« La différence qu’il y a entre les oiseaux et les hommes politiques, c’est que de temps en temps les oiseaux s’arrêtent de voler ! » Coluche
On annonce : la ville de Détroit qui fut le fleuron de l’industrie automobile a été déclarée en faillite ! Décidément, le néolibéralisme est capable de tout ! On pensait naïvement qu’une société, voire un individu peuvent être déclarés en faillite, mais nous n’aurons jamais pensé qu’une ville pouvait l’être. Mieux encore, on pensait que du fait de sa taille, elle ne pouvait pas l’être, la même doxa nous apprend que « too big to fall », trop grande pour tomber, ne s’applique de fait qu’aux banques qu’il faut sauver à tout prix. Souvenons-nous de la débâcle qui eut lieu suite aux créances pourries (subprimes), les États ont renfloué leurs banques avec des centaines de milliards de dollars. La dette à Detroit (18, 5 milliards de dollars) éclipse celle du comté de Jefferson, Alabama, qui avait été déclaré en faillite en 2011 avec environ 4 milliards de dollars de dette. Cependant, la dette de Détroit est une goutte d’eau, mais c’est à la ville de se débrouiller ou de périr. Dans l’histoire il y eut plusieurs faillites de villes, et l’État fédéral a été chaque fois absent.
Sam Roberts rapporte le discours du président Gerald Ford en réponse à l’appel de New York pour éviter la faillite est sans appel : « Dans son discours du 29 octobre 1975, le président Ford a exclu l’aide fédérale pour épargner New York de la faillite. La première page du Daily News le lendemain titrait : « Ford city : Drop Dead ». « Pouvez crever » Il semble cependant que M.Ford n’a jamais dit explicitement cela. Pourtant. Ces deux mots, sans doute l’essence de ses propos lui ont coûté comme il l’a reconnu, la présidence l’année suivante.(1) Cependant, New York a pu s’en sortir toute seule et le message de Ford l’aurait galvanisé.
Comment le déclin est arrivé ?
C’est l’ultime étape d’une lente agonie. La ville de Detroit est le berceau de l’industrie automobile américaine. Etendard de l’automobile triomphante au début du XXe siècle, Detroit est devenue, au fil d’une longue agonie, une ville criblée de dettes, désertée et minée par la criminalité. Retour en cinq chiffres sur la faillite de "Motor City". La faillite de Detroit reflète la déliquescence de l’industrie automobile, qui a fait la gloire et la richesse de la ville autrefois. Berceau des "Big Three" (Ford, Chrysler et General Motors), la ville a lié son destin à celui de la voiture. Les premiers signes de déclin sont apparus dans les années 1950, puis se sont accélérés à coups de crises successives. Puis est venue la crise de 2008, et avec elle la banqueroute de Chrysler et General Motors, qui ont achevé de vider les usines. Detroit est ce que les Étasuniens appellent une "shrinking city", une ville qui rétrécit. En soixante ans, sa population a diminué de 60%. Elle est passée de 1,8 million d’habitants en 1950 à 706 000 aujourd’hui. Avec ses 78 000 bâtiments à l’abandon, Detroit ressemble de plus en plus à une ville fantôme ». (2)
Etendard de l’automobile triomphante au début du XXe siècle, Detroit est devenue lit-on dans le journal Le Monde, jeudi 18 juillet la plus grande ville américaine à se déclarer en faillite, dernier acte en date de la lente agonie de "Motor City". « Je prends cette décision difficile afin que les habitants de Detroit aient accès aux services publics les plus élémentaires et pour que Detroit reparte sur de solides bases financières qui lui permettront de croître à l’avenir », a expliqué Rick Snyder, le gouverneur de l’Etat du Michigan, dans un communiqué. « La mise en faillite est l’unique solution qui permettra à Detroit de redevenir stable et viable », (..) Pour sortir de l’ornière, Le gouverneur Rick Snyder avait mandaté un expert, Kevyn Orr qui, de façon assez sobre, avait résumé les causes de cette crise en quelques points : « Une mauvaise gestion financière, une population en baisse, une érosion de la base fiscale pendant ces quarante-cinq dernières années ». Un juge devra désormais dire si Detroit peut se placer sous la protection de la loi sur les faillites qui lui permet de renégocier sa dette. Le lent déclin économique et financier de Detroit est allé de pair avec une déchéance sociale qui s’illustre dans l’exode de ses habitants – Detroit a perdu la moitié de sa population en soixante ans – et l’absence criante de services publics. La municipalité n’est pas en mesure d’assurer l’éclairage public dans certains quartiers. Le taux de criminalité n’a jamais été aussi élevé en quarante ans et la police met en moyenne cinquante-huit minutes pour arriver lorsqu’elle est appelée, contre onze minutes dans le reste des États-Unis. (3)
