1. Les leitmotive du Parti Islamiste Ennahdha
Le mot « leitmotiv » est formé à partir des deux mots allemands « leit » (diriger) et « motiv » (motif) et désigne une phrase, une formule très affirmative, un thème musical,…qui revient à plusieurs reprises dans un discours, dans une oeuvre littéraire, musicale,…pour imposer, suggérer,… une idée, une orientation, une sensation,…
Le leitmotiv du Parti Islamiste Ennahdha, usité tous azimuts, par ses Dirigeants, Partisans et Sympathisants, se résume en cette simple phrase : « Nous sommes majoritaires, donc nous décidons » dont une variante, à conclusion implicite, est : « Le peuple nous a choisi, on est investi par la volonté populaire ».
En outre, dans une Interview, parue le 16 janvier 2012 journal Métro-Montréal, Rached Ghannouchi, Président-Fondateur du Parti Islamiste Tunisien Ennahdha, a déclaré :
« Nous avions obtenu une majorité lors des élections de 1989 » ;
en ajoutant :
« Lors des (dernières) élections en Tunisie, au Maroc et en Égypte, les islamistes modérés ont remporté la majorité des suffrages ».
2. Ennahdha gouverne de façon partisane et en solo
Avant d’examiner de plus près la véracité de ces leitmotive et affirmations, qui constituent l’épine dorsale de la stratégie, plus tôt de la tactique, d’Ennahdha, montrons, par des exemples caractéristiques, comment ce Parti apparaît, de plus en plus, comme étant le seul détenteur du Pouvoir et de son Orientation. En effet, ses deux alliés [le Congrès Pour la République (CPR) et Ettakatol] dans la Troïka [ qui est au Pouvoir et qui représente la Majorité à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), issue des élections du 23 octobre 2011] apparaissent, de plus en plus, comme des figurants et ont de moins en moins leur mot à dire dans les grands choix et décisions qui vont conduire à la Rédaction de la Constitution de la Deuxième République Tunisienne et à façonner la Gouvernance du Pays, pendant la traversée de cette période cruciale, à turbulences et à grands risques. Un premier tel exemple est la main mise des Constituants appartenant au Parti Ennahdha postes clés au sein des Commissions Spécialisées de l’ANC. Un second exemple caractéristique de cette dérive est la nomination, par le seul Premier Ministre et Secrétaire Général d’Ennahdha, Hamadi Djebali, des Responsables des Médias Publics Tunisiens, depuis les Rédacteurs en chef jusqu’aux Directeurs Généraux des Institutions, et ce, sans consulter, ni informer ses Alliés de la Troïka, les Structures Professionnelles et l’Instance Nationale de la Réforme de l’Information et de la Communication, violant ainsi de façon flagrante, les engagements pris par son Parti en matière de Liberté de la Presse. Et c’est grâce à une forte mobilisation de la Société Civile, conduite par le Syndicat des Journalistes, que certaines de ces nominations ont été annulées. N’oublions pas que les Médias Nationaux appartiennent au Peuple : essayer de les mettre au pas en les infiltrant, dans le but de les instrumentaliser, est un symptôme de tous les régimes totalitaires.
D’ailleurs, dans son Discours de Politique Générale, prononcé le 22 décembre 2011 devant les Constituants, le futur Premier Ministre, Mohamed Djebali, en intégrant dans son Programme un point spécial relatif aux « Moeurs et à la Conduite Morale », dévoile jusqu’où peuvent aller les prérogatives du Pouvoir selon Ennahdha, en confondant Politique Partisane et Action Gouvernementale solidaire avec ses alliés, et ce, avant le sacre républicain de son Gouvernement. En effet, ce point stipule : « Une profonde et inquiétante détérioration des moeurs et une baisse flagrante des valeurs sont des phénomènes, sans précédent, que nous observons depuis un certain temps. Il est temps et urgent de penser un nouveau système de valeurs pour notre société ».
Il est évident qu’une telle affirmation, chère à Rached Ghannouchi, ne peut être approuvée par les militants du CPR et d’Ettakatol, d’autant plus que sa réalisation nécessiterait la création d’une « Milice des Moeurs et des Valeurs », comme l’ont appliqué, déjà , les Salafistes (à Sejnane, par exemple), et consacrerait Ghannouchi en tant que « Guide Suprême » de la Révolution, Moncef Marzouki, notre actuel Président de la République, serait l’analogue de Bani Sadr, premier Président de la République Islamique d’Iran.
