« C’est un affrontement qui, en alimentant le fanatisme, va accentuer la tension entre Occident et monde musulman, et pourra porter à son dernier terme la situation d’apartheid que le leadership israélien veut réaliser avec les Palestiniens ». Jeff Halper observe avec une préoccupation extrême le bras de fer qui est en acte entre Israël et le Hamas, et se demande comment l’Union Européenne ne tente pas une médiation. Analyste politique et pacifiste israélien, Halper répond aux questions posées par téléphone à Jérusalem par Il manifesto.
Comment les Israéliens perçoivent-ils les bombardements sur Gaza et les massacres de civils palestiniens ?
De leur point de vue tout ça est justifié, comme entrant dans le cadre de la « guerre au terrorisme ». Ils n’ont aucun contact avec le contexte politique, ils ne voient pas que l’objectif d’Israël est la destruction de la direction politique du Hamas. Ils ne voient même pas l’occupation. Ce mot, ces derniers temps, n’est même plus utilisé bien qu’Israël - après le retrait des troupes et des colons du territoire en août 2005- occupe encore Gaza puisqu’il contrôle complètement le territoire et les frontières. Dans ce contexte, les missiles « qassam » contre Sderot leur semblent tirés sans aucun motif par des terroristes contre une population civile. Les gens ne voient pas que le Hamas est un acteur politique qui, depuis pas mal de temps, offre une trêve en échange de la fin du siège de la Bande.
Et les qassam contre Sderot ? Que fait le gouvernement israélien pour protéger les habitants de la petite ville ?
Les gens de Sderot sont en otage de politiciens irresponsables qui s’en tiennent à une approche militaire. Le tir de qassam pourrait s’arrêter demain, s’il y avait un accord avec le Hamas. Mais l’exécutif présidé par Olmert travaille dans la direction opposée, pour détruire le régime du Hamas. La direction politico-militaire israélienne est en somme en train d’utiliser la panique de Sderot pour attaquer Gaza.
Quelles conséquences humanitaires pouvons-nous prévoir, si une invasion massive de Gaza était mise à exécution par l’armée israélienne ?
Avec la « gaffe » faite avant-hier par le vice-ministre de la défense Vilnay sur la shoah contre Gaza, le gouvernement a été très clair : il pourra y avoir des centaines des milliers de civils innocents tués. Israël ne fait plus de distinction entre civils et combattants. Ces derniers mois, le gouvernement israélien a inventé l’appellation d’« entité ennemie », une catégorie qui n’existe pas dans le droit international, exactement pour justifier le massacre de centaines de civils. Olmert répète depuis des jours qu’au sud il y a « une guerre », mais il ne dit pas qu’il s’agit d’un conflit contre la population civile aussi.
Qu’est-ce qu’Israël craint d’un point de vue militaire, après la défaite dans la guerre (dans l’agression israélienne, NdT) des 34 jours de l’été 2006 contre le Hezbollah (et contre la population libanaise, NdT) ?
Israël ne fait pas de distinction entre le Hamas, al Qaeda et le Hezbollah. Du point de vue de la propagande, cela fonctionne très bien : ils diront qu’ils attaquent Gaza parce qu’al Qaeda y est. Mais Israël veut rétablir le pouvoir de dissuasion qu’il a perdu après la dernière guerre (d’agression, NdT) au Liban. C’est pour cette raison qu’il doit vaincre militairement. Et c’est pour cela que je pense que l’invasion sera inévitable. S’ils ne le font pas, leur image va s’écrouler aux yeux des Etats-Unis et du monde musulman. L’attaque devra se conclure par l’élimination totale du leadership du Hamas, et la remise du pouvoir dans les mains de l’Autorité palestinienne d’Abou Mazen ou - hypothèse moins probable- une réoccupation de la Bande de Gaza.
Quelles seraient les conséquences sur les deux camps ?
La chose la plus incroyable est que ni l’Europe ni les Etats-Unis ne bougent le moins du monde face à ce drame. Israël peut donc faire tout ce qu’il veut. Les conséquences pour Israël ne pourront qu’être positives : le premier ministre Olmert deviendra populaire, parce qu’il arrivera à arrêter les tirs de qassam contre Sderot. Et les Palestiniens resteront prisonniers d’un état d’apartheid. Quand Hamas aura été détruit, la communauté internationale, avec l’aide d’Abou Maze qui, de fait, collabore avec Israël, sera en mesure d’imposer aux Palestiniens un Etat « bantoustan » composé de Gaza et de trois ou quatre cantons en Cisjordanie, sans continuité territoriale.
Mais le Hamas offre officiellement une trêve, alors qu’Israël a peur de perdre pas mal de soldats à Gaza. Pourquoi le gouvernement israélien ne s’arrête-t-il pas ?