General Motors sauvé
Pourtant en 2010 On pensait que la croissance serait de retour et que ce qui est bon pour GM est bon pour la ville. Il n’en fut rien, GM claironnait « General Motors, aussi essentiellement étasunienne que le base-ball, les hot dogs et les apple pies vantés est de retour », claironne le quotidien de Detroit. La capitale de l’automobile retient son souffle alors que, ce 18 novembre, le constructeur doit être réintroduit en Bourse. Il devrait collecter 32,1 milliards de dollars, ce qui serait la meilleure entrée en Bourse de l’histoire des États-Unis. La firme, exsangue, avait déposé le bilan en 2009, avant d’être restructurée par le gouvernement américain. (4)
C’est à cette occasion que deux ans plus tard Joe Biden durant la Compagne d’Obama en septembre 2012 clamait « Oussama Ben Laden est mort et General Motors est vivant ». (Osama bin Laden is dead and General Motors is alive.), Il aurait pu ajouter que Détroit était mourante. Pendant ce temps, General Motors se porte comme un charme, ayant compris depuis longtemps qu’il fallait décentraliser, General Motors est toujours le... premier constructeur auto en Chine... GM a écoulé au premier semestre 1,56 million de véhicules
Detroit : laboratoire du monde d’après le néolibéralisme
Dans une contribution bien structurée du site Bastamag, on arrive à comprendre comment le déclin est venu graduellement, comment l’État a reculé, comment les aspects sociaux, du vivre-ensemble ont été délaissés (école, santé, sécurité) et ceci malgré les compromis du syndicat des travailleurs pour sauver l’emploi. Nous lisons :
« La ville de Détroit, symbole du capitalisme et de l’industrie automobile, n’est plus que l’ombre d’elle-même. En cinq ans, ses habitants ont subi une brutale décroissance forcée : un taux de chômage exorbitant, un exode urbain sans précédent, des services publics délabrés. (...) Les banderoles « à vendre » et « à louer » se succèdent sur les façades des bâtiments. 80 000 logements seraient abandonnés, soit près de un sur cinq. Avec ses maisons saccagées, brûlées ou envahies par la végétation, « Motor City » donne l’impression d’une ville fantôme. (...) « Pendant les soixante-dix dernières années, les habitants de Détroit ont cru à tort que leurs vies étaient liées à General Motors, Ford et Chrysler, explique Maureen Taylor, militante depuis des années dans la lutte contre la pauvreté. Ils nous ont mis dans la tête que ce qui était bon pour eux était bon pour nous.(...) » Maureen conte le quotidien de ses habitants les plus touchés par la crise. Des gens mourant de froid sur les trottoirs, des enfants retrouvés morts dans les maisons incendiées, un système de soin de santé inaccessible pour les bas-revenus, « un monde de fous » résume t-elle.(5)
« (...) Wendy Thompson. est l’ancienne présidente d’une section locale du syndicat des travailleurs unis de l’automobile (UAW). (...) Aujourd’hui retraitée, elle se souvient des luttes menées pour obtenir de meilleures conditions de travail quand « à l’époque nous travaillions douze heures par jour ». Et elle nous conte cette inlassable lutte, ce rapport de force permanent entre les « Big Three » - Ford, GM, et Chrysler – et leurs salariés.(...) En 2009, en pleine crise financière, Chrysler et General Motors sont au bord de la faillite. L’UAW va alors accepter de devenir actionnaire majoritaire de Chrysler, à hauteur de 55%, mais aussi de GM à 17,5%. Pieds et mains liés, le syndicat renonce à la grève jusqu’en 2015. » (5)
« Maureen Taylor est de celles qui ne renoncent pas. Depuis des années, elle lutte pour que cessent les coupures d’eau, de gaz et d’électricité des plus démunis (...) » « Ce que fait le maire dans cette situation ? ironise William. Il prend des quartiers historiques, il dit qu’ils sont morts, puis il ferme les écoles, les parcs publics, il démolit les bâtiments ». Le maire de la ville est pris en étau. D’un côté, les banques favorisent les saisies immobilières en exigeant le remboursement des prêts des ménages endettés. Autant d’habitants et de revenus en moins pour le budget municipal. De l’autre, ces mêmes banques prélèvent toujours plus d’intérêts pour financer la dette de la ville, imposant à celle-ci et son maire des réductions de dépenses publiques. Pour Jérôme Goldberg, avocat spécialiste des saisies immobilières, « les banques détruisent toute richesse à Detroit ». « Plutôt que de licencier ou diminuer les salaires des employés et supprimer des services publics pour équilibrer le budget, le maire et son Conseil devraient résister aux banques et mettre en place un moratoire sur le paiement de la dette », estime l’avocat ».(5)
Comment Detroit pourrait s’en sortir ?
