Les deux textes qui suivent vont sévèrement ébranler dans leurs certitudes ceux qui ont de la réalité cubaine une vision déformée par nos grands médias.
Le premier « Les homos de La Havane » a été écrit et publié par Maxime Vivas en mars 2007. Non seulement il supporte la relecture 3 ans plus tard, mais il annonce implicitement le second de Hervé Hubert : « Un colloque sur la transsexualité à La Havane » en juin 2010.
S’il est vrai que Cuba, au lendemain de sa Révolution (il y a un demi-siècle !), n’a pas eu une politique glorieuse à l’égard de ses minorités sexuelles (comme nombre de pays du monde à l’époque, mais il est de bon ton de l’oublier), les choses ont évolué à marche forcée, notamment grâce à la volonté de deux femmes qui, bousculant l’opinion publique de leur pays, ont été à l’origine des lois punissant l’homophobie et de l’élaboration d’un texte de loi en faveur des unions légales ainsi que de la possibilité d’adoptions.
L’une d’elle est Vilma Espin, épouse de Raúl Castro, une combattante pour les droits des femmes et pour les minorités sexuelles, héroïne de la guérilla et figure historique de la Révolution Cubaine, décédée en 2007.
L’autre, Mariela Castro Espin, fille de Vilma Espàn et de Raúl Castro est directrice du Centre National d’Education Sexuelle (Cenesex) et principale instigatrice d’une résolution qui a approuvé, en 2008, la réalisation d’opérations gratuites de changement de sexe. Mariela Castro Espin a participé dans l’île à une parade contre l’homophobie et elle milite pour les droits des LGBT (Lesbiennes, Gays, Transexuels et Bisexuels).
Pour tout dire, Cuba avait réalisé sa première opération de changement de sexe en 1988, ce qui avait heurté la population et scandalisé l’Eglise catholique cubaine. Après un temps de latence, 26 autres transsexuels ont été opérés dans l’île.
A l’heure où l’Union Européenne sanctionne l’île caribéenne sur la question des libertés individuelles (mais surtout pas le sanglant régime colombien ni les bourreaux du bagne de Guantanamo), la présence de plusieurs associations françaises à ce colloque (qu’elles ont contribué à organiser) honore notre communauté scientifique et récompense les efforts opiniâtres d’un psychiatre parisien, le docteur Hervé Hubert.
Il signe ici pour Le Grand Soir un article sur le colloque dont il nous rendra compte depuis La Havane.
Le Grand Soir.
Les homos de La Havane.
Maxime Vivas
Yasmina Reza est écrivaine et actrice. Elle a étudié le théâtre et la sociologie à Nanterre.
En 1987, elle a reçu le Molière pour la pièce de théâtre Conversations après un enterrement et à nouveau en 1995 pour « Art ».
Art a été écrit en un mois et demi, spécialement pour Pierre Arditi, Charles Vaneck et Patrice Luchini. En 1994, la pièce triomphe à la comédie des Champs Elysées puis dans le monde entier.
LE THEME : Serge est un médecin aisé et il aime l’art. Il a acheté un tableau. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.
Son copain Marc éclate de rire devant ce qu’il appelle une « merde » payée 200 000 francs. Bien qu’abasourdi par le prix, leur ami commun, Yvan, tente d’arbitrer le conflit. Les trois amis sont entraînés dans un conflit par une spirale qui ne peut s’arrêter. Ils en arrivent à des considérations bien au-delà du tableau.
J’étais à la Havane en février 2007 à l’occasion de la foire internationale du livre et, au cours d’un dîner avec quelques artistes et intellectuels cubains, un français a soulevé le problème de la liberté des homosexuels à Cuba. (Pour une raison mystérieuse, ce thème préoccupe beaucoup les hétéros français). Doris, une comédienne Cubaine, nous a alors invité au théâtre.
Nous y avons vu ART. La pièce était interprétée par trois homosexuels dans le rôle de trois homosexuels qui, à la fin, pour le rappel, (sur)jouaient trois folles dans des robes en plume d’oie.
Le lendemain, vers 22H30, sous des arcades d’une rue passante près du Capitolio, je croise un groupe de grandes cubaines en minijupes et talons aiguilles. Mes amis cubains qui m’accompagnaient m’ont affranchi : ce sont des hommes.
