Vous remarquerez à quel point dans la presse occidentale, y compris l’Humanité qui a du mal à s’y reconnaître au Moyen orient, le chiite est une valeur fluctuante. Quand les troupes de Muqtada el Sadr prétendaient résister à l’occupation dans la ville sainte de Nadjaf et dans les faubourgs de Sadr City, le danger de ces loqueteux chiites, le retour de Mollah excités était dénoncé et on découvrait des vertus laïques à Al Sistani. Celui-ci était à peu près aussi laïque que la brochette de nos papes, y compris Benoit XVI, luttant aux côtés des États-Unis contre le communisme, puis surveillant de près les aspects moraux de la Constitution européenne, ou soutenant les candidats démocrates chrétiens ou encore s’impliquant dans l’opus dei pour maintenir en place les rejetons du franquisme. Pas plus que nos papes, Al Sastani ne souhaitait être élu à une charge temporelle, mais il a promu une liste confessionnelle qui a eu le succès que l’on sait aux élections du 30 janvier 2005. En ce qui concerne les moeurs cette liste confessionnelle n’est pas plus "ouverte" que celle de celui que les médias occidentaux ont baptisé l’ultra-conservateur ou le populiste maire de Téhéran Mahmoud Ahmadi-Nedjad. S’il y a une différence et elle est de taille, Al Sistani a choisi de "valser avec le loup" et de cautionner les élections les plus bidonnées de la région, celles qui ont eu lieu en Irak. Non seulement elles se sont déroulées pendant que l’armée étatsunienne rasait Falluja, et quelques quartiers rebelles de Samara et de Mosoul, mais on ne voit guère que les élections afghanes pour leur disputer la palme du bourrage d’urnes. Mais Bush, donc la presse française, les ont avalisées sans état d’âme. Le Chiite était devenu une valeur démocratique sûre. Il est de nouveau à la baisse avec les élections iraniennes.
Remarquez les "progressistes" occidentaux n’avaient pas attendu Bush. Par exemple le PCF s’était enthousiasmé pour la stratégie de collaboration du dirigeant du parti communiste irakien, qui revenant d’exil plus kurde que les kurdes, était allé s’intégrer au conseil de collaboration comme "personnalité chiite" avalisant de ce fait non seulement l’occupation de l’irak, mais la division que tentait d’opérer à l’intérieur de la société irakienne la dite armée US.
Toujours au coeur des valeurs sûres du Chiisme, l’escroc Chalabi, qui avait réussi l’exploit de faire partager à la presse "libre" des États-Unis et à la CIA sa conviction que l’Irak avait des armes de destruction massive. Il cherchait une clientèle chiite et distribuait quelque menue monnaie pour se constituer des troupes présentables. Il organisait pour les médias complices le show de la démolition de la statue de Saddam par des "Irakiens" indignés. Les médias ne pipaient pas mot sur le personnage, il a fallu que l’administration nord-américaine renonce à son allié, pour que nos médias découvrent le personnage.
Tant que les États-Unis ne parlent pas eux-mêmes des centres de torture qu’ils multiplient dans le tiers-monde, on étouffera les cris des suppliciés, ce seront des "prisonniers fantômes", qu’ils soient chiites ou sunnites.
Donc le Chiite irakien a fluctué. Au grè de ses accointances avec les USA. Ce qui a été éliminé par tous est un fait pourtant patent, à savoir que dans les zones de confession chiite, il y avait traditionnellement effectivement des laïques. La zone de Bassorah en particulier a traditionnellement été une zone d’implantation du parti communiste irakien, avec un syndicalisme fort et si Saddam Hussein a réprimé dans cette zone, il y a poursuivi autant sinon plus les communistes que les Chiites. Le Parti Communiste Irakien a été un des plus importants du Monde musulman. (Le Toudeh d’Iran était lui aussi une grande force). Il a été décimé par la répression de Saddam et il n’a plus eu de cadres politiques. Les communistes en exil se sont peu à peu occidentalisés et la débâcle de la chute de l’Union Soviétique les a encore plus frappé que le Parti Communiste Français. Ils ont perdu tous leurs repères et tandis que le peuple irakien souffrait de l’embargo autant que de la dictature de Saddam, il ne voyait que cette dernière. Au point de collaborer avec les USA avant même l’invasion.
