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Colombie - Venezuela

Les amis et les ennemis

« J’estime que l’absence d’attaque de l’ennemi contre nous est une mauvaise chose, car elle signifie nécessairement que nous faisons cause commune avec l’ennemi »
Mao Tsé Toung

Le président colombien Juan Manuel Santos se frotte les mains, épaulé par un bien étrange "allié" dans sa lutte contre la guérilla. Le voilà qui remercie désormais son homologue vénézuélien, Hugo Chavez, suite à l’arrestation par les autorités bolivariennes le 23 avril 2011 de Joaquin Pérez Becerra, opposant communiste colombien.
« La vérité c’est qu’il (Chavez) a collaboré. Là dessus je n’ai pas de doute. Il nous a livré des gros poissons de la guérilla et du narcotrafic, chose qu’il n’avait jamais fait avant » (1) a déclaré le premier mandataire de la nation colombienne.

Considéré comme l’homme chargé du contact international des FARC et représentant de celles-ci en Europe, Joaquin Pérez Becerra est le directeur de ANNCOL (Agencia Informacion Nueva Colombia), site internet d’opposition au gouvernement colombien. Réfugié politique en Suède depuis 1993 pour son appartenance à l’Union Patriotique (ancienne formation politique victime d’une élimination physique systématique de ses membres dans les années 80-90), âgé de 55 ans, Joaquin Pérez est arrêté à son arrivée à l’aéroport de Caracas. Rapidement il est livré aux autorités colombiennes. Le lundi 25 avril 2011, celui qu’on appelle "el embajador de las FARC" (l’ambassadeur des Farc), est accueillit à Bogota par près de 100 membres des forces spéciales (2).

La collaboration des autorités vénézuéliennes et le zèle dont elles firent preuve pour livrer au gouvernement colombien cet opposant suscitent de nombreuses critiques dans la gauche latino-américaine. Carlos Lozano, directeur du journal VOZ, prit rapidement la défense de Pérez, affirmant que celui-ci « n’est pas un terroriste. Ni même un membre des FARC comme les services d’intelligence et le gouvernement de Colombie essaient de le faire croire au pays et au monde entier » (3). Ce dernier mis en relief le danger que supposait pour sa propre vie l’extradition de Pérez en Colombie. De même, les critiques se firent entendre jusqu’en Honduras où le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (COPINH) adressa une lettre au président Chavez rappelant que « nos frères et soeurs colombiennes qui luttent pour un monde plus juste et humain méritent d’être traité(e)s avec dignité et respect et ne pas être livré(e)s aux hordes fascistes » (4). David Corredor, directeur du mouvement bolivarien en Colombie (MSB Colombia), fervent partisan du régime vénézuélien, s’est lui aussi montré extrêmement virulent vis à vis de l’attitude du président voisin : « Les discours forts et expressifs ne servent à rien avec des actions contraires. La livraison de Joaquin Pérez est un acte cruel et inhumain. C’est très lamentable » a-t-il rapporté,« Qui est le vrai révolutionnaire : celui que le peuple à ramené à Miraflores le 14 avril 2002 au petit matin, ou celui qui, pressé, peureux et irréfléchi, livre un être humain aux cachots du régime pro-impérialiste qui mal-gouverne la Colombie ? » (5).

Au Venezuela le Parti Communiste assure, quant à lui, que « la confiance est brisée ». Pedro Eusse, membre du Bureau Politique du PCV, a ainsi déclaré qu’il s’agissait là « d’une concession que le gouvernement (vénézuélien) a fait aux forces impérialistes, aux forces réactionnaires et contre-révolutionnaires du continent. Une concession dangereuse qui met en doute les principes et valeurs qui étaient définis comme orientation du processus bolivarien » (6). Sans oublier de rappeler que « cela n’est pas la première fois que cela arrive, d’autres révolutionnaires ont déjà été livrés, comme le cas de camarades basques et colombiens » (7). Pérez Becerra, comme le rappelle Telesur, est le huitième citoyen colombien dont la détention est exigée par le gouvernement colombien et qui est livré par son homologue vénézuélien depuis l’année 2011 ! (8)

