L’article 22 de la constitution promise stipule que « les citoyens sont égaux en droits et libertés et face à la loi, sans discrimination d’aucune sorte ». Article reconnaissant, sans détours, aux deux sexes les mêmes droits et obligations, a été entériné par la commission à l’unanimité, chose rare ! Pour phagocyter cet article, la commission droits et libertés a introduit une notion ambigüe de la complémentarité homme-femme à l’article 28 mentionnant que « l’Etat assure la protection des Droits de la Femme et de ses acquis mais sous le principe de la complémentarité avec l’Homme au sein de la famille, et en tant qu’associée à l’Homme dans le développement de la patrie ».
Un collectif des associations progressistes (Femmes démocrates, LTDH, Femmes tunisiennes pour la recherche et le développement et l’UGTT, Amnesty international, Conseil national des libertés) n’a-t-il pas qualifié ce projet "d’atteinte aux acquis de la femme et vient consacrer une approche paternaliste qui donne à l’homme un pouvoir absolu tout en reniant à la femme son droit de citoyenne à part entière".
Voilà comment enlever par la main droite en un tour de magie ce qu’on a donné par la main gauche. En fait, tout le projet de Constitution est construit sur une stratégie d’introduction de plusieurs articles-pièges laissant la possibilité d’interprétation pour la cour constitutionnelle qui sera forcément sous tutelle du parti majoritaire puisqu’il est prévue que le président de cette cour soit élue par le Parlement. Voilà comment le parti islamiste aux « affaires » tente de tromper le peuple tunisien.
Aucune démocratie au monde ne peut se construire au détriment de la Femme. Considérer la Femme comme le complément de l’Homme, c’est retirer à la Femme sa citoyenneté. En d’autres termes, c’est l’exclusion de la moitié du peuple et le renvoyer au foyer. C’est la porte ouverte pour tous les abus. Il n’est pas étonnant si cette formation politique demeure encore au pouvoir qu’elle aménagerait la législation du travail pour restreindre l’accès à l’emploi des femmes dont les maris sont bien rémunérés. C’est probablement, l’objet de cette initiative malsaine et honteuse.
Nous déclarons sans ambigüité que nous allons défendre sans relâche le principe de l’égalité homme-femme. Toutefois, la femme doit, sans hésitation, être à la première loge de cette bataille pour défendre sa condition et préserver ses acquis. Nous sommes prêts à organiser la désobéissance civile pour contrer le projet obscurantiste des islamistes aux affaires.
Notre combat sera sans limite pour défendre le CSP qui a aboli, entre autres, la polygamie, la répudiation, institué le divorce judiciaire et fixé l’âge minimum du mariage à 17 ans pour la femme. En lui accordant la pleine capacité juridique - c’est-à -dire celle de choisir son conjoint " il a révolutionné les pratiques conjugales et claniques en instaurant l’exogamie, principe en cohérence avec la volonté bourguibiste de transformer une « poussière d’individus » en une Nation. Le CSP est l’acte phare le plus connu et reconnu du Président Habib Bourguiba. Conscient du conservatisme prévalant à l’époque, celui-ci devança la Constituante pour libérer la Femme et lui restituer sa dignité. Cet acte fondateur posa la première pierre en vue d’édifier une société plus juste et égalitaire et en phase avec son époque pour mieux accompagner le développement économique du pays.
Bourguiba décrit le CSP comme étant « une réforme radicale » qui allait faire du mariage « une affaire de l’État, un acte qui doit être supervisé par le droit public et la société dans son ensemble ».
Cette question d’égalité Homme-Femme justifie amplement une Révolution afin de dégager tous ceux qui veulent ramener la Femme à la condition d’esclave.
Les femmes arabes ont lancé, il y a quelques mois, un cri à travers l’appel du 8 mars pour la dignité et l’égalité où elles exigent :
(1) la préservation des acquis, l’égalité totale et effective et l’inscription des droits des femmes dans les constitutions,
(2) les mesures législatives et administratives afin d’éradiquer les violences faites aux femmes. (2)la ratification et le respect de la CEDAW sans réserve dans son esprit et dans toutes ses implications concrètes.
(3) l’adoption de lois qui protègent les femmes des inégalités sociales et économiques, des discriminations, en particulier familiale.
(4) les mesures d’action positive afin d’assurer l’accès des femmes aux postes de décision et à leur pleine participation à la vie politique et associative.
