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Pourquoi l’assaut du Capitole n’est qu’un début

Le 6 janvier 2021 nous avons été témoins de scènes à Washington qui sont habituellement réservées à des républiques bananières. Ce n’était pas une ultime tentative pour sauver la présidence de Trump, comme certains le pensent, mais c’est le début d’une escalade de la violence et d’une période turbulente de l’histoire des États-Unis. L’analyste politique Marc Vandepitte résume les faits et scrute l’avenir.

Une action “sauvage” planifiée

Ces événements choquants ne sont pas tombés du ciel. Quelques semaines auparavant, Trump, via une série de tweets, avait appelé ses partisans à venir manifester le 6 janvier. Un de ces tweets laissait peu de doute : « Soyez là, ce sera sauvage !” (“Be there, will be wild !”).

Fin décembre, il était déjà clair que les partisans radicaux prévoyaient une action de protestation importante et violente pour empêcher la validation de la victoire électorale de Joe Biden. Le groupe néo-fasciste armé Proud Boys avait réservé des hôtels à Washington des semaines à l’avance. Dans les forums cryptés, il était question de trafic d’armes et de l’installation d’un « camp armé ». De nombreux émeutiers semblent avoir des liens ou être membres de milices d’extrême droite. Parmi les personnes arrêtées se trouvait un lieutenant de l’armée de l’air à la retraite.

Une heure et demie avant l’invasion du Capitole, Trump ameutait ses partisans sur Twitter : « Vous ne reprendrez jamais notre pays par la faiblesse. Vous devez faire preuve de force ». Lors d’un rassemblement de protestation ce jour-là à Washington, son avocat personnel Rudy Giuliani appelait la foule à régler le litige électoral via un « jugement par combat » (“trial by combat”).

Rétrospectivement, il est toujours surprenant que les émeutiers n’aient pas été plus nombreux. Ce soulèvement est le point culminant de quatre années d’escalade de la violence d’extrême droite, depuis les manifestants porteurs de torches à Charlottesville qui scandaient des invectives contre les noirs et les juifs, jusqu’aux milices lourdement armées manifestant contre le confinement, en passant par des projets pour enlever voire tuer la gouverneure du Michigan.

On estime que des centaines de groupes paramilitaires sont actifs aux États-Unis à l’heure actuelle. Certains sont lourdement armés. Ils totalisent environ 50 000 membres. Les experts constatent une évolution inquiétante : d’abord se faire voir avec des armes – puis vouloir les utiliser.

L’été dernier, il y a eu près de 500 incidents d’intimidation ou de violence provoqués par des civils armés. Les suprémacistes blancs et autres extrémistes de droite sont responsables des deux tiers de toutes les attaques et conspirations terroristes nationales en 2020. La moitié de cette violence était dirigée contre les manifestants. Elle rappelle les escadrons fascistes des années 1930.

Une étrange intervention policière

Le fait que les émeutiers aient pu pénétrer dans ces bâtiments lourdement gardés est pour le moins curieux. Tout d’abord, ce bâtiment aurait dû être beaucoup plus surveillé. Les manifestations du passé montrent que prendre le Capitole est pratiquement impossible. L’action policière mitigée contraste fortement avec les précédentes manifestations près du Capitole. Edward Luce du Financial Times n’en fait pas mystère : « Si des manifestants afro-américains avaient tenté de prendre d’assaut le Capitole ou la Maison Blanche, il ne fait guère de doute qu’ils se seraient fait tirer dessus ».

Les partisans de Trump n’ont rencontré que peu de résistance de la part des gardes de la sécurité. Ils pouvaient manifestement compter sur leur sympathie. Certains agents ont été repérés en train de laisser tout simplement des émeutiers franchir les barrières du Capitole. D’autres ont même posé carrément pour un selfie avec des partisans de Trump. On sait qu’au moins un quart des milices d’extrême droite aux États-Unis sont composées de militaires et de policiers, actifs ou anciens.

Pourtant les services de sécurité étaient parfaitement au courant à l’avance d’émeutes potentiellement violentes. Ainsi les parlementaires présents ont été bien informés de la menace et il leur a été conseillé d’apporter un sac d’effets personnels pour passer la nuit si nécessaire.

Au total, à peine 26 personnes ont été arrêtées dans les bâtiments et par la suite, 43 autres personnes arrêtées à l’extérieur. Lors d’une manifestation pacifique en 2018 au même endroit, 600 personnes avaient été arrêtées. Il s’agissait de manifestants de gauche.

Le soutien républicain

Avec ses incitations et son soutien aux insurgés, Trump n’était pas isolé. Même après la prise d’assaut du Congrès, environ 70 % des républicains à la Chambre des représentants et un quart au Sénat refusaient de valider une partie au moins des résultats des élections.

Lauren Boebert, une déléguée républicaine, a crié pendant la session : « J’ai maintenant des électeurs à l’extérieur de ce bâtiment – j’ai promis d’être leur voix ». Ces derniers jours, on la voyait dans une vidéo se promener à Washington posant armée d’un Glock.

Ivanka Trump, la fille de Donald, a décrit les fauteurs de troubles comme des « patriotes ». Beaucoup de dirigeants républicains ont condamné l’attaque mais sans en accuser Trump. Près de la moitié des partisans républicains sont derrière l’invasion du Capitole.

Le terreau nourricier

En dépit de sa vulgarité, de son incompétence totale et de sa politique désastreuse contre le coronavirus, Trump peut compter sur un très large support. Lors de la dernière élection présidentielle, il a obtenu le soutien de 74 millions d’électeurs, soit le second score dans l’histoire des États-Unis. Et ce pour plusieurs raisons.

Depuis les années 1970, les États-Unis ont connu un déclin économique relatif sur la scène mondiale. À partir des années 1990, cela s’est accompagné d’une désindustrialisation de régions entières du pays. Conjointement à une politique d’austérité antisociale, cela s’est traduit par une détérioration sociale de grande ampleur.

Aujourd’hui, 58 % des citoyens vivotent de salaire en salaire. Souvent, il faut avoir deux ou trois emplois pour ne pas se retrouver dans la pauvreté. Au cours des quarante dernières années, le salaire médian des travailleurs blancs non qualifiés a chuté de plus de 20 %, une baisse particulièrement marquée après la crise financière de 2008. Simultanément, le taux de mortalité de la population adulte blanche a augmenté. Le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. Nulle part dans le monde occidental, cet écart n’est aussi important qu’aux États-Unis. Les 0,1 % de riches ont autant de richesses que les 90 % du bas de l’échelle.

Avec le déclin social, le tissu social s’est affaibli. Les organisations de la société civile, les institutions religieuses et les syndicats ont vu le nombre de leurs membres diminuer considérablement. En 1970, 27 % des employés étaient encore syndiqués, aujourd’hui, ils ne sont plus que 10 %. Politiquement, ils ne pouvaient plus non plus se tourner vers le parti démocrate. Tout comme en Europe les partis sociaux-démocrates du centre, sous Clinton et Obama le Parti démocrate a été promoteur de la politique néo-libérale. Les démocrates n’ont guère tenu compte des nombreux griefs d’une grande partie de l’électorat (blanc).

La base sociale sur laquelle s’appuie Trump regroupe en premier lieu des populations peu instruites, principalement au sein de la population blanche. Mais son idéologie d’extrême droite et ultra-nationaliste attire également des segments des classes moyennes et supérieures.

Exploiter l’angoisse et le mécontentement

Un dangereux vide social et politique a été créé. Beaucoup de gens se sentent ignorés et exclus par ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique. Ils perçoivent également le monde comme un endroit menaçant et hostile.

Trump exploite habilement la méfiance vis-à-vis de l’establishment en se faisant passer pour un outsider. Issu lui-même des sphères fortunées de la société, il se présente comme anti-establishment et il se déchaîne contre la caste politique, les médias, les scientifiques et les intellectuels. Son langage dur et vulgaire est parfaitement accordé à ses visées.

Tout comme d’autres dirigeants d’extrême droite dans d’autres pays, Trump est particulièrement doué pour exploiter la peur et la colère de larges pans de la population. Ce faisant, il use d’un discours venimeux qui combine chauvinisme national et hostilité à l’encontre des migrants et des minorités. Il condamne les intellectuels et les experts en tant que traîtres au peuple. Cela touche une corde sensible chez les personnes qui se sentent exclues. Il donne également aux gens le sentiment qu’il écoute leurs doléances et qu’il les défend, contrairement à d’autres dirigeants politiques.

En périodes d’incertitude, les gens cherchent des réponses simples et un leader fort. L’idéologie autoritaire et d’extrême droite de Trump trouve une résonance auprès d’un électorat radicalisé. En 2017, environ un quart de la population pensait qu’une prise de contrôle militaire était justifiée en cas de corruption ou de criminalité généralisée. L’important soutien électoral sur lequel Trump peut compter encourage les groupes paramilitaires d’extrême droite et les rend plus téméraires.

L’appui de l’establishment

Au début de son mandat, M. Trump a pu compter sur la majorité des grandes entreprises grâce à une importante réduction d’impôts. Ses guerres commerciales, ses politiques erratiques et ses liens avec l’extrême droite ont érodé ce soutien. Sa politique anti-immigration n’a pas été soutenue par une partie importante des employeurs. Pourtant Trump a pu continuer à compter sur des investisseurs issus de secteurs tels que l’énergie, l’agroalimentaire, les transports et la construction.

La classe capitaliste préfère choisir des dirigeants politiques dociles et prévisibles. Mais si aucune alternative n’est disponible, elle n’hésite pas à donner sa chance au « bouffon maléfique » le plus brutal ou le plus instable, du moment que ses intérêts soient défendus. C’est ce que nous apprend l’histoire du fascisme du XXe siècle et des dictatures du Tiers-Monde.

Les médias et les réseaux sociaux sont de plus en plus décisifs dans les élections. Selon le Centre Berkman Klein, l’élection présidentielle de 2020 a été un processus piloté par l’élite via les médias de masse. Comme en 2016, Trump a pu compter sur un soutien important des médias. Rupert Murdoch, le puissant magnat de la presse, qui possède entre autres la chaîne de télévision la plus populaire Fox, a joué un rôle important dans la victoire électorale de Trump en 2016. Il est resté très fidèle au président jusqu’à sa défaite électorale. La campagne de désinformation systématique que Trump a montée pendant l’élection a été reprise et amplifiée par de nombreux médias traditionnels.

L’influence des réseaux sociaux est même encore plus importante. La propagande numérique a été le secret de polichinelle derrière la première victoire électorale de Donald Trump, mais aussi de celle de Javier Bolsonaro au Brésil. Sur Twitter, Trump a été suivi par 89 millions d’abonnés, sur Facebook il y en a 35 millions. Mais, même maintenant qu’il a été éjecté de Twitter, il peut continuer à diffuser son message sur des plateformes ou des sites prétendument alternatifs, comme Gab, Telegram, TheDonald.win, Quillette, Spiked, etc. Ceux-ci sont souvent parrainés par de riches bailleurs de fonds. Ce sont ces médias « sociaux » qui normalisent le racisme et contribuent à diffuser largement les idées d’extrême droite, y compris dans nos contrées.

Un héritage durable

Pendant son mandat, M. Trump a réussi à constituer une base sociale solide. Lors des dernières élections, il avait 47 % de l’électorat derrière lui et après sa défaite, 90 % des républicains ont continué à le soutenir. Il continuera à pouvoir compter sur une machine de propagande très puissante, tant par le biais des médias que par celui des réseaux sociaux (alternatifs). Il a également nommé beaucoup de juges conservateurs et a fait de la Cour suprême un bastion conservateur.

En quatre ans, Trump a réussi à imposer toutes ses volontés au parti républicain. Nombre de parlementaires, de gouverneurs et de maires sont ses fidèles acolytes. De nombreux membres du parti qui ne sont pas d’accord avec lui n’osent pas ouvrir la bouche. Ils ont peur d’être attaqués sur les réseaux sociaux ou d’être débordés sur leur droite lors de la prochaine nomination d’un adversaire qui serait sur la ligne de Trump. C’est aussi la raison pour laquelle si peu de républicains se sont prononcés contre la prétendue fraude électorale ou ont blâmé Trump pour l’invasion du Capitole.

Un pays extrêmement polarisé

La zizanie incessante semée par Trump au fil des ans a laissé des traces. La légitimité et la stabilité de l’ensemble du système politique ont été gravement érodées. Depuis Abraham Lincoln en 1861, Joe Biden sera le premier président qu’une grande partie du pays considère comme illégitime avant sa prestation de serment.

Le nouveau président devra gérer un pays très polarisé. Les partisans radicaux de Trump considèrent les événements du 6 janvier comme une grande victoire. L’extrême attention que leur ont accordée les médias les a dynamisés et va leur permettre de recruter des membres et de se renforcer.

Les experts craignent que les émeutes meurtrières ne soient le début d’une escalade de la violence, plutôt qu’une ultime tentative de sauver la présidence de Trump. Il est possible que de nouveaux raids de ce type aient lieu dès les prochaines semaines, et que les partisans radicaux soient encore plus enclins à l’intimidation et au recours à la violence dans les conflits raciaux, sociaux ou même professionnels. Jorge Dávila, analyste politique de CNN, met en garde contre une « guerre civile de basse intensité ».

Le Trumpisme va se maintenir

L’avenir de Trump lui-même est incertain. Sera-t-il destitué ? Sera-t-il poursuivi ? Ou pourra-t-il se représenter aux prochaines élections dans quatre ans, comme il compte le faire ? Un récent sondage auprès des républicains a montré qu’il est le grand favori du parti pour une nomination en 2024. Derrière lui, le vice-président Mike Pence, puis Donald Trump Jr.

Même s’il n’est pas lui-même candidat, étant donné son influence considérable sur la base conservatrice, il pourra largement déterminer lequel des républicains entrera en lice. Les candidats ne manquent pas. Par exemple, Mike Pompeo, son secrétaire d’État, ou Tom Cotton, le sénateur de l’Arkansas. Comme l’écrit le Financial Times, « ce sont des versions plus dures de lui, sans ses excentricités ».

Samuel Farber, du Jacobin, résume bien la situation : « Quel que soit le sort de Donald Trump dans les années à venir, le trumpisme en tant que courant politique et état d’esprit, et même en tant que mouvement, va sans doute mieux résister que Trump lui-même ». En Europe, nous observons des courants similaires et les mêmes tendances dangereuses. Et si, lors des prochaines élections législatives dans le nord de la Belgique, l’extrême droite Vlaams Belang et la très droite NVA obtenaient la majorité des voix ? Cette voie sans issue se résoudra-t-elle de manière pacifique ? En tout cas, les événements de ces derniers jours sont un signal d’alarme pour chacun de nous.

Socialisme ou barbarie
Pour inverser la vapeur (1), il faut d’abord brider les milices paramilitaires. Cela devra aller de pair avec une évaluation et une épuration des forces de police et de l’armée, ainsi qu’avec une modification de la loi sur les armes.

Mais cela ne suffit pas. Ces milices sont un cancer malin sur un corps malade. Pour que ce corps retrouve la santé et pour éliminer le terreau de l’extrême droite, il faut une sorte de nouveau contrat social, caractérisé par une fiscalité équitable, des soins de santé universels, une augmentation des salaires et des pensions (minimum), et un enseignement supérieur moins coûteux. De lourds investissements sont également nécessaires dans les infrastructures, les soins de santé et les technologies vertes. Enfin, le système politique a besoin d’une réinitialisation complète.

Tant que cela ne sera pas atteint, la perte de prospérité, le fossé entre les riches et les pauvres, l’insécurité, le manque de perspectives d’avenir et la méfiance à l’encontre des politiciens en de l’establishment continueront à composer un cocktail explosif qui pourrait conduire à un Trump-bis, voire pire.

L’espoir est que ces dernières années, l’idéologie de gauche a retrouvé une forte audience au sein de la population, en particulier chez les jeunes. Une enquête de Gallup a montré que 51 % des jeunes entre 18 et 29 ans sont positifs à l’égard du socialisme. Pour l’ensemble de la population, cela représente 37 %. Le fait que des candidates radicales de gauche, comme Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar, Ayanna Pressley et Rashida Tlaib, aient été élues au Congrès est également encourageant.

Les processus électoraux sont très importants, mais il est encore plus important de travailler patiemment à la base : sensibiliser, organiser et mobiliser les gens pour un projet progressiste durable. Avec l’arrivée de Bernie Sanders, le paysage politique américain a été profondément bouleversé. Au cours des dernières campagnes électorales, un nouveau mouvement porteur d’espoir a été lancé. Il est confronté à des défis majeurs. La devise de Rosa Luxemburg « Socialisme ou barbarie » est plus que jamais d’actualité.

Note :

Nous reprenons ici les conclusions d’un précédent article : Biden peut-il inverser le déclin de son pays ?

Source : De Wereld Morgen

Traduction du néerlandais par Anne Meert pour Investig’Action

14 janvier 2021

»» https://www.investigaction.net/fr/pourquoi-lassaut-du-capitole-nest-quun-debut/
URL de cet article 36845
   
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