La “marche du retour”, lancée le 30 mars, est à la fois le fruit et le symbole de la situation suffocante dans laquelle se trouve la Palestine. Organisée à la frontière de Gaza avec Israël par la société civile, et rapidement soutenue par le Hamas, cette manifestation se revendiquait désarmée et pacifique et devait durer six semaines. Son objectif était de défendre le droit au retour des réfugiés palestiniens, de protester contre le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem et d’exiger une levée du blocus contre Gaza.
Nous avons tous vu ces images glaçantes de manifestants désarmés se faisant tirer comme des lapins par des snipers israéliens. Le bilan, très lourd, de 168 morts et près de 18.000 blessés est complètement assumé par le gouvernement israélien : toutes les victimes étaient des membres du Hamas, selon le ministre de la Défense Avigdor Lieberman. Ce dernier préfère s’apitoyer sur les victimes du “terrorisme footballistique palestinien” suite à l’annulation d’un match amical Israël-Argentine, ou sur celles du “terrorisme des cerfs-volants” (des préservatifs gonflés à l’hélium auxquels sont attachés une petite poche de liquide inflammable) dont s’effraie l’agence de presse officielle du gouvernement...
Lorsque, le 20 juillet, un soldat israélien fut tué à Gaza, le premier depuis 2014, le monde retint donc son souffle : quelle serait la réaction israélienne ? Contre toute attente, elle fut assez modérée (selon ses standards). La raison de cette retenue est probablement liée à l’intense activité diplomatique à laquelle on assiste depuis le mois de juillet et dont l’objectif serait la signature d’un surprenant « arrangement » entre le Hamas et Israël.
En effet, depuis juillet, l’Egypte et l’ONU ont multiplié les rencontres avec les diverses parties afin d’obtenir un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël. Le 2 août, une délégation du bureau politique du Hamas en exil s’est rendue à Gaza pour y rencontrer les dirigeants locaux et discuter la possibilité d’une trêve. Quelques jours plus tard, le Hamas, puis les autres factions palestiniennes étaient convoquées au Caire et Israël confirmait à son tour des rencontres avec l’Egypte. Il n’y a donc guère de doute que des négociations ont lieu au sujet de Gaza. La portée d’un hypothétique accord de cessez-le-feu n’est toutefois pas encore très claire, car elle dépend grandement de l’attitude d’Abbas, le Président de l’Autorité palestinienne. En vertu de l’accord de réconciliation signé en octobre 2017, l’Autorité Palestinienne aurait dû reprendre le contrôle de la bande de Gaza dont elle a été évincée en 2007 par le Hamas à la suite d’affrontements fratricides. Mais Abbas ayant refusé de payer les employés nommés par le Hamas, l’organisation islamiste a refusé de lui céder le pouvoir... Si les deux formations parviennent rapidement à s’entendre, on peut envisager un accord de grande envergure et une levée significative du blocus. Dans le cas contraire, il ne pourra s’agir que d’un accord a minima. Le Hamas devrait s’engager à faire cesser les manifestations et les lâchers de cerfs-volants et rendre les corps de soldats israéliens tués lors de l’offensive de 2014 ; Israël devrait quant à elle recommencer à fournir Gaza en électricité et autoriser le développement de projets économiques d’envergure.
Soudain rapprochement
Pour l’instant, Abbas refuse tout accord avec le Hamas et dénonce un “cadeau gratuit à Israël et un coup contre la Palestine”, ce qui n’est pas forcément faux, mais qui ne sonne pas juste chez un dirigeant à tel point obnubilé par sa haine du Hamas qu’il en était arrivé à demander à Israël de renforcer son blocus. Il n’est en fait pas surprenant qu’Abbas essaye de bloquer un accord qui le met au pied du mur ; mais pourquoi ce soudain rapprochement entre le Hamas et le gouvernement d’extrême droite de Netanyahu ?
Le Premier Ministre israélien s’est fait accuser par l’opposition “de récompenser ceux qui utilisent la violence”. Netanyahu et Lieberman répliquent en substance qu’il y a deux moyens de se débarrasser du Hamas : une opération militaire de grande envergure ou un changement de régime à Gaza. La première option ne serait pas sans douleur pour les Israéliens, coûterait à l’Etat hébreu une partie des soutiens qui lui restent et pourrait ouvrir la voie à une “solution à un seul Etat”.
Dans ce contexte, si l’occasion se présente de transformer Gaza en une entité aussi docile que la Cisjordanie, pourquoi s’en priver ? Netanyahu caresse même le rêve que l’accord en gestation entérine la scission Cisjordanie-Gaza et qu’à terme la Cisjordanie soit rattachée à la Jordanie, et Gaza à l’Egypte. Et hop, plus de Palestine ! Evidemment, ce n’est pas la manière de voir les choses du Hamas qui plastronne et promet que Gaza sera bientôt libérée du blocus “grâce à [sa] position déterminée et à [sa] lutte”. Mais ces propos ne convainquent pas grand monde. Ces dernières années ont montré que le Hamas est complètement désorienté, changeant fréquemment d’allié (Iran, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite), ne parvenant pas à trouver une ligne politique sur le conflit syrien et ne subvenant pas aux besoins élémentaires de la population. Le Hamas est aujourd’hui sous influence de l’Egypte qui permet pourtant au blocus israélien de fonctionner (en fermant le poste de frontière de Rafah) et qui souhaite neutraliser l’organisation islamique. Le Hamas est donc à peu près aussi affaibli que le Fatah au moment de la signature des accords d’Oslo en 1993 et, comme l’organisation d’Arafat à l’époque, s’apprête à signer un accord qui le transformera en supplétif d’Israël. Netanyahu et Lieberman savent parfaitement ce qu’ils font...
David Lannes