La dénonciation des voix qui s’élèvent ici et là pour discriminer les femmes au nom d’une lecture rétrograde des préceptes religieux ainsi que celles qui voudraient leur interdire une participation pleine et entière à une vie digne et respectueuse des droits humains.
Chadortt Djavan, écrivaine iranienne exilée en France, écrit : « il n’y a pas d’islamistes modérés ou radicaux, il y a des islamistes », avec pour objectifs : le refoulement du vivant des femmes, la négation de leur étant. Que les écoles, les associations, les universités deviennent les vecteurs d’une révolution culturelle, celle de la formation de citoyens et citoyennes soucieux d’altérité, respectueux de l’autre pour un nouveau peuple, une nouvelle Tunisie où les acquis sociétaux seraient bien intériorisés, réactualisés - à jamais sauvegardés, assumés et vécus dans le champ social, économique, politique et à l’intérieur de l’espace privé.
Avec un projet de Constitution construit par la tricherie et la tromperie, les islamistes espèrent installer une dictature du parti majoritaire puisque le système qui sera mis en place sera sous domination de ce parti : le président de la République, le chef du gouvernement, le président de la cour constitutionnelle seront élus par le Parlement. Le pays a dégagé un dictateur pour le remplacer par un autre, plus rétrograde, haineux et obscurantiste.
J’empreinte à mon épouse ce passage tiré de son article « Femmes, engagez-vous et vite ! » : « Femmes, continuez de revendiquer, continuez de vous révolter contre les diktats patriarcaux. Saisissez l’évènement pour vous investir dans les partis, les syndicats, les associations militant contre vos ennemis. Les multiples histoires féminines individuelles et cruelles en Afghanistan, Iran, Irak, Yémen du Sud où les femmes disposaient de droits importants ne laissent aucun doute sur le dessein mortifère des obscurantistes ».
Le plus étonnant dans cette épisode, quatre femmes nahdaoui ont voté pour l’article 27 qui déclare la femme n’est que le complément de l’homme. Personnellement, je ne suis pas surpris puisque dans un article publié au journal La Presse, j’ai écrit ceci "Imposture encore : la toute démagogique, bonne/fausse idée de parité Homme-Femme n’est que leurre eu égard à la réalité. Tous les pronostics faits à ce jour sur cette question montrent qu’au plus 10 à 13 % de femmes siégeraient à la constituante ; ainsi, seules les femmes issues des partis dominants y auront accès. Peut-on croire que des femmes représentant des idées conservatrices vont investir l’espace public pour défendre leurs soeurs et leurs luttes pour l’égalité Homme-Femme ?"
Cette triste histoire nous autorise à dire que la véritable ennemie de la femme est la femme - islamiste ! Il est temps que la Femme tunisienne s’organise pour défendre ses acquis et revendiquer des droits supplémentaires comme le congé payé de maternité pour un an, la criminalisation de la violence conjugale, égalité à l’héritage, répression du harcèlement au travail et dans la rue. Les femmes doivent créer une vraie organisation indépendante du pouvoir politique sous forme d’une Fédération regroupant toutes les associations qui militent pour la cause des femmes afin de promouvoir et défendre réellement les intérêts et les droits des femmes et d’atteindre l’égalité effective entre les femmes et les hommes. Seule une lutte continue est capable de changer les mentalités qui ont tendance à se « salifiser ». Cette Centrale aura une tâche importante pour sensibiliser les générations futures sur l’intérêt de préservation des acquis de la Femme et l’égalité Homme-Femme.
Cette Fédération pourrait imposer aux politiques l’inscription dans l’arsenal juridique et pourquoi pas dans la Constitution une procédure de "test gender" exigeant un rapport d’évaluation de l’impact de chaque projet d’acte législatif ou réglementaire sur la situation respective des femmes et des hommes afin de développer le "réflexe genre" dans toutes les activités publiques. Sans ce précieux outil, nous risquons de remettre, chaque jour un peu plus, les acquis du CSP.
Pour terminer sur une note optimiste, je cite Sana Ben Achour, ancienne présidente de l’association des femmes démocrates : « ceux qui pensent que la solution est dans le retour des femmes au foyer se trompent. Jamais les femmes tunisiennes ne renonceront à leur salaire, à leur autonomie financière, gage de leur dignité. »
Mustapha STAMBOULI