Encore un mot sur les Chiites, faire un paquet cadeau de leur ensemble c’est occulter une autre opposition, les Chiites irakiens sont des arabes et les Chiites iraniens sont des persans, l’opposition entre les deux est historiquement plus forte que celle entre Chiites et Sunnites. Cependant dans leurs tentatives politiciennes de partition de l’Irak pour mieux en piller les ressources pétrolières, les différentes forces politiques, en liaison avec la stratégie de l’armée US, ont entériné l’unité fictive des Chiites. Ali al Sistani (encore lui) qui est d’origine iranienne a élargi l’alliance pour imposer en souplesse sa république islamique. Il a, on l’a vu, réussi à établir une liste confessionnelle qui aujourd’hui est en situation de réaliser ses voeux constitutionnels, c’est-à -dire faire de la charria la base de la Constitution, démanteler le code de la famille irakien qui est un des plus progressiste de la région.
La femme est l’avenir des envahisseurs
Car ceux qui ont pris l’habitude de masquer leur volonté impérialiste sous couvert des droits de la femme, ne disent jamais que le régime honni de Saddam a été un de ceux où les droits des femmes ont été les mieux reconnus. Qu’en s’appuyant sur des divisions confessionnelles, les exacerbant, ce sont ces mêmes femmes qui en font les frais. Sans parler du fait que la condition féminine a besoin de développement, et que quand un pays s’enfonce dans la misère, le sous développement, la violence, elles ont toutes chances d’en faire les frais les premières.
Encore un mot sur cette question des femmes qui révèle l’hypocrisie occidentale encore plus que les élections considérées comme démocratiques ou non démocratiques selon G.W.Bush, donc selon la presse française. Nous avons tous vécu cette indignation selective sur les femmes afghanes, les pétitions en leur faveur, aujourd’hui où les seigneurs de la guerre font régner la terreur, où la misère s’étend, tout le monde se fout particulièrement de la burka et des femmes afghanes. Et il faut une dose de mauvaise foi médiatique ou d’ignorance, pour identifier le sort des femmes iraniennes et des femmes afghanes sous couvert de tchador. A l’Université de Téhéran, 60% des étudiants sont des étudiantes.
Autre fait intéressant : quelle population rencontrent nos médias occidentaux quand ils daignent faire autre chose que de recopier les informations fabriquées par la CIA ? Une population largement occidentalisée, qui parle anglais. Et qui ne représente au mieux que 5 % de la dite population. Cette population porte des revendications elles-mêmes occidentalisées pour lesquelles on peut avoir de la sympathie, mais qui ne sont pas au premier rang de celles de peuples qui ont vu leurs conditions matérielles se dégrader, qui assistent impuissants au pillage de leurs ressources. Les "progressistes occidentaux" en plein choc de civilisations cherchent "leurs semblables", "les civilisés", disons-le une bourgeoisie éclairée qui souvent est considérée comme des corrompus de l’occident. Ce qui n’arrange pas l’évolution des moeurs.
La "Révolution par procuration".
Et il n’y a pas que "les progressistes bobos" dirigeant les rédactions françaises et qui voient dans l’armée nord-américaine le vecteur de la civilisation contre la barbarie, il y a "les révolutionnaires". Ceux-ci en France ont pris la funeste habitude de faire la Révolution par procuration. Faute d’oser élaborer pour la France un programme révolutionnaire de rupture avec le capitalisme, ils ont pris l’habitude de peser les résistances du Tiers-monde en fonction de leur programme concotés dans des réunions groupusculaires. Ils découvrent un autre groupuscule particulièrement sympathique, par exemple "un parti ouvrier" qui se bat pour le droit des femmes et des homosexuels qui a quelques représentants en exil, et enfin ils ont leur force de masse, leur révolutionnaires". Ainsi les mêmes qui n’avaient protesté que mollement devant les conditions de l’élection afghane ou irakienne, proposent de manifester contre les élections iraniennes. L’histoire est authentique, quand j’ai fait remarquer à un de ces révolutionnaires par procuration que ce faisant il enterinait la position de Bush et les risques programmés d’une invasion de l’Iran [1], j’ai eu cette réponse extraordinaire :"La seule manière d’empêcher l’intervention de Bush en Iran, c’est d’y faire la Révolution !" CQFD....