Acteur imprévu dans le ballet diplomatique venezualio-colombien, la Suède entend bien prendre la défense de Joaquin Pérez, citoyen de nationalité suédoise. Le ministère des relations extérieures, à travers son porte-parole Cécilia Juhlin, a transmis mardi à Caracas ses interrogations quant à l’arrestation d’un de ses ressortissants et sa remise aux autorités colombiennes sans en avoir été informé (9). Le gouvernement suédois a affirmé, mercredi 27 avril, qu’il apportera toute l’aide nécessaire au détenu. Cécilia Juhlin, lors d’une interview télévisée, a souligné que Pérez Becerra « n’a commis aucun crime en Suède » et que le gouvernement suédois n’a aucune connaissance « d’aucun mal qu’il aurait pu commettre » (10). Pour le régime colombien, l’appartenance du journaliste aux FARC n’est pas à mettre en doute. Les preuves reposeraient sur des archives retrouvées sur l’ordinateur de feu Raul Reyes après le bombardement de son campement en 2008.

« Cela reste la pratique de la politique répressive du gouvernement colombien » réagit l’avocat Jul Jabour, membre du PCV, lors d’une interview donnée sur Telesur (11) ; « rappelons que lorsque Pérez Becerra sort d’Europe, il n’existe aucun signalement, aucune alerte d’Interpol. Nous avons pour entendu que celle-ci s’est activée lorsqu’il se trouvait en l’Europe et le Venezuela, et c’est ainsi qu’elle fut communiquée au gouvernement vénézuélien pour obtenir l’arrestation de cet activiste international » ; « l’Etat colombien monte ces "faux positifs" (12) judiciaires et médiatiques à travers les organismes d’intelligence pour inculper de terroristes internationaux ces activistes en désaccords avec les intérêts de l’oligarchie au pouvoir en Colombie » (13). Rappelons que l’état colombien avait déjà tenté récemment d’obtenir l’extradition en février d’une opposante communiste, Leyla Ordoñez, réfugiée en Espagne, sous l’accusation d’appartenir également aux FARC (14). La justice espagnole ayant finalement renoncé à la livrer aux geôliers colombiens.

Que Pérez Becerra soit membre ou pas des FARC n’est pas important, du moins aux yeux de l’oligarchie colombienne. Cette dernière n’a jamais vraiment voulut faire de distinction entre ses opposants, les qualifiant tous de "guérilleros" ou, plus récemment, de "terroristes" afin de pouvoir les réduire au silence. La voilà désormais disposée à en faire la chasse jusque dans les contrées étrangères d’Amérique et d’Europe, ayant condamné des milliers de colombiennes et de colombiens à l’exil.

Ce qui perturbe dans cette affaire est ce nouvel "allié" de circonstance que semble s’être dégotée l’Internationale noire en la personne de Hugo Chavez. La chancelière colombienne, Maria Angela Holguin, a remercié mardi le président bolivarien déclarant que « la démonstration d’hier du gouvernement vénézuélien d’envoyer en Colombie un guérillero des FARC est la démonstration que oui, nous pouvons travailler ensemble, et nous sommes reconnaissants envers le gouvernement du président Chavez » (15). Nul ne peut mettre en doute la délicate situation que supposerait un soutien officiel à une guérilla par un président élu démocratiquement dans la région, déjà fortement soumis aux manipulations et mensonges médiatiques des possédants. De là à subitement se métamorphoser en un serviteur d’un état dont le rôle déstabilisateur dans la région est plus que reconnu s’avère être un exercice dangereux. Un calcul politique qui ne fera pas adhérer la frange droite de la population au chavisme et qui risque d’en écarter sa frange la plus à gauche.

Loïc Ramirez

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