Qui plus est, cette affirmation implique, de facto, deux autres inquiétants corollaires. En mettent dans son programme l’établissement d’un « nouveau système de valeurs pour notre société », Ennahdha montre, en premier, qu’elle feint d’ignorer que sa prise des rênes du Pouvoir est provisoire, comme il est dit, explicitement, dans le Titre de la Loi (appelée, aussi, « Mini-Constitution ») qui gère, actuellement, les Pouvoirs en Tunisie, à savoir la « Loi Sur L’Organisation Provisoire des Pouvoirs Publics », « Provisoire » s’achevant avec l’achèvement de la Rédaction de la nouvelle Constitution. D’ailleurs, la dénomination officielle du Cabinet actuel est « Gouvernement Provisoire », dénomination qu’Ennahdha réfute et a essayé, en vain, par tous les moyens, de bannir du vocabulaire des médias. Et, en second, Ennahdha feint d’oublier que la « raison d’être » de ce Gouvernement Provisoire est de gérer les affaires courantes et d’accompagner les travaux de l’ANC, et non de se lancer dans des Réformes Sociétales partisanes.
3. Véracité des leitmotive d’Ennahdha
Passons, maintenant, à l’examen de la véracité des dits leitmotive et affirmations. Sur le total du nombre de sièges à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), Ennahdha en possède aux environs de 41% ; ce qui implique que les affirmations « Nous sommes majoritaires » et « Le peuple nous a choisi, on est investi par la volonté populaire » sont fausses. Si l’on considère, maintenant, les électeurs inscrits volontairement : 36%, environ, d’entre eux ont voté Ennahdha ; ce qui entraîne que les deux dites affirmations sont encore, un peu plus, fausses. Et, pour terminer, considérons les électeurs potentiels : le pourcentage de ces électeurs qui ont voté Enahdha n’est égal ni à 30%, ni à 25%, il est égal à , environ, 20% ; ce qui montre que les affirmations en question sont archi-fausses.
Que les choses soient claires. Il ne faut pas croire que, par mon analyse, j’essaye de contester les résultats des élections à l’ANC ou la légitimité du Gouvernement : l’ANC et le Gouvernement sont légitimes et tiennent leur légitimité de la Volonté du Peuple et du Suffrage Universel : soutenir le contraire c’est appeler à la rébellion et à la guerre civile. Je voulais simplement rappeler que le Peuple n’a pas voté, majoritairement, pour Ennahdha ; car la majorité c’est (50+x)%, avec « x » un nombre, mathématiquement, strictement positif : Ennahdha est, simplement, le premier vainqueur de ses élections.
Un autre exemple, qui caractérise la relation ambiguë qu’entretient Ennahdha avec la « Théorie des Nombres », se situe dans le cadre d’incidents, oh ! Combien douloureux, indignes d’un pays civilisé, condamnables dans toutes les croyances et dans toutes les spiritualités. La vision de la Vidéo correspondante, qui mérite d’être appelée « la Vidéo de la Honte », m’a plongé dans un état second, dominé, à la fois, par la peur, la honte et la stupeur et a fait disparaître en moi, pendant un instant, ma conviction d’appartenir à un Peuple réputé pour sa Tolérance et son « Bien-Vivre-Ensemble ». Il s’agit des appels à la haine et des slogans racistes à l’égard des Juifs proférés par un groupe de partisans et/ou sympathisants d’Ennahdha qui vociféraient : « Virez les juifs Tuez les juifs ! », « Tuer les juifs est un devoir ! »,…, lors de l’arrivée, le jeudi 5 janvier 2012, d’Ismaïl Haniyeh, Premier Ministre Palestinien à Gaza, à l’aéroport de Tunis-Carthage. Ces incidents ont eu lieu en présence des deux plus hauts Dignitaires d’Ennahdha, Rached Ghannouchi et Hamadi Djebali, qui étaient là pour accueillir le dirigeant du Hamas. Ghannouchi et Djebali n’ont eu aucune réaction, ni manifesté aucune condamnation immédiates. Comme d’habitude, ils ont raté une belle occasion de Pédagogie Politique, en ne condamnant pas, à chaud, l’inacceptable. Ils auraient dû, au moins, rappeler que l’Islam est une Religion de dialogue et de tolérance, comme il est explicité dans plusieurs versets du Coran invitant les croyants à toujours discuter avec bienveillance, essentiellement avec ceux qui ne partagent pas leur point de vue, en citant à la foule, par exemple, le Verset 46 de la Sourate 29 où il est dit : « Lorsque vous discutez avec les Gens du Livre, usez de la plus grande courtoisie » et en lui rappelant que l’expression coranique « les Gens du Livre » désigne, notamment, les Juifs et les Chrétiens.
