Chronique d’une intervention annoncée
La stratégie élaborée en vue d’intervenir en Syrie était prévisible et en réalité déjà connue. En avril 2012, un haut conseiller de Tony Blair notait déjà la recette d’une telle intervention. Il était important que l’armée ou le gouvernement outrepasse une limite qui soit intolérable pour l’opinion publique étrangère. Quatre mois plus tard, en août 2012, Obama indiquait quelle serait cette limite : l’usage d’armes chimiques ou biologiques. [1]
La menace a été brandie avec la régularité d’un métronome, mais elle ne s’est jamais concrétisée. A la mi-juin Washington affirmait pour la première fois disposer des preuves de l’utilisation d’armes chimiques par l’armée syrienne. Sur base de cette prétendue preuve – qui n’est jamais venue – un appui militaire plus important a été promis aux rebelles. [2]
Aujourd’hui il n’y a pas davantage de preuve et on peut douter que l’armée syrienne ait procédé à une attaque chimique. A ce propos, Stratford, un groupe de réflexion et d’information privé très proche de l’administration étatsunienne, déclare : « Assad est un homme impitoyable. Il n’hésiterait pas à utiliser des armes chimiques si c’était nécessaire. Mais c’est aussi un homme très rationnel. Il se servirait d’armes chimiques uniquement si c’était la seule option qui lui reste. En ce moment on voit difficilement quelle situation désespérée l’aurait poussé à user d’armes chimiques et à risquer le pire. Ses adversaires sont tout aussi impitoyables et on peut imaginer qu’ils utilisent des armes chimiques pour forcer les États-Unis à intervenir et à renverser Assad. (…) Il est possible que le nombre de victime soit bien inférieur à ce qui a été allégué. Et il est possible que certaines images aient été falsifiées. Tout cela est possible, mais nous ignorons tout bonnement quelle est la vérité ». [3]
Évidemment, les USA apporteront encore des « preuves ». Mais depuis les « preuves solides » d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein, nous savons ce qu’il en est de la crédibilité de la Maison Banche dans ce domaine.
Les raisons de l’intervention
La question n’est pas de savoir si une intervention armée se prépare, car elle existe déjà depuis un certain temps. Dès le début de la guerre civile, les USA sont sur place avec des Unités Spéciales, tout comme ce fut le cas en Libye. Ces Forces Spéciales entraînent les rebelles, fournissent un soutien logistique, surveillent les livraisons d’armes du Qatar et d’Arabie Saoudite et préparent éventuellement une intervention ou des bombardements à grande échelle. [4]
L’intervention de troupes au sol est peu probable, si cela avait été une option, elle aurait déjà été prise depuis longtemps. Le Pentagone se rend parfaitement compte que l’armée syrienne est un adversaire redoutable et qu’un nouvel échec après l’Afghanistan et l’Irak paraît inconcevable. [5]
Il semble plutôt qu’il s’agira d’une attaque de missiles, prétendument pour punir l’armée syrienne d’avoir utilisé des armes chimiques, afin de prévenir toute répétition à l’avenir. Un autre objectif serait de détruire l’arsenal d’armes chimiques. [6]
Tout cela paraît peu convaincant. La formulation de ces objectifs doit servir à amadouer l’opinion publique et à légitimer une entrée en scène militaire. Les véritables raisons de l’opération militaire, il faut plutôt les chercher dans les dernières évolutions de la guerre civile. Deux choses sont importantes : d’une part le nouveau rapport de forces entre l’armée et les rebelles, et d’autre part l’évolution du rapport des forces au sein des milices.
Commençons par le second point. Les djihadistes ont peu à peu pris la main au sein des milices. Les milices les plus « efficaces » sont à présent liées à Al-Qaeda. Si Assad est chassé du pouvoir, la Syrie risque donc de tomber aux mains d’un régime islamiste ultra-radical. C’est une option exclue par les USA et plus encore par le voisin israélien. Cela signifie que pour Washington, Assad est actuellement le moindre mal et que sa liquidation, dans les circonstances actuelles, n’est pas souhaitée. Mais cela ne veut pas dire qu’ils veuillent laisser Assad agir à sa guise, au contraire. [7]
Ce qui nous amène à la seconde raison. Avec le soutien de l’Iran et du Hezbollah, l’armée syrienne a repris pas mal de terrain aux milices ces derniers mois. Cette progression n’est pas terminée et il apparaît que l’armée syrienne a trouvé son second souffle. C’est pourquoi Obama a commencé à parler d’armes chimiques dès début juin, conjointement avec une promesse de fourniture d’armes plus lourdes et en plus grand nombre aux milices.
Il est peu probable qu’Assad puisse frapper un coup décisif contre les milices à bref délai, mais sa position n’en est pas moins renforcée et la tendance semble se maintenir. Lors d’éventuels pourparlers de paix, Assad pourrait donc faire pencher la balance en sa faveur. Ce qui n’est pas du goût des États-Unis. Ils tolèrent peut-être Assad comme le moindre mal, mais certainement pas comme le plus fort. Aussi les bombardements ne sont pas destinés à écraser l’armée syrienne mais bien à l’affaiblir suffisamment.
L’échec des guerres en Irak et en Afghanistan montre clairement que les États-Unis ne sont désormais plus capables de modeler le Moyen-Orient à leur guise. Comme ils risquent de perdre de plus en plus leur emprise, ils raisonnent en ces termes : « si nous ne pouvons pas le contrôler nous-mêmes, alors, personne d’autre ne le peut ». C’est bien ce qu’on peut qualifier de stratégie du chaos.
Marc Vandepitte
Traduit par Anne Meert pour Investig’Action