De retour en France, je reçus un courriel du mari de Doris, la comédienne cubaine :
« Heureusement que Doris ne t’a pas amené voir, du même metteur en scène, Carlos Diaz, Las relaciones de Clara, une pièce contemporaine d’une Allemande, où tu aurais eu droit à des scènes de feinte masturbation. De toute façon, Carlos Dàaz fait résolument, maintenant, du théâtre pour homos, avec toujours un petit parfum de scandale et de soufre pour remplir sa salle. Il a donc transformé La Putain respectueuse (de Sartre) en spectacle sado-maso (bonhommes nus, sanglés dans du cuir.... etc.), Art en boulevard à fofolles, comme tu as pu le voir, même si rien dans le texte ne se prête pas à ça. Tiens, il est en train de monter Phèdre. Oui, la nôtre, celle de Racine. Eh bien, je te le donne en mille : Phèdre sera interprété(e) par un homme...!!!
Par ailleurs, la télé cubaine a présenté l’an dernier une très longue série cubaine dont les thèmes centraux étaient le sida, les relations homosexuelles (hommes et femmes) et autres questions similaires, ce qui a scandalisé nombre de spectateurs et contraint de déplacer l’horaire plus tard dans la soirée.
Le Centre d’éducation sexuelle dirigé par la fille de Raúl Castro est très actif sur ce plan pour tenter de faire disparaître un certain nombre de préjugés dans la population et parmi les cadres, et elle s’efforce de faire passer des mesures législatives à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire. Au sujet des travestis, par exemple. Tu vois que Cuba n’est pas si à la traîne dans ce domaine, et elle est peut-être même plus en avance que d’autres pays latino-américains et d’autres continents. Bref, la « persécution » des homos est de la vieille histoire.
Doris est allée voir hier une première, une pièce d’Esther Suarez Durán, primée à un concours italien. Le titre : De hortensias y de violetas, mise en scène par Nicolás Dorr au théâtre du musée d’Art colonial. Le thème : un couple de lesbiennes veut adopter ou avoir un enfant. »
Nous pouvons néanmoins être sûrs que, pendant des années encore, quelqu’un nous demandera pourquoi Cuba met les homos en prison. Car les contrevérités tournent en boucle. Le célèbre film « Fraises et chocolat » a été produit à Cuba au début des années 90. N’empêche ! Le 16 avril 2007, sous un titre usé jusqu’à la corde (« Cuba si, Castro no »), Pierre Assouline écrit dans son blog « La République des lettres » : « On en revient toujours à une réalité à côte de laquelle veulent bien passer les touristes : […] la répression des homosexuels […] Ce n’est pas du passé, hélas… ».
Le même mois, en France, deux homophobes étaient jugés pour avoir provoqué la mort par noyade d’un homosexuel.
Un colloque sur la transsexualité à La Havane.
Docteur Hervé HUBERT
Le colloque « Trans-identités, genre et culture » va se tenir à la Havane les 9, 10 et 11 juin 2010. Il est organisé par deux associations cubaines, La Sociéte Cubaine Multidisciplinaire d’Etude de la Sexualité, Le Centre National d’Education Sexuelle (Cenesex), et deux associations françaises : Le Centre Psycho-Médical Social (CPMS) de l’Elan retrouvé à Paris et une association scientifique, le TRIP (Travaux de Recherches sur l’Inconscient et les Pulsions) Pendant ces trois jours parleront et échangeront des conférenciers cubains et français mais aussi des intervenants d’Australie, du Canada, de Colombie, de France, de Grèce, du Mexique.
Le choix de La Havane s’est effectué du fait des changements d’avant-garde qui ont été impulsés par Mariela Castro et l’équipe du Cenesex qu’elle dirige, concernant les droits aux différences sexuelles. Rappelons que la transsexualité est définie par le fait psychique d’appartenir au sexe opposé à son anatomie génitale. Beaucoup de transsexuels ont ainsi un sentiment étrange d’être de l’autre sexe depuis l’enfance, d’autres bâtissent cette identité à l’âge adulte. La question transsexuelle a été définie au niveau médical en 1953 par le Docteur Harry Benjamin, endocrinologue américain « Les vrais transsexuels ont le sentiment qu’ils appartiennent à l’autre sexe, ils veulent être et fonctionner en tant que membres du sexe opposé, et pas seulement apparaître comme tels » Elle nécessite un traitement hormono-chirurgical, puis un changement d’état civil. Cela ne va pas sans un questionnement éthique et une nécessaire distinction entre transsexualité, transgenre, travestisme, trans-identité.
