À Gaza comme en Cisjordanie, le quotidien est ainsi semé d’obstacles (au sens symbolique comme au sens littéral), rendant la vie toujours plus compliquée aux habitants de ces territoires occupés. Par ailleurs, et bien que l’on en parle moins, cette politique a des conséquences considérables sur l’environnement de la région, réduisant à néant toutes les mesures écologiques qui pourraient être prises par les autorités palestiniennes. Le présent article se propose donc de mettre en évidence ces effets, qui certes ne doivent pas occulter la souffrance humaine, mais qui affectent profondément la qualité de vie des populations concernées.
Un apartheid environnemental
Ce qui frappe le visiteur attentif quand il rentre en Cisjordanie |1| est la politique de ségrégation qui est partout mise en œuvre pour séparer les colonies israéliennes, de surcroît illégales au regard du droit international, des populations palestiniennes. De la législation à l’urbanisme en passant par l’accès aux voies de communication, tout est fait pour séparer deux mondes qui vivent pourtant côte à côte. Cette ségrégation touche également les écosystèmes puisque l’on constate directement une différence de traitement quant à l’aménagement de l’espace : alors que le territoire israélien frappe par sa « propreté impeccable », on constate dans de nombreux endroits de Cisjordanie |2| une défaillance quant au ramassage des ordures. Cela fait partie intégrante de la stratégie de transfert silencieux |3| mise en place par la politique coloniale puisque de nombreuses zones dépendent dans les faits de l’administration israélienne en ce qui concerne le traitement des déchets. Situation similaire dans la région d’Hébron, où l’armée israélienne interdit l’importation d’un acide destiné à traiter des eaux usées (officiellement, comme toujours, pour des raisons de sécurité), entraînant leur déversement dans la nature |4|. Plus grave encore, à de nombreux endroits, les terres palestiniennes font office de décharges pour des déchets israéliens en tout genre, provoquant des problèmes de santé et de pollution des sols chez les populations locales.
Plus globalement, l’occupation, et surtout la prolifération des colonies empêche de prendre des mesures efficaces de protection de l’environnement. Les rationnements, le manque de moyens (l’Autorité Palestinienne dépend fortement de l’aide extérieure) et la non continuité du territoire |5| rendent difficile la mise en œuvre ou la restauration des réseaux d’approvisionnement et d’évacuation d’eau. Ainsi, dans certaines régions, jusqu’à 45% de l’eau serait perdue en raison des rationnements et de la vétusté du réseau |6|. La qualité de l’eau s’en trouve d’ailleurs détériorée, notamment suite à la rouille des canalisations non remplacées. Par ailleurs, les moyens déployés pour mener à bien cette ségrégation spatiale ont un impact non négligeable sur les paysages palestiniens puisqu’on remarque sur le terrain une multiplication de routes, de tunnels, de check-points, de murs et de clôtures superflus qui entraînent un déboisement et une pression accrue sur les sols. Face à tout cela, la création de « parcs naturels » (sur les terres palestiniennes il va sans dire) ou les plantations de forêts de conifères (arbre non adapté aux milieux de la région) pèsent peu de poids |7|.
Colonisation hydraulique
La Palestine étant une région connaissant un stress hydrique important, les ressources hydrologiques se trouvent logiquement perturbées par la politique mise en œuvre. Cela engendre une inégalité flagrante dans la répartition des réserves d’eau potable puisqu’en moyenne, en Cisjordanie, un colon consomme 487 litres d’eau par jour contre 70 pour un Palestinien |8|. Le scandale ne s’arrête pas là car la plupart des nappes phréatiques situées dans les sous-sols palestiniens sont de facto exploitées par Israël, notamment par le biais de la compagnie nationale Mekorot, laquelle revend cette eau aux populations palestiniennes pouvant se le permettre. Dans la vallée du Jourdain, l’injustice environnementale saute aux yeux puisque des colonies fleuries et verdoyantes, qui pour la plupart bénéficient d’un accès à l’eau courante en permanence, côtoient des camps de bédouins ou des villages palestiniens quasiment dépourvus d’eau potable, si ce n’est par des systèmes de récupération des eaux de pluie. Entre les deux, des stations de pompage le long des routes reliées à des tuyaux traduisent l’accaparement des ressources hydrauliques par les colons. Si les autorités israéliennes se félicitent régulièrement d’avoir fait « verdir le désert », il ne fait aucun doute que cela s’est fait au détriment des multiples villages originaires et d’une gestion durable des écosystèmes. C’est d’autant plus vrai que l’on remarque dans cette région de nombreuses monocultures (dates, vignes, tomates...) reliées à des systèmes d’irrigation faisant baisser de façon préoccupante les réserves d’eau douce. Outre cela, ces cultures intensives multiplient également l’utilisation d’engrais et de produits chimiques préjudiciables pour le milieu naturel puisqu’ils se retrouveront tôt ou tard dans les sous-sols palestiniens. La situation est encore pire dans la bande de Gaza. En raison du blocus israélien, des pénuries de carburants entraînent de nombreux dysfonctionnements dans les systèmes d’évacuation, d’épuration et d’alimentation des eaux. Conséquence de cela : des fuites ont entraîné des inondations de quartiers entiers d’eaux d’égout ainsi que le rejet de plusieurs millions de litres d’eau usées dans la mer, polluant ainsi des zones de pêche déjà restreintes |9|.
Des comportements contre nature
Ce que l’on constate également, c’est l’importation d’un mode de vie en rupture totale avec les pratiques traditionnelles et les équilibres écologiques de la région. Les colonies se caractérisent pour la plupart par des vastes blocs de maisons ou d’appartements semblables, le tout clôturé à la façon des banlieues résidentielles hyper sécurisées de certaines villes inégalitaires telles que Johannesburg ou Sao Paulo. Elles contrastent avec l’urbanisme palestinien, plus en phase avec l’environnement et plus en accord avec la réalité historique et paysagère. Un exemple emblématique de cette situation est le village de Wadi Fukin, peuplé de 1.000 habitants et entouré par une colonie de plus de 40.000 personnes. Cette situation d’accaparement des terres rend de plus en plus difficile pour les habitants du village la pratique de leurs activités traditionnelles telles que l’agriculture. Par ailleurs, des conséquences collatérales de cette colonisation sont aussi visibles, en particulier dans les colonies les plus extrémistes idéologiquement : arrachages d’oliviers et de vignes, empoisonnement d’animaux et de terres, destruction de panneaux solaires ou encore rejets des eaux usées font partie des comportements constatés de part et d’autre dans le chef des colons de Cisjordanie. Loin d’être des actes isolés, ces délits font partie d’un véritable projet de colonisation d’un territoire par une puissance étrangère, acte condamné par nombre de résolutions du droit international. Par conséquent, il est urgent que les mouvements sociaux, mais aussi écologistes, soutiennent activement le peuple palestinien dans sa lutte contre l’oppression et pour la liberté. Cela passe par une sensibilisation accrue du plus grand nombre, une pression sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils cessent leur soutien à la politique criminelle du gouvernement israélien ainsi que par le boycott des produits issus de cette politique.
Renaud Duterme
Renaud Duterme est enseignant actif au sein du CADTM, il est l’auteur de Rwanda, Une Histoire volée, paru en 2013 aux éditions Tribord et co-auteur avec Eric De Ruest de La dette cachée de l’économie, parue en 2014 chez Les Liens Qui Libèrent.