Dans son rapport du 26 mai, l’Aiea parle de recherches pour se procurer des missiles nucléaires et demande à l’Iran plus d’informations sur ses missiles. Les positions de l’Aiea sont-elles entrain de se durcir ?
L’Aiea est un organisme politique. Etats-Unis, Grande-Bretagne et Union européenne sont frustrés parce qu’ils ne sont pas arrivés à obtenir de Téhéran l’application des résolutions des Nations Unies qui lui demandent la suspension immédiate de l’enrichissement de l’uranium. Cette frustration est évidente dans le dernier rapport de l’Agence. Il s’agit pourtant d’un document qui ne contient aucun fait qui soit en mesure de contredire les révélations précédentes, selon lesquelles le programme nucléaire iranien semble être exclusivement d’usage civil, pacifique. C’est pour cela que je juge que c’est un rapport politique, parce que les « préoccupations » soulignées dans le rapport sont exclusivement dérivées des services secrets étasuniens. Le rôle de l’Aiea et de ses inspecteurs en Iran est de vérifier si la république islamique respecte le « Safeguard agreement » sur le Traité de non prolifération nucléaire. L’Iran refuse de répondre à ces questions qui sortent de la compétence de ce Traité, en particulier quand elles proviennent d’un service secret ouvertement hostile au régime iranien. Je suis sûr que ce rapport n’a pas été préparé exclusivement par le Conseil des gouverneurs, et que de fortes pressions ont été faites sur ce dernier par les Etats-Unis.
Dans votre livre, vous parlez d’un « parti de la guerre prêt à attaquer l’Iran. De qui serait-il composé ?
Du cercle des penseurs néo-conservateurs qui domine l’Administration étasunienne et surtout la formulation de ses politiques pour la sécurité nationale. Des gens comme John Bolton, Paul Wolfowitz sont désormais hors du gouvernement, mais les gens les plus influents, comme le vice-président Cheney, sont toujours là . Je décris, moi, par contre un « parti » qui va bien au-delà de l’Administration : un ensemble d’individus et d’organisations - parmi lesquels de nombreux « intellectuels » qui interviennent dans les médias- unis par une idéologie qui est la transformation radicale du Moyen-Orient, à poursuivre, dans ce cas, à travers le changement de régime en Iran.
L’Occident a -t-il quelque preuve que Téhéran soit en train fabriquer des armes nucléaires ?
S’il en avait il les aurait déjà rendues publiques. La campagne que l’Occident est en train de monter contre Téhéran n’est pas faite de preuves mais de spéculations. Israël et les Etats-Unis s’époumonent : « ils pourraient avoir un programme pour les armes nucléaires ». Puis, après que les inspecteurs de l’Aiea soient revenus et aient démenti, ils disent que c’est bien la preuve que l’Iran est en train de cacher ce projet. Ils créent la sensation que quelque chose existe, alors qu’ils n’en ont aucune preuve. On recopie exactement le schéma utilisé avec Saddam Hussein à la fin des années 90.
Mais sur l’Irak le montage a été démasqué : tout le monde sait qu’on a apporté à l’Onu des fausses preuves.
Je ne dirais pas, non : le gouvernement italien aurait-il dit à ses citoyens : l’Administration Bush a menti pour justifier sa guerre contre Saddam Hussein ? L’Union Européenne l’a-t-elle fait ? On en a parlé dans les médias. Et voyons ce qui se passe actuellement : les gouvernements français, anglais, allemand, italien, ont-ils peut-être le courage de dire : « Chers Etats-Unis, vous avez déjà menti sur l’Irak, cette fois nous avons besoin de preuves solides ». ? Au contraire, l’Europe continue à se fonder sur l’idée que l’Iran entend faire des choses nocives avec son programme nucléaire. Il y a eu plus d’opposition avant la guerre en Irak que ce qu’il y en a maintenant pendant la construction de la campagne contre l’Iran.
Dans votre livre, toujours, vous parlez d’une « crise créée par Israël ». Que voulez-vous dire ?
