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"Rapport" de l’ONU sur les droits de l’homme au Xinjiang du 31 août 2022 : c’est dans les vieux pots qu’on fait l’meilleur ragoût

En ce jeudi de rentrée scolaire, levé tôt et correctement caféiné, j'ouvre la page d'accueil du Monde en ligne. Oui, je lis le Monde. Survol rapide des titres, en diagonale, plus rarement les débuts d'articles pour non-abonnés. Deux raisons à cela : comme disait Sun Tzu repris par Rage Against The Machine, "Know Your Enemy" (Connais ton ennemi) et surtout, pour citer B. du site Moon Of Alabama, "trouver les perles qui donnent une image réelle d'une situation et qui se glissent souvent dans la couverture médiatique mais généralement bien en dessous du titre."

J’ouvre donc le Monde.fr du jeudi 1er septembre et lis en Une ce titre : Répression des Ouïgours : l’ONU dresse un réquisitoire accablant contre la politique de la Chine au Xinjiang.

Illico, je me dis que ah, tiens, enfin, la délégation de l’ONU qui a pu fin mai aller au Xinjiang pour constater avec ses propres pairs d’yeux l’oppression dont sont victimes les Ouïgours a rendu son rapport. Je dis « délégation » mais en fait il s’agissait d’un voyage de quatre jours effectué du 23 au 28 mai 2022 par Michelle Bachelet, la haut-commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, accompagnée de Ravina Shamdasani, sa porte-parole. Subtil comme une vague odeur de putréfaction, un léger, très léger doute subsiste quand même en moi. Et puis je me rappelle que aïe, à son retour de Chine, les conclusions de madame Bachelet, plutôt favorables à la version chinoise, avait provoqué des protestations dans la presse occidentale, ici, ici et , mais pas seulement, et que d’aucuns avaient même réclamé sa tête. C’est étrange, parce que maintenant que je me le dis, ça me rappelle les mésaventures d’Amnesty International en Ukraine, dont le rapport critiquant l’armée ukrainienne avait eu des résultats similaires en terme d’accueil, ce qui avait poussé à la démission sa responsable, Oksana Pokaltchouk, car elle maintenait ses conclusions.

Pourquoi ce décalage entre les propos mesurés de Michelle Bachelet à son retour de Chine et la sévérité de ce réquisitoire ? Est-ce qu’elle a fait preuve d’indulgence par peur de déplaire à Pékin ? Ce revirement