Un ami communiste à qui je faisais remarquer les incohérences de cette position, me dit : "Tu as raison de dénoncer le trucage médiatique, l’appel à l’abstention qui n’a pas été suivi, mais enfin on ne peut pas soutenir n’importe quoi et il faut bien savoir ce qui se passe dans la réalité". Là nous sommes typiquement dans le traumatisme post-soviétique... Un mélange de "on nous a déjà fait le coup du soutien" et de recherche un peu perdue d’une position "révolutionnaire". Quand est-ce qu’on comprendra que le temps de l’identification à un camp est terminé ? Personnellement je n’ai pas plus envie de m’identifier aux gardiens de la Révolution iraniens qu’à Benoit XVI ou même dans un tout ordre aux multiples errances de "la gauche" française. Ce qui ne m’empêche pas de faire des choix politiques en temps utiles, comme les Iraniens. Je ne me sens plus du tout représentée par la direction du PCF, mais il est probable que faute de mieux je continuerai à voter communiste. Pour renforcer l’image, jugez de la perplexité de quelqu’un qui a voté NON contre cette Union européenne néo-libérale, contre le chômage, la baisse du pouvoir d’achat et qui se retrouve dans l’intéressant débat : faut-il faire l’union en 2007 avec tout le PS, y compris les Ouistes, François Hollande et Strauss-Kahn ? ( position de M.G.Buffet) ou faut-il faire l’union avec les nonistes du PS avec fabius (position de Besancenot). Quelle perspective !!! L’horizon indépassable du social- capitalisme néolibéral et de l’atlantisme débridé... Alors si nous sommes nous mêmes dans une telle mélasse, par pitié ne donnons pas de leçons aux autres.
Le problème est effectivement de regarder la réalité en face et de ne pas prétendre juger à la place des peuples, en particulier sur la maîtrise de leurs ressources autant que sur leurs moeurs. D’aller dans le sens de la paix et du dialogue. Remplir ce programme est suffisamment difficile sans que nous nous érigions en donneurs de leçons universels, c’est une prétention excessive en fonction du passé et du présent de ceux que nous avons en Occident la faiblesse de nous donner comme gouvernants et le plus dangereux de tous, le gouvernement des États-Unis. Arrêtons de nous prendre pour des civilisés face à la barbarie, que nous soyons de "droite" ou de "gauche".
Les élections iraniennes selon Bush sont « illégitimes et une honte ». Il est clair qu’ont été éliminés beaucoup de candidats, mais il également évident qu’en votant massivement les Iraniens ont rejeté l’appel à l’abstention de l’Occident. Ils ont affirmé au premier et au second tour qu’il n’était pas besoin qu’on vienne les aider comme on avait aidé l’irak voisin. Le candidat élu Mahmoud Ahmadi-Nejad ne convient pas à Bush et donc aux médias français, c’est ultra-conservateur et un populiste (au fait où placeriez-vous Bush dans cette échelle des valeurs, sans parler de l’élimination des candidats aux présidentielles US par un régime ploutocratique et fondamentaliste ?) Le fait est que les Iraniens dans leur masse semblent avoir voté pour quelques idées fortes : premièrement la non-intervention dans leurs affaires des USA, la maîtrise de leurs ressources naturelles, ensuite une distribution plus égalitaire, le refus d’une corruption qui ne nous en déplaise s’identifie souvent avec "les élites occidentalisées". C’était prévisible et j’annonçais à la lecture des médias occidentaux, de l’ineffable Alexandre Adler en particulier ces résultats en totale rupture avec les fantasmes occidentaux.
La crise de rage de Bush ne nous rappelle-t-elle rien ? C’est celle, en plus dangereux, que nous subissons en france depuis que nous avons osé voté NON.
Elle va jusqu’à la stupidité intégrale et cela me ramène au Chiites : oser prétendre que les élections iraniennes placent en porte à faux le peuple iranien dans la région est un déni de la réalité. Non seulement il est probable que toute élection libre dans la région aboutirait aujourd’hui à un radicalisme islamique pour plus de justice sociale et pour dire son rejet de l’Occident, mais les efforts des États-Unis pour dépecer la nation irakienne ont de fait promu au premier rang d’une part les confessionnels chiites et d’autre part les résistances islamistes. Ce qui surgira de cette histoire ne nous conviendra pas, oserais-je vous dire que nous décevons beaucoup l’immense majorité de la planète.
Il est sans doute vain de tenter de rétablir les faits, rien que les faits, et pourtant il n’y aura de paix et de possibilité de renverser un ordre de plus en plus injuste qui nous opprime tous, que dans la compréhension et le respect des peuples.
Un espoir est né du côté des "barbares".
Quand est-ce que nous aurons le courage avant d’aller donner des leçons de démocratie, de bonne conduite au reste de l’humanité, de reconnaître notre propre barbarie, ce qu’on fait en notre nom partout de l’humanité. Nous n’y sommes pour rien, nous avons les mêmes oppresseurs, si c’est vrai il serait temps de faire la preuve que nous ne sommes pas complices.Un dernier mot, contemplez cette peur de la Chine [2], voir de l’Inde, ce sont pourtant des milliards d’homme qui remettent en question simplement la manière dont est gérée la planète : 80% des ressources mondiales sont attribuées à 20% de la population. C’est ça le fond du problème, ce que nous masque la division entre barbares et civilisés. Il serait temps de repenser tous ensemble la manière de gérer notre planète au lieu de maintenir par les armes, la torture, le massacre des êtres humains, une suprématie pour une poignée. Tout ces milliards qui partent dans l’armement pour nous protéger de qui et de quoi ? Sous couvert du fait qu’il y aurait des barbares et des civilisés.