Qui plus est, il a fallu l’indignation et le tollé général, perceptibles sur les Médias et les Pages des Réseaux sociaux, soulevés par ces incidents, pour qu’Ennahdha, quatre jours après, le jour du départ de Ismaïl Haniyeh (quelle coïncidence !) réagisse par un Communiqué signé par son Président Rached Ghannouchi, paru sur son Site et transmis à l’AFP, affirmant que les juifs de Tunisie sont « des citoyens à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres » et attribuant ces incidents à « un groupe d’individus ne dépassant pas les doigts d’une seule main »(sic) ; alors que le Journal le Temps, dans son édition du dimanche 8 janvier 2012, a écrit « Des dizaines de jeunes ont scandé des slogans anti-juifs… ». Pour départager ces deux estimations, j’invite le lecteur à visionner la « Vidéo de la Honte », dans le Lien ci-dessous, et à donner sa propre estimation du nombre d’individus qui renchérissaient en choeur aux appels à la haine du sinistre Soliste.
http://www.youtube.com/watch?v=ZnKtdqdXdhc
Ce qui montre que les Islamistes, en Politique ne savent pas lire et interpréter les nombres. En particulier, ils ne savent pas ce que c’est qu’« une Majorité ». Ce qui explique, peut-être, leur action au sein de l’ANC où ils se comportent comme étant un Parti qui a, à lui tout seul, la Majorité. Ce qui explique, aussi, leur façon de conduire en solo, au sein du Gouvernement, les Affaires de l’Etat.
4. Composition de l’électorat d’Ennahdha
Dans ce contexte, il convient de souligner, que l’électorat d’Ennhadha n’est pas nécessairement Islamiste. Grosso modo, nous pouvons classifier cet électorat selon cinq types de vote : un vote réellement Islamiste, probablement minoritaire, un vote de sympathisant, un vote de compassion pour ceux qui ont, réellement, souffert sous Zinochet ou sous Bourguiba, un vote sécuritaire ou de restauration de, soi-disant, valeurs et, enfin, un vote de remerciements pour l’agneau offert, lors de l’Aïd-el Kabîr, pour la prise en charge des frais de mariage, circoncision, rentrée scolaire, factures impayées,… Ce vote de remerciements seraient financé, entre autres, par certains pays du Golf, dont le plus généreux serait Qatar, et ce, à travers des Associations humanitaires ou de bienfaisance.
En outre, malgré la répression subie et la clandestinité de leurs activités sous l’ancien régime, les Islamistes sont restés, contrairement aux Modernistes, structurés et présents dans les quartiers déshérités et dans la Tunisie profonde et proches de leurs habitants ; ce qui a permis à leur campagne électorale de couvrir, dès le démarrage, beaucoup de citoyens, campagne qu’ils ont orientée vers les valeurs identitaires, jusqu’à présenter les candidats Modernistes comme étant des athées, des occidentalisés, des buveurs de bière et de vin,…
5. Ennahdha a récupéré la Révolution de Jasmin sans y avoir pris part
Quant à la participation des Islamistes, en général, à la Révolution de Jasmin, tous les Analystes Politiques, tous les Observateurs et tous les Acteurs de terrain sont d’accord pour affirmer qu’ils ont brillé par leur absence lors de toutes les Manifestations et Rassemblements qui ont conduit, le 14 janvier 2011, à la fuite du Dictateur, comme le dit explicitement, par exemple, notre Président de la République actuel, Moncef Marzouki, allié d’Ennahdha dans la Troïka, dans la Vidéo suivante, filmée à la veille de la Victoire, où il déclare que « Les islamistes sont complètement et totalement absents » :
http://videos.tf1.fr/infos/2011/la-tunisie-n-est-pas-un-pays-democratique-6215593.html
D’ailleurs, dans la totalité des Vidéos sur la Révolution, filmées avant le 15 janvier 2011, on aperçoit très peu de femmes voilées ; mais, aucun barbu à la salafiste, ni aucun Niqab, ni, non plus, aucun Dirigeant Islamiste n’y figure.