« Detroit est-elle entrée malgré elle en transition ? Pour Grace Lee Boggs, la ville a été pendant des décennies le symbole international de l’industrialisation avant de devenir celui de la dévastation du capitalisme. Aujourd’hui, confie Grace,« nous créons une société post-industrielle, une nouvelle civilisation. En sortant de chez moi, vous pouvez regarder autour de vous et voir seulement une ville en ruine. Ou bien, regarder Detroit et vous dire, voici notre avenir ». Ce qui se joue à Détroit inspirera-t-il d’autres parties du monde frappées du même mal, qu’il se nomme austérité ou récession ? » Pour le journaliste Daniel Okrent l’ancienne capitale de l’automobile, tombée en faillite le 18 juillet, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Déjà en 2010, le journaliste Daniel Okrent faisait le récit de la descente aux enfers. Il énumère les maux classiques et leur conséquence. Il pense aussi que dans la ville sévit une ségrégation noir-blanc. Cette ville, longtemps au quatrième rang des États-Unis par le nombre de ses habitants - aujourd’hui au onzième –, est frappée par un lent délitement, La criminalité explose et sept meurtres sur dix restent sans élucidation. « Les Noirs de Detroit écrit-il, pensaient les Blancs les plus éclairés, avaient un travail et un logement et, même si ces logements se trouvaient de l’autre côté du mur de l’apartheid, leurs propriétaires étaient intégrés dans la ville. (...). Les émeutes qui éclatèrent au mois de juillet 1967 et firent quarante-trois morts furent le résultat d’un racisme rampant que peu de gens acceptaient d’admettre. Ces émeutes incitèrent des milliers d’habitants blancs à déménager vers les banlieues et, alors que certains Noirs auraient voulu les imiter, ils en furent empêchés : la ségrégation de fait avait pratiquement force de loi dans la plupart des faubourgs de la ville. Le maire d’une ville périphérique pouvait ainsi pérorer : "Ils ne peuvent pas venir ici. Dès qu’on apprend qu’un nègre a l’intention de s’installer dans le quartier, on réagit plus vite qu’en cas d’incendie." Detroit devint bientôt une ville à majorité noire. Et, en 1973, elle élut son premier maire noir. (...) Les conditions pour revoir entièrement ce modèle économique ne sauraient être plus favorables qu’aujourd’hui. La baisse des salaires consentie par l’UAW, couplée à un chômage massif, est en train de transformer ce qui était autrefois le marché du travail le plus cher du pays en l’un des moins onéreux. »
Daniel Okrent plaide pour une aide de l’État pour développer les énergies renouvelables. : « Dans les années 1950, le gouvernement fédéral avait entrepris d’investir 500 milliards de dollars pour la construction de ce qui allait devenir le réseau d’autoroutes interétatiques. On peut considérer cela comme une subvention colossale à l’industrie automobile - ce que c’était, de fait - mais également comme un formidable investissement pour l’avenir du pays. C’est là un modèle adaptable. La technologie de la pile à combustible qui m’a tellement impressionné au GM Technical Center est moins une affaire de voitures que d’énergie. Qu’est-ce qui nous empêche aujourd’hui de transformer Detroit - avec les talents éprouvés de ses ingénieurs, sa main-d’oeuvre, qualifiée ou non, qui recherche désespérément du travail, ses sites de production sous-utilisés - en un arsenal du futur fondé sur les énergies renouvelables ? (6)
Une autre solution mise en oeuvre est l’autosuffisance en commençant par l’agriculture sur les modèles des mouvements autonomes. « Des mouvements autonomes d’autogestion, lit-on dans l’Encyclopédie Wikipédia, reprenant en grande partie le mouvement des Piqueteros, en Argentine, dans les années 1990, apparaissent à la suite de la crise économique. Leur mode de vie est basé sur : Le « Do It Ourselves » (faisons-le nous-même), reprenant le mouvement international du « Do it yourself » (fais le toi-même) dont l’un des grands principes est la réappropriation de la production par des moyens simples, permettant de s’affranchir des industriels ayant délocalisé. La consommation collaborative : jardins communautaires improvisés, entraide collaborative pour l’isolation des maisons, réutilisation des technologies pour la fabrication à la manière des fablab et débrouille en tout genre. (7)
On le voit, l’absence d’un État stratège, responsable de la cohésion sociale fait que ce sont les faibles qui paient. La faillite de Détroit va rendre les banquiers plus agressifs, cela va être la curée et tout ce qui reste de comestible va être râpiné. Détroit est à vendre au plus offrant. Les citoyens n’attendent rien de l’État, entre la position tranchée de Gerald Ford (Vous pouvez crever) qui explique dans toute son horreur la réalité d’un néolibéralisme prédateur et celle lénifiante de l’administration, Obama qui promet ce qu’elle ne tiendra pas, un seul vainqueur le néolibéralisme qui détruit tout ce qui concerne les solidarités et atomise l’humain. Non il n’est pas juste que le P-DG de Motors touchait en 2010 – alors que GM était en faillite – 9 millions de dollars/an équivalent à celui de milliers de travailleurs lambda qui ne demandent qu’à vivre dans la dignité
Chems Eddine CHITOUR