Et pendant ce temps là , dans les Caraïbes dont nous Européens avons fait un lieu atroce d’exploitation d’esclaves arrachés au continent africain, du massacre d’innocents indiens, voici qu’est inventé une coopération émergétique entre Cuba, le Venezuela et les minuscules mais fières îles anglophones de la Caraïbes, une indépendance énergétique où chacun aide l’autre et où le développement égalitaires des uns et des autres devra servir non les moeurs consuméristes occidentaux, le profit, mais la libération humaine. Rêve fou ? " Les sauvages de Cuba voyaient dans l’or le fétiche des Espagnols. Ils organisaient une fête en son honneur, chantaient autour de lui, et puis ils le jetaient à la mer. " [3] N’est-ce pas là l’éternel reproche adressé à Cuba ? Celui d’avoir tenté de jeter à la mer les fétiches des occidentaux pour sauver l’humanité ? Ce que les États-Unis ne lui ont jamais pardonné.
" Tout comme les Indiens étaient qualifiés de sauvages pour justifier leur exploitation, ceux qui luttaient pour une réforme sociale étaient qualifiés de communistes pour justifier leur persécution" Gleijeses, Politics and Culture in Guatemala, Michigan, 1988, p.392
Bien entendu, cette qualité historique de l’agressivité des Etats-Unis n’est pas passée inaperçue au yeux de certains peuples, notamment les populations victimes de cette politique. Devant le confort douillet de ses certitudes distillées au quotidien, l’opinion publique occidentale ne reçoit que des échos déformés d’une résistance qui s’organise. Un président est élu au Venezuela et décide de reprendre le contrôle des richesses de son pays ? Le voilà aussitôt affublé de qualificatifs péjoratifs. Il augmente le prix du pétrole ? Les hauts-fonctionnaires états-uniens parlent de mesures "agressives" à leur encontre. Comme si les Etats-Unis se seraient laissés dicter par d’autres le prix de leur pétrole.
Pour tous ceux-là, une grande variété de qualificatifs est prévue : populistes, dictateurs (parfois "en puissance"), etc... Mais qu’importe le terme, puisque leur véritable point commun est celui de ne pas courber l’échine devant l’autoproclamé maître du monde. Un maître du monde militairement puissant, donc dangereux, mais économiquement au bord du gouffre et qui ne maîtrise plus en réalité qu’un dernier domaine. Un domaine qui est son terrain de prédilection, et grâce auquel il réussit encore à entretenir l’illusion : le contrôle des moyens de communication. Dans cette levée des résistances des peuples du Sud, et particulièrement sur le continent américain, le jeu qui s’est engagé est exceptionnellement riche et complexe. Nourris de toutes leurs expériences passées - des batailles perdues, des victoires éphémères, des résistances qui perdurent malgré tout jusqu’à devenir symboles - tous ces peuples apportent à leur manière les pièces qu’ils ont récupérées sur les champs de bataille. Dans ces contrées lointaines et mystérieuses ignorées par nos médias, et qui ne sont pourtant que les foyers de tous ces autres "nous", les esprits, les mains et les coeurs s’activent pour reconstruire un avenir de la planète qui ne repasserait pas par la case "départ". Alors, si vous entendez quelques rumeurs, si vous percevez quelques mouvements, ne vous laissez pas encore une fois duper par le système de propagande qui vous entoure. Dites-vous que c’est simplement l’Histoire qui redémarre. [4]
Danielle Bleitrach, sociologue.
[Mais, par une bizarrerie qui n’est qu’apparente, les plus contents autres à l’heure actuelle sont probablement à Washington. Le Financial Times, insoupçonnable d’anti-américanisme, n’a-t-il pas écrit que les plus durs dans l’administration Bush -les Cheney, les Rumsfeld, les néo et les théo-cons- espéraient une victoire de Ahmadinejab ? Le cri de l’Iran, par Maurizio Matteuzzi.
– De Danielle Bleitrach :
Les enseignements d’une émission détestable
Le NON n’ est pas un vote de gauche, c’est un vote de classe ...
Référendum : Les leçons d’un srutin.
Censure et Empire, Dieudonné et l’usage de l’"antisémitisme", par Diana Johnstone et réponse de Danielle Bleitrach.