On ne peut se lasser de décortiquer le langage des médias. Tenez, lorsqu’ils utilisent le mot « Pénurie ». Rappelons aux plus jeunes que « Pénurie » (avec une majuscule) est synonyme de « socialisme ». Là où il y du socialisme, il y a de la Pénurie. La Pénurie s’installe là où il a du socialisme. Pénurie et socialisme voyagent dans le même train. Si vous vous amusez à toucher aux lois du marché, le marché se venge en se pénurisant. La Pénurie est la conséquence du socialisme. Le socialisme produit la Pénurie. Pénurie et Socialisme sont dans un bateau mais personne ne tombe à l’eau, ou alors tous les deux, parce que Pénurie et Socialisme sont fermement agrippés l’un à l’autre.
A contrario, le capitalisme ne produit jamais de Pénurie. Impossible. Il voudrait le faire qu’il ne saurait pas comment s’y prendre, car le capitalisme répond à des besoins. Et là où il y a des besoins, le capitalisme répond. Donc, pas de Pénurie. On parlera éventuellement de rupture de stocks, ou de pénurie (avec un « p » minuscule, comme dans « pénurie de logements à Paris ») mais pas de Pénurie. Cette Pénurie-là est inhérente au socialisme. La petite pénurie/rupture du capitalisme est juste une période transitoire d’ajustement de la loi de l’offre et la demande.
Exemple : les 10.000 enfants qui meurent de faim par jour ne sont pas les victimes d’une Pénurie alimentaire (Pénurie=socialisme, rappelez-vous) mais d’une malencontreuse et temporaire inadéquation entre l’offre et le demande. C’est-à-dire que la demande n’a pas encore été identifiée par le marché. L’offre ne s’est donc pas encore ajustée à la demande. Nul n’est censé ignorer les lois du marché. Alors patience, les enfants, car les ajustements structurels sont en cours. Revenez dans 100 ans, et vous verrez.
Ce bref cours d’économie telle qu’elle est enseignée chez les connards de HEC ayant étant présenté, passons à la suite.
Faisons une expérience. Prenez un volume déterminé de biens. Accumulez-les dans quelques lieux de vente stratégiquement placés dans les quartiers fréquentables et près des hôtels où descendent les rares « envoyés spéciaux » des grands médias. Si vous pouvez placer tout ça dans un centre commercial climatisé et luxueux, c’est encore mieux. Vous obtiendrez en retour le portrait d’un pays de cocagne, d’opulence, avec « certes quelques problèmes » mais des problèmes qui seront « résolus avec le temps ». Revenez dans 200 ans et le discours sera le même.
Au yeux des médias et de la bourgeoisie, un pays riche est un pays où il existe dans chaque grande ville au moins un centre commercial bourré jusqu’à la gueule de biens de consommation. La désolation sociale qui l’entoure n’est que le résultat du délai incontournable pour que se réalise le « transfert de richesses » des plus riches vers les plus pauvres. Mais revenez dans 1000 ans, et devinez quoi ?
Au Venezuela, avant la Révolution, il y avait une pénurie de pauvres, car les pauvres n’existaient pas. Leur apparition, datée au carbone14, remonte au lendemain de l’élection de Chavez, à 0h15 précisément, suite à une sorte de Big Bang de la misère dont le socialisme a le secret. Avant cet instant zéro, le Venezuela était un pays dont seuls certains animateurs de Canal+, dotés d’une connaissance encyclopédique, étaient même capables de vous citer le nom de la capitale : « Bogota ».
Mais aujourd’hui, grâce aux médias, tout le monde est au courant de tout : tout le monde est au courant que le Venezuela a du pétrole, traverse une crise économique, connaît un régime autoritaire et même manque de papier hygiénique. Bref, tout le monde « est au courant ». Mais combien savent ?
Au Venezuela, avant la Révolution, lorsque 80 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, il n’y avait pas de « Pénurie » dans les supermarchés. Au contraire, les supermarchés étaient toujours pleins à craquer et tous ceux qui y faisaient leurs courses en 4x4 climatisé au moins une fois par semaine peuvent en témoigner.
Au Venezuela, avant la Révolution, lorsque 80 % de la population n’avait pas les moyens pour consulter un médecin, il n’y avait pas de « Pénurie » de santé. Au contraire, les médecins étaient toujours disposés à vous recevoir pour examiner ce vilain grain de beauté ou soigner cette méchante crise de foie. Et toutes celles qui prennent encore l’avion pour consulter leur gynéco à Miami peuvent en témoigner.
Au Venezuela, avant la Révolution, il n’y avait pas de « Pénurie » d ’éducation. Au contraire, les universités étaient toujours promptes à accueillir le fils de quelqu’un qui avait quelques deniers à consacrer à l’éducation de sa progéniture. Et tous ceux qui prenaient l’avion pour passer leurs vacances d’été bien méritées à Miami (ville célèbre pour ses gynécos) peuvent en témoigner.
Au Venezuela, après la Révolution, l’inflation est devenue galopante à 50 %. Avant la révolution, l’inflation marchait d’un pas indolent à 120 % (avec une moyenne de 60% au cours des dix années précédentes).
Au Venezuela, après la Révolution, l’insécurité est devenue rampante alors qu’avant la révolution, elle se vautrait toute la journée dans un hamac, une bière à la main.
Au Venezuela, après la Révolution, dans un pays où circulent autant d’armes que dans une ville moyenne du Texas, les morts sont la conséquence d’un régime autoritaire. Avant la Révolution, les 3000 morts lors d’une manifestation de rue ont probablement été comptabilisés dans les accidents de la route.
Au Venezuela, les médias et la bourgeoisie ne comprennent pas qu’il puisse y avoir encore des problèmes alors que le pétrole coule à flots. Pour les médias et la bourgeoisie, le pétrole est synonyme de bonheur et il y en a même qui tueraient pour en avoir plus. D’ailleurs, ils ne comprennent même pas pourquoi il y a eu une révolution pour commencer - puisqu’il n’y avait pas de problèmes avant puisqu’il y avait déjà du pétrole - qui coulait à flots. Et soudain, ils ont mal à la tête à trop réfléchir et prennent l’avion pour consulter (un spécialiste, à Miami).
Pour les médias et la bourgeoise, l’apparition d’une armée de médecins cubains est une ingérence. Gageons que si les mêmes Cubains avaient débarqué pour ramasser les poubelles dans les quartiers chics, ils auraient appelé ça « la mobilité de la main d’oeuvre à l’ère de la globalisation ».
Pour les médias et la bourgeoise, les élections ne sont des élections que lorsque ceux qui les remportent sont dignes d’être invités sur un plateau de télé. Une révolution n’est une révolution que lorsque les Pussy Riot s’en mêlent et qu’après avoir reçu la bénédiction de BHL, sinon c’est juste du désordre populiste sous leurs balcons.
Les médias et la bourgeoisie ne sont ni sourds, ni aveugles. Comme tout un chacun, ils voient et ils entendent mais, comme tout un chacun, ils s’intéressent, se désolent et s’outragent pour ce qui leur paraît (à eux) intéressant, désolant et outrageant. Et avec le Venezuela, rarement leur « vision de classe » aura été si limpide, si démonstrative, si incontestable et si... naturelle.
Et au Venezuela, comme ailleurs, constatons que lorsqu’on chasse le naturel par les urnes, il revient aussi sec au galop par les rues.
Viktor Dedaj
tagada, tagada, voilà les réacs...