Pour ce qui concerne mon espace professionnel, je peux témoigner qu’avant cette date, les Universitaires Islamistes ( dont Moncef Ben Salem, notre Ministre actuel de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique) ont brillé par leur absence, lors de tous les Rassemblements et Manifestations, organisés contre Zinochet et son Régime, auxquels j’ai participé ; en particulier, lors du mémorable et imposant Rassemblement du jeudi 13 janvier 2011, organisé, au Campus Universitaire de Tunis El Manar, par la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, sur l’Esplanade de La Faculté de Droit et des Sciences Politiques. C’est avec nostalgie révolutionnaire et, je l’avoue, avec fierté, que je prends la liberté de rappeler, ici, que ce Rassemblement prévu, au départ, au Campus intra-muros s’est transformé, à la fin, à mon initiative, en une formidable Manifestation en dehors du Campus, obligeant les Brigades anti-émeute à déclarer forfait pour nous libérer la sortie. Et ce fut la première Manifestation qui a eu lieu sur le plus long Boulevard du Grand Tunis, baptisé, après la Révolution, « Boulevard Mohamed Bouazizi », le jeune dont l’immolation par le feu, le 17 décembre 2010, devant le siège du Gouvernorat de la ville de Sidi Bouzid, a marqué le début de la Révolution de Jasmin. Ce Boulevard portait auparavant le nom de « Boulevard du 7 novembre », en référence à la date du 7 novembre 1987, jour où le Général Zinochet a renversé le Président Bourguiba, par un « Coup d’Etat Médical ».
Malgré ce handicap, les Islamistes ont su, à merveille, tirer les marrons du feu, en récupérant la Révolution de Jasmin sans y avoir pris part. Et, je l’avoue, tout en leur reconnaissant les souffrances de toutes sortes, les atrocités inhumaines et les exils qu’un grand nombre parmi eux ont subis, sous les Régimes de Zinochet et de Bourguiba, je suis toujours estomaqué chaque fois que j’entends ces néo-révolutionnaires discourir sur notre Révolution. A l’opposé, les Modernistes, qui ont, également, subi des souffrances de toutes sortes, des atrocités inhumaines et des exils sous les Régimes de Zinochet et de Bourguiba, furent, quant à eux, une des composantes du fer de lance de la Révolution.
Pour ce qui concerne le dédommagement des victimes, toutes orientations politiques et toutes spiritualités confondues, qui ont fait les frais, dans leur vie et dans leur chair, des régimes de Bourguiba et de Zinochet, je pense qu’il est « convenable » que la Nation les dédommage à la hauteur, sinon plus, des souffrances subies. Mais, je pense qu’il est « blâmable » que la Nation fasse les frais, dans la Réalisation des Objectifs de sa Révolution, de l’incompétence ou du déséquilibre psychique de certains des dites victimes qui, pour dédommagement, sont portés aux plus hautes responsabilités de l’Etat. Dans ce qui précède, j’ai employé les adjectifs « convenable » et « blâmable » en référence à l’une des Recommandations les plus omniprésentes, à travers tout le Coran [que l’on peut trouver, par exemple, dans le Verset 17 de la Sourate 31, et ce, sous forme de Conseil donné par Luqmân à son fils], qui dit : « Prescris le convenable et proscris le blâmable ».
6. Conclusion et Appel au CPR et Ettakatol
Aussi, nous pouvons conclure, à la lumière de l’Actualité et à la lumière de ce qui précède, que la façon des Islamistes de conduire, actuellement, les Affaires de la Nation, en essayant de gouverner, de plus en plus, en solitaire, et ce, sans être investis d’aucune majorité, s’apparente à un Coup d’Etat Constitutionnel.
Il est donc urgent que le CPR et Ettakatol, fervents militants, pendant les décennies obscures passées, de la Démocrite et des Droits de l’Homme, renouent avec leurs Valeurs originelles et retrouvent leurs fondamentaux pour stopper, par tous les moyens, y compris par la désintégration de la Troïka, et avant qu’il ne soit trop tard, cette dérive Islamiste.
Sinon, au vu de la complicité d’Ennahdha, de plus en plus criante et qui va crescendo, avec les Salafistes, le CPR et Ettakatol feront, in fine le jeu des Islamistes les plus radicaux et seront, devant l’Histoire, les complices responsables de l’Installation sans retour, dans notre Pays, d’une Dictature Théocratique Brune-Verte.
Salah HORCHANI
Professeur à la Faculté des Sciences de Tunis