La transsexualité a produit un vide dans le savoir humain sur l’identité et la sexualité. Phénomène d’apparence énigmatique pour le sujet qui porte cette question, il l’est également pour la société qui le reçoit. Cet état subjectif en souffrance a subi et subit encore souvent, dans les sociétés la moquerie, la ségrégation et la discrimination. La transphobie, moins connue que l’homophobie, peut déchaîner autant de violence. Cela a été illustré en 2000 par le film Boys don’t cry qui décrit la tragédie de Brandon Teena, violé puis tué au Nebraska, aux Etats-Unis, en 1994. Mais la violence de genre, pour reprendre une expression fréquemment utilisée par Mariela Castro, est aussi verbale. Les discriminations sont parfois plus insidieuses, incluses dans les rapports sociaux, et il convient de rappeler que la France avait été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 1992 pour avoir refusé un changement d’état civil à une personne transsexuelle. Un premier obstacle à surmonter dans les droits à la transsexualité est indéniablement la répercussion financière du changement de sexe. En France, les conditions de traitement, les coûts financiers pour avoir un libre choix de médecin sont régulièrement critiqués. Les personnes trans qui empruntent majoritairement la voie du privé paieront entre 3000 et 5000 euros pour une pose de prothèses mammaires et entre 9000 et 12000 euros pour une vaginoplastie. Aux Etats-Unis selon la Fondation internationale pour l’éducation à l’identité sexuelle, l’opération peut coûter de 10 000 à 25 000 dollars voire 4 fois plus en fonction de la procédure. A Cuba le traitement est gratuit depuis 2008.
Les situations évoluent. En France le retrait du transsexualisme de la liste des maladies mentales en février 2010, à l’initiative du Ministère de la Santé et après un travail sérieux de la Haute Autorité de Santé, est un progrès très important même si les conséquences concrètes sont pour l’instant imprécises.
A Cuba, une tradition machiste et virile, très présente dans le monde de culture hispanique, s’était développée avec une forte homophobie. Situation contradictoire puisqu’une politique favorable aux droits des femmes s’était mise en place dès les années 60. Les campagnes pour les droits des LGBT (Lesbiennes, Gays, Transexuels et Bisexuels. N. du GS.). initiées par Mariela Castro s’inscrivent dans cette lignée, et la dé-pathologisation de la transsexualité a pris une place structurelle qui représente un progrès décisif quant aux questions relatives aux droits à la différence sexuelle et aux droits humains. L’expérience cubaine, à laquelle sera consacrée la dernière journée du colloque, représentera un moment d’échange international privilégié, à travers l’étude de la dépathologisation de la transsexualité et de ses conséquences dans une organisation de santé centrée sur la prévention, l’inclusion, la participation sociale, la circulation d’une parole qui articule le singulier et le collectif.
Il sera également, dans un cadre multidisciplinaire, croisé différentes approches et expériences dans le but de saisir ce que nous apprennent le phénomène transsexuel, et les transsexuels eux-mêmes le feront, sur la logique de l’inconscient, la création culturelle en tant qu’elle est construction et production de lien social, la violence et l’intégration sociale. La trans-identité impliquant l’individu comme rapport social, apporte un gain de savoir concret sur ce qui fonde les discriminations et ségrégations.
EN COMPLEMENT
LE STATUT DES GAIS A CUBA : MYTHES ET RÉALITÉS
https://www.legrandsoir.info/le-statut-des-gais-a-cuba-mythes-et-realites.html
Les Gays à Cuba, et l’école de falsification de Hollywood.
https://www.legrandsoir.info/les-gays-a-cuba-et-l-ecole-de-falsification-de-hollywood.html
Cuba pourrait devenir le premier pays d’Amérique Latine à reconnaître des droits égaux aux couples de même sexe
http://www.pcq.qc.ca/Dossiers/AmeriqueLatine/Cuba/Cuba&CouplesDeMemeSexe.pdf