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A quand les bonnets verts ?

détournement d’une photo détournée de KEMPER

Il paraît que le rouge est de nouveau de bon ton politique. Affrontons sans tarder cette révélation. Pour l’instant le retour en pleine lumière de la couleur révolutionnaire est circonscrit en quelques lieux et symbolisé surtout par le port de bonnets de laine à la couleur de circonstance. A l’approche de l’hiver, cette sagesse aux profondes racines ancestrales est de bon aloi. Pourtant, nous devons nous garder de l’ironie facile dont se nourrissent à l’envi les meilleurs conservatismes, à commencer par le parisianisme toujours si vigoureux. Et si l’affaire n’était pas d’abord une affaire de couleur. Et si nous osions affirmer que la nécessité d’une révolution s’accommoderait fort bien d’une autre couleur : celle de l’espérance placée en un monde vivable écologiquement et socialement tout à la fois.

Tout est parti de Bretagne, de cette péninsule solide souvent battu par les vents, parfois même celui de l’Histoire. Pour une fois la marée n’est pas noire mais rouge ! Une marée ? Oui, une marée humaine : trente mille personnes dans les rues de Quimper est un fait politique hors du commun. Le chiffre à l’évidence déborde du cadre des analyses sommaires cependant très répandues. Une marée, certes, mais une marée étrange : la multitude de bonnets écarlates donnaient une apparence d’uniformité à un ensemble des plus hétéroclites. Tous ces gens se sont retrouvés dans la cité finistérienne, animés du même sentiment : un profond mécontentement. Oui, un profond – et sans doute légitime – mécontentement mais qui, hélas, ne saurait tenir lieu de ciment politique. Car, enfin, de quel mécontentement s’agit-il ? Contre quoi ? Contre qui ? Et avec qui être mécontent ? Avec n’importe qui ? Sans distinction de classes, en faisant fi des conceptions, nécessairement divergentes, à propos de la construction des sociétés ou de la marche du monde ? Des salariés en compagnie de leurs patrons, des citoyens de droite et de gauche, des organisations d’extrême droite et d’extrême gauche, tous unis contre l’injustice fiscale frappant les Bretons ou pour la sauvegarde de l’emploi en Bretagne. Certes, il y eut deux cortèges. Mais le même jour et en un même endroit aux dimensions restreintes. Bref, une diversité floue dans une promiscuité inévitable !

Faisons un peu de politique, de la vraie politique, celle que certains prennent pour de l’analyse purement théorique, peut-être parce qu’elle pose des questions qui fâchent, des questions qui regardent un peu plus loin que le bout de la Pointe du Raz. Depuis quand les patrons bretons – de l’agro-alimentaire notamment – sont-ils étrangers aux avatars du capitalisme industriel européen qui, dans le cadre accepté de la concurrence commerciale érigée en dogme suprême, finit toujours par ruiner les situations anciennement acquises ? Le « modèle agro-industriel breton » tant vanté hier – vanté par qui d’ailleurs ? – ne reposait-il pas d’abord sur l’exploitation exacerbée d’une main d’œuvre, majoritairement féminine, et sur un amoindrissement progressif de la qualité des productions par la standardisation afin de tenir les coûts ? Peut-on laisser de côté, en accusant toujours l’extérieur, la question devenue fondamentale des dégâts environnementaux de ce modèle ? Les méfaits les plus patents du « modèle » auquel l’on s’empresse de tendre des bouées de sauvetage seront-ils corrigés par les conséquences du Traité commercial transatlantique actuellement en négociation dans la plus grande opacité démocratique ? Les salariés bretons – et ceux d’ailleurs – ne devraient-ils pas se demander si leurs patrons ne vont pas se servir à leur avantage exclusif de ce nouveau traité, eux qui ont justement la tête si souvent près du bonnet ? On connaît la réponse à toutes ces questions : dans le cadre économique actuel l’emploi sera toujours sacrifié sur l’autel de la domination des dominants grands et petits.

Enfonçons un peu plus le clou de l’analyse politique : d’où viennent ces troubles graves du discernement ? La dépolitisation de la société civile, la désyndicalisation du salariat, la succession de luttes sociales sans résultats tangibles, voilà autant de raisons régulièrement avancées pour expliquer la perte de repères des classes dominées en même temps qu’elles éclairent leur renoncement à participer à la construction de mouvements sociaux s’inscrivant nécessairement dans le temps long. A contrario, le fait que la mondialisation débridée et le consommationnisme tentaculaire répugnent le temps long ne peut qu’aggraver le phénomène. La sous-estimation par les classes les plus modestes et par le patronat – évidemment pour des raisons très différentes – des périls environnementaux ne contribue pas à délaisser les actions à courte vue pour leur préférer la recherche de solutions de long terme au service de la préservation d’un environnement dénué des menaces sanitaires ou climatiques les plus préoccupantes. Pourtant , les deux raisons majeures du profond désarroi de ce que l’on n’ose même plus nommer le « peuple de gauche » tiennent plutôt à l’étouffement progressif de la démocratie sous l’étreinte des lobbies et l’omnipotence de l’oligarchie économico-financière d’une part, à l’incapacité du pouvoir politique à tracer des perspectives claires pour l’avenir de nos sociétés d’autre part. C’est dans ce « champ de ruines » que fut posée l’éco-taxe : le trop-plein alors déborda.

Ce n’est pas l’idée de révolte qui doit nous inquiéter mais la révolte sans idée précise, sans objet moteur propice à construire un mouvement socio-politique durable. Nos sociétés ne sortiront pas de la crise écologique et sociale qui frappe plus lourdement les classes les moins favorisées sans une puissante révolte, non nécessairement violente – contre tous les « nouveaux maîtres du monde » pour reprendre la pertinente formule de Jean Ziegler. N’en déplaise aux piliers des salons parisiens, nombre de Bretons y travaillent déjà, dans les marges pour l’instant trop étroites du capitalisme destructeur de vies et de nature. C’est pour eux et leur formidable pouvoir d’imagination qu’il faut desserrer l’étau du centralisme bureaucratique français et non pour renforcer le pouvoir du patronat breton.

Qu’un jour fleurissent les bonnets verts ! Unis vers un autre univers, unis contre les dominations injustifiables et les révoltes gratuites. C’est alors seulement que « vivre et travailler au pays » prendra tout son sens.

Yann Fiévet

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