L’espace de la négociation politique existe. Le problème c’est que la communauté internationale laisse les mains libres à Israël. L’Europe ne fait aucune objection aux Etats-Unis, elle est passive. Le conflit pourrait encore être résolu, parce que jusqu’à présent il est encore pris comme un affrontement politique ; mais si Israël envahit Gaza et tue la direction du Hamas, et des centaines d’habitants, la guerre se déplacera sur un plan théologique, entre occident et islam, ce qui déstabiliserait tout le Moyen-Orient. Face à cette perspective horrible, que font l’Europe et la communauté internationale ?
Edition de dimanche 2 mars 2008 de il manifesto
Quotidiano-archivio/02-Marzo-2008/art9.html
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Précisions de la traductrice concernant les articles de il manifesto :
Malgré (ou à cause de) la situation dramatique à Gaza, je voudrais vous adresser quelques commentaires, parallèlement à cette diffusion :
1) en ce qui concerne la politique de l’Etat d’Israël contre les Palestiniens, la direction actuelle (et peut-être la majorité des rédacteurs) du quotidien il manifesto, depuis la mort de Stefano Chiarini il y a un an, donne surtout la parole à des militants israéliens -ici Jeff Halper voir aussi http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=3181 - et très rarement à des militants ou analystes palestiniens qui pourtant ne manquent pas et disent des choses majeures sur d’autres sites et journaux...
Faute de quoi, je vous envoye de temps en temps des interviews (minoritaires par rapport à l’ensemble des articles de la rubrique Palestine-Israël, dans les pages Internazionale, que je ne traduis plus) de ces militants israéliens, interviews qui me semblent correspondre à une position qui vaut la peine d’être diffusée.
2) Michelangelo Cocco, que j’avais rencontré l’été dernier, m’avait dit qu’il essayait de continuer le travail de Stefano, sans avoir malheureusement tout le réseau que celui -ci avait construit pendant des années en allant sur le terrain, au Moyen-Orient, et avec une analyse politique (à laquelle j’adhérais) différente de la position majoritaire actuelle du journal : position que j’appellerai, brièvement, sioniste "soft", c’est-à -dire : pas d’attaque contre l’Etat d’Israël en tant qu’Etat colonial (depuis 47), mais seulement contre ses "débordements" depuis 67, et l’escalade meurtrière actuelle. Le droit au retour, on essaie d’éviter d’en parler...la solution "des deux Etats deux peuples" étant, me semble-t-il, celle qui continue à être préconisée dans la majorité des articles publiés dans ce journal (sans préjuger cependant des discussions qu’il y a peut-être dans la rédaction).
Les rares interventions sur la solution "Un pays, un état" (notamment élaborée cet été à Madrid, par des militants palestiniens et israéliens) ont été publiées dans des articles de M. Cocco, principalement. Et je vous les ai envoyées, car elles me semblent les plus intéressantes, dans la situation actuelle.
3) Concernant les interviews des "pacifistes israéliens", il y a dans les formulations des auteurs ou des personnes interviewées, des termes que j’ai du mal à diffuser tels quels : ils relèvent d’une analyse qui me semble parfois partiale et, de ce fait, peuvent participer à une propagande ou désinformation - consciente ou pas - auxquelles je ne tiens pas à collaborer (fut-ce très modestement).
Si ces articles me semblent apporter néanmoins, globalement, des informations intéressantes -et originales- je vous les adresse en prenant l’initiative de mentionner entre parenthèses quelques "corrections" -que je signale- des termes employés par l’auteur de l’article, pour ma traduction et diffusion. Ces "corrections" sont minimes pour la diffusion d’aujourd’hui.
Excusez-moi de cette longue mise au point ; la situation de crime de guerre qu’Israël, ses alliés Palestiniens, étasuniens et européens sont en train de mettre en acte à Gaza, fait que tous les mots ont du poids dans ce que nous lisons et diffusons ; toutes proportions gardées bien sûr, il faut au moins essayer d’être attentifs, chacun à notre échelle, à ne pas nuire encore plus, nous ici, par l’emploi de termes qui ouvrent la voie à toutes les manipulations.
m-a
Post-Scriptum :
J. Halper indique qu’une majorité d’Israéliens approuverait l’agression en cours à Gaza (en donnant des raisons de cette situation) ; la position de Ali Abunimah, du site Electronic-Intifada , est différente : voir sur
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=3896
Un ministre israélien menace d’ "holocauste" mais l’opinion veut un cessez-le-feu
Et, pour conclure, en complément aux informations données par J. Halper, je vous signale la déclaration de Azmi Bishara, député arabe israélien ("qui a renoncé à sa citoyenneté israélienne et qui a choisi - si on peut dire, NDT - de vivre dans la diaspora") : " celui (Abbas), qui affirme au monde qu’Al-Qaïda est présent dans la bande de Gaza participe au bain de sang à Gaza et sert de couverture à la série d’assassinats lancée par les soldats des FOI contre le peuple palestinien .
lire la suite sur
http://www.ism-suisse.org/news/arti...,
"Bishara accuse Abbas d’implication dans l’agression des Forces d’Occupation Israélienne à Gaza"
bonne lecture