Israël a décidé que l’Iran et son programme nucléaire représentent une menace. Les Israéliens disent clairement que, non pas la bombe atomique, mais le simple enrichissement de l’uranium par Téhéran représente pour eux une ligne rouge dont ils ne peuvent pas accepter le franchissement. Bien que cette opération soit autorisée par le Traité de nonprolifération nucléaire dont l’Iran est signataire. Et Israël continue à faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils agissent de façon décisive contre l’Iran. Si aujourd’hui Israël disait : « OK, nous n’avons rien à dire sur l’enrichissement de l’uranium par de l’Iran », croyez-vous que le reste du monde y trouverait quelque chose à redire ? Non, parce que le reste du monde a assez de maturité pour affronter l’Iran et son enrichissement d’uranium. Cette crise est créée en Israël et se fait de plus en plus dramatique, au point qu’il y a quelques jours le vice-premier ministre israélien Mofaz a qualifié l’attaque d’ « inévitable ».
Vous, croyez-vous que les USA vont attaquer ?
Oui, même si c’est la dernière chose que je voudrais voir. Nous savons que le Pentagone est en train de faire pression pour arrêter cette course à la guerre de la Maison Blanche. Mais le ministère de la Défense relève de la présidence, autour de qui il y a toujours un groupe d’idéologues qui veut transformer le Moyen-Orient. Et avec la perspective de l’arrivée d’un président démocrate qui voit les choses autrement, un des moyens de s’assurer que le nouveau locataire de la Maison Blanche ne change pas radicalement les choses est de faire en sorte que quand il arrivera, il trouve le rapport Iran-Usa déjà redéfini. En bombardant Téhéran.
Edition de dimanche 15 juin de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/15-Giugno-2008/art45.php3
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
(1) « Target Iran : The Truth About the White House’s Plans for Regime Change »
Voir aussi http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=4201
ou http://www.legrandsoir.info/spip.php?article4504 , NdT
Sanctions ? Mais personne ne quitte l’Iran
MARINA FORTI
De nouvelles sanctions contre l’Iran ? Les puissances occidentales semblent décidées. Et pourtant, à bien y regarder, l’Iran est un partenaire commercial très respectable pour de nombreux pays européens, Italie en tête : sur un échange commercial total avec l’Europe des 27, équivalent à 24 milliards d’euros en 2007, l’Italie est au premier rang avec 6 milliards. Certes, c’est un échange déséquilibré : plus de 4 milliards d’importation face à 1,8 d’exportation.
Iran veut dire en premier lieu hydrocarbures : pétrole et gaz totalisent 88 % des importations italiennes depuis le pays proche-oriental, selon les données recueillies par la Chambre de commerce italo-iranienne. L’Eni a une présence historique en Iran, depuis l’époque de Mattei (Enrico Mattei, président de l’Eni, Giulio Andreotti étant aux Affaires étrangères, NdT), et peut aujourd’hui se vanter d’excellentes relations de partenariat avec ce pays : à l’Eni, on tient à souligner que l’ « esprit de Mattei » est encore vif, « leur pétrole n’est pas le notre », l’échange doit être équitable. En somme, l’Eni ne pense pas du tout sortir d’Iran, comme du reste aucune des entreprises pétrolières européennes qui y sont présentes. Mais les incertitudes internationales pèsent : ainsi, même si le potentiel fait envie, on ne parle plus d’investissements depuis quelques temps. Wait and see. Ainsi l’agence pétrolière italienne, par la voix de son administrateur délégué Paolo Scaroni (dans une interview au Financial Times, nov. 2007) précise que les relations sont excellentes, l’intérêt est élevé et « nous honorerons nos contrats », mais si des sanctions internationales sont décrétées l’Eni aussi devra les respecter.
Pour les petites et moyennes entreprises qui font le tissu industriel italien, l’incertitude est encore plus lourde. L’Italie exporte surtout des machines-outils, mais l’incertitude est dissuasive pour des entreprises moins fortes. Le président de la Chambre de commerce italo-iranienne Rosario Alessandrello avait parlé d’ "énorme potentiel" : « Nous voulons continuer à travailler en Iran » avait-il dit en souhaitant la bienvenue au président Ahmani Dejad à Rome, il y a deux semaines (sommet Fao, NdT) : la rencontre, disait-il, « témoigne de l’intérêt des entrepreneurs italiens pour l’Iran ».
Marina Forti est co-rédactrice en chef de il manifesto ; elle a souvent été l’envoyée spéciale du journal en Iran et Afghanistan. Et a été longtemps responsable de la rubrique Terra Terra, sur les problèmes d’environnement.
Edition de dimanche 15 juin 2008 de il manifesto
http://abbonati.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/15-Giugno-2008/art46.php3
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio