présents dans la grève « radicale et ludique » des mécaniciens d’Air France.
La LCR condamnera d’ailleurs fermement ces créations « au nom de la division obtenue », même si ses militants étaient assez nombreux à y participer. Puis le Groupe des 10, né en 1981, convergera vers eux pour devenir Solidaires. Dès le début de cette dynamique, due aux exclusions dans la CFDT, se trouvera posé la question de la « Confédéralisation », ce qui était inévitable. Que l’on trouve cela positif ou pas, il faut noter qu’obtenir des avancées dans ce sens n’était pas gagné d’avance.
On peut donc voir que rien n’est jamais inéluctable. On peut partir d’une volonté d’unité du Mouvement syndical et par la force des événements aboutir de fait à une plus grande dispersion syndicale. On me pardonnera ce petit clin d’œil, les Communistes-Libertaires, qui avaient dans leur base programmatique des Principes de base en point n°1 « la lutte de classe et la Dialectique Matérialiste Historique », me comprendront aisément.
J’ai trouvé ce livre très intéressant et utile, notamment pour ceux qui, comme moi, n’étaient point férus en ce domaine et l’auteur a bien fait de le faire.
Christian Eyschen
Syndicalistes et Libertaires, histoire de l’UTCL (1974-1991) par Théo Rival – Éditions Alternative Libertaire – 288 pages – 12€