Issu des quartiers populaires de Caracas et des luttes étudiantes contre les régimes répressifs (1) d’avant l’élection de Chavez en 1998, l’ex-syndicaliste du transport public Maduro a aussitôt été dénigré par les médias dominants au Venezuela (2) comme le chauffeur d’autobus, c’est-à -dire comme indigne de la fonction présidentielle. Ministre des Affaires Étrangères (2006-2013), Vice-président de la République (2012-2013), actuel président constitutionnel, Nicolas Maduro n’a pas répondu en brandissant son CV mais en prenant le volant d’un autobus pour conduire 61 familles pauvres jusqu’au seuil de leurs appartements construits dans le cadre de la Grande Mission Logement.
Chaque agression de la droite offre au candidat des révolutionnaires l’occasion d’inventer un bon mot qui ravit et galvanise ses millions de supporters : la hora loca de la oposición, el baile de la obsesión, el Frente de Sifrinos Bolivarianos ou La Guerra de los sesos, expressions intraduisibles en français, tirées de la culture urbaine, de la télénovéla ou du jargon des DJ, et qui ôtent le peu de vernis qui restait au candidat de la droite Capriles Radonski (3), el señorito de los apellidos.
Par contraste, le discours insipide et agressif de Capriles symbolise la droite médiatique latino-américaine piégée par l’avènement de démocraties où le peuple peut enfin voter (4). Selon l’entreprise de sondages états-unienne International Consulting Services (ICS), plus de 63% des vénézuéliens rejettent le programme néo-libéral de Capriles Radonski, et donnent 17 points d’avance au programme socialiste, écologique et participatif du candidat bolivarien.
« Notre mission est de donner tout le pouvoir au peuple » : Nicolas Maduro base sa campagne sur l’accélération de la révolution (notamment par la poursuite et le renforcement des missions sociales, de la formation, du financement des conseils communaux et des communes, du développement général de la démocratie participative). Le programme soumis aux électeurs reprend les cinq objectifs du Plan Patria 2013-2019 qui ont valu la victoire à Hugo Chavez aux présidentielles d’octobre 2012 (5). Maduro y ajoute des mesures comme la remise urgente sur pied des hôpitaux publics qui sombraient dans la bureaucratie, la corruption et l’inefficacité, ou un plan de désarmement et une offensive générale contre le trafic de drogue, source principale de l’insécurité. Rendez-vous dans les urnes le 14 avril pour le dix-septième scrutin en quatorze ans de révolution.
Parallèlement à la mobilisation populaire pour l’élection présidentielle, le gouvernement bolivarien poursuit la réalisation de la politique extérieure lancée par le président Chavez.
Le 24 mars 2013 Nicolas Maduro a ratifié un mécanisme d’échange et de complémentarité économique entre les pays membres de l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (Alba-TCP) et le Marché Commun du Sud (Mercosur), accord qui laissse la porte ouverte à l’adhésion de nouveaux pays. Maduro, qui fut ministre des affaires étrangères de Chavez durant plus de six ans (2006-2013) explique qu’il s’agit d’une « grande alliance économique, financière, technologique et commerciale entre ce puissant moteur qu’est le MERCOSUR duquel le Venezuela est déjà membre à part entière, et les nouvelles zones économiques de l’ALBA et de Petrocaribe. Il faut également accélérer la mise en fonctionnement de la Banque du Sud ».
Maduro qui a conversé avec l’ex-président Lula pour organiser les prochans rendez-vous de l’agenda politique latino-américain, a fait l’éloge de la création d’une Banque de Soutien au Développement par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) qui permet aux pays émergents de se libérer de la tutelle d’organismes néo-libéraux tels que le FMI. Les nations signataires représentent à elles seules 25% de l’économie mondiale et 40 % de la population. Le 28 juin prochain le Venezuela assumera la présidence pro tempore du Mercosur, troisième marché mondial.
Le même jour à Caracas, le chancelier uruguayen Luis Almagro (photo) a signé de nouveaux accords de coopération avec le Président Maduro, ainsi que l’adhésion de son pays à la nouvelle unité monétaire latino-américaine - le SUCRE. Ce « Système Unitaire de Compensation Régionale », créé à l’initiative du Venezuela, a été adopté en novembre 2008 par les pays membres de l’ALBA pour remplacer le dollar US dans le commerce inter-régional. En février le Nicaragua et le Venezuela ont effectué leurs premières transactions via ce système de paiement pour un montant de 25 milliards de Sucres, équivalents à 31.2 millions de dollars (6). Pour l’uruguayen Luis Almagro, « ces accords permettront de faire croître le commerce entre le Venezuela et l’Uruguay de 30%. Nous sortons des fonds baptismaux du Mercosur, de l’ALBA, du Pacte Andin, nous devenons chaque jour un peu plus latino-américains ». (7)
« La paix en Colombie était le rêve de Chavez. Que n’a-t-il fait pour la Colombie, combien d’infamies n’a-t-il subies pour son amour et son respect de la Colombie. Nous renouvelons au président Juan Manuel Santos, aux FARC, notre engagement, en privé ou en public, en faveur du processus de paix en Colombie, car cette paix est celle de notre patrie » : c’est ce que le président Maduro a répondu à un paysan des montagnes du Chocó (Colombie) invité à la Xème Rencontre d’intellectuels, artistes et mouvements sociaux en Défense de l’Humanité organisée à Caracas du 25 au 26 mars 2013.
Pour ce militant colombien, « l’héritage de Chavez, c’est la paix, l’amour pour la terre-mère, pour nous qui l’habitons. Chavez a toujours insisté sur l’harmonie qui doit exister entre l’homme, la femme et la nature. C’est pourquoi nous sommes venus à cette rencontre, pour vous dire que nous sommes en lutte, en résistance, que nous aimons la révolution bolivarienne et que nous voulons la liberté des peuples ».
Autre invité de l’assemblée de Caracas, l’anthropologue et sociologue mexicain Héctor Dàaz Polanco, qui estime que « Chávez est le centre de l’innovation politique des deux dernières décennes. Même sur un plan mondial, il y a longtemps que nous n’avions eu un leader de cette envergure. Il avait pris de l’avance sur beaucoup d’intellectuels avec sa vision adéquate du thème de l’environnement qu’il développe dans son programme de gouvernement, le Plan Patria 2013-2019 : protéger la vie, la biodiversité, garantir la nature et ses ressources pour les générations futures : une éthique trans-temporelle qui ne nous engage pas seulement pour la génération contemporaine mais pour celles à venir ».
Pour le vice-président bolivien à lvaro Garcàa Linera, présent lui aussi à la Xème Rencontre, Hugo Chávez "fut un parapluie pour que s’éveille le continent, un mur de contention pour que puisse affleurer l’impulsion bolivarienne dans la région. Il a surgi comme une force, un tourbillon, un ouragan qui a fait bouger l’histoire, a fait émerger les potentiels de lutte nichés dans les peuples, chacun d’eux apportant sa particularité tout en recueillant la force révolutionnaire de Chávez. Nous vivons une géopolitique continentale inédite : l’Amérique Latine est la région du monde qui possède le plus de gouvernements progressistes. Nous n’avions jamais vécu cela. Les vénézuéliens se sont tournés vers le monde pour améliorer la vie de tous. Aujourd’hui nous ne percevons qu’une partie de l’héritage de Chavez : sa vérité est dans le futur" .
« Chávez nous a appris que les processus d’intégration ne se basent pas seulement sur des principes financiers mais aussi sur la construction de mécanismes sociaux ».
Après les élections du 14 avril 2013, se tiendra à Caracas une réunion spéciale des pays membres de l’ALBA et de Petrocaribe (8) pour sceller l’accord de collaboration entre les deux mécanismes de solidarité et de complémentarité, et créer « une grande zone pour le développement économique, la croissance authentique de notre industrie, la capacité de produire des aliments » (Maduro).
Présente à Caracas, Patricia Rodas, ex-Ministre des Affaires Étrangères du président Zelaya déchu par un coup d’État militaire en 2009, a déclaré : « Chávez nous a appris que les processus d’intégration ne se basent pas seulement sur des principes financiers mais aussi sur la construction de mécanismes sociaux ».
Le cas du Honduras est exemplaire. En août 2008, las de ne pas recevoir d’aide états-unienne, le président Zelaya (centre-droit) avait adhéré à l’ALBA pour affronter l’énorme pauvreté régnant dans la population. Il fut renversé en juin 2009 par des militaires soutenus par des États-Unis soucieux de défendre leur arrière-cour (dans le même sens Wikileaks a révélé les efforts de Washington pour contrer l’aide du Venezuela et de PetroCaribe à Haïti). La presse française fit preuve de complaisance envers ce coup d’État qui remit le Honduras à l’heure des privatisations, des transnationales et des « assassinats sélectifs » de journalistes et de militants de mouvements sociaux. Dans le journal « Libération », Gérard Thomas alla jusqu’à mettre en doute l’existence du coup d’État et à critiquer le président Zelaya pour « avoir joué avec le feu » en adhérant à l’ALBA. (9)
« Nous allons revenir dans l’ALBA, nous tourner vers la CELAC, le Brésil, vers le Vénézuéla » Manuel Zelaya, ex-président du Honduras.
Quatre ans plus tard, en mars 2013, le parti hondurien LIBRE (Liberté et Refondation), né de la résistance populaire au coup d’État, annonce qu’en cas de victoire aux prochaines présidentielles, le Honduras redeviendra membre de l’Alliance Bolivarienne des Peuples de l’Amérique (ALBA) : « La situation économique du pays a atteint une gravité sans précédent dans notre histoire. Nous n’avons jamais atteint un tel degré de détérioration des finances publiques, d’augmentation de la pauvreté et de manque de production et d’emploi au Honduras » a déclaré l’ex-président Zelaya. « La population ne mange pas de ciment mais des haricots, du maïs. Elle exige que soient résolus les problèmes de famine, de pauvreté et de manque de travail. La position de notre candidate Xiomara Castro est claire : nous allons revenir vers le Brésil, vers le Venezuela, vers des mécanismes de solidarité latino-américaine come l’ALBA, la CELAC, Petrocaribe et d’autres instances d’intégration continentale. Nous allons récupérer ce que nous avons perdu depuis le coup d’État » (10)
Après les récents rapports d’organismes de l’ONU - comme la CEPAL (commission d’études économiques et sociales en Amérique Latine) ou de la FAO (agriculture et alimentation mondiales) - faisant l’éloge du gouvernement bolivarien pour la réduction des inégalités, la croissance économique, la souveraineté alimentaire, c’est un autre organisme des Nations-Unies, le PNUD (développement mondial) qui vient de saluer le travail accompli par Hugo Chavez. Le 18 mars 2013, le représentant du PNUD au Venezuela Niky Fabiancic a remis au président Maduro le rapport intitulé « l’ascension du Sud » selon lequel le Venezuela est devenu « un des pays du monde possédant les plus hauts coefficients de développement humain, au-dessus du Brésil, de la Colombie et de l’Équateur » (11).
Niky Fabiancic a déclaré à cette occasion : « Ce thème était très cher au Président Hugo Chávez, il a lutté pour cet objectif toute sa vie, pour le progrès humain. Il a lutté infatigablement pour le bien-être de son peuple, pour protéger les pauvres et pour promouvoir la cause de l’unité des peuples de l’Amérique Latine et des Caraïbes ». (12)
Thierry Deronne, Caracas, 26 mars 2013
avec AVN, Ciudad Caracas, Correo del Orinoco.
http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/03/24/les-bolivariens-en-campagne-ne-croient-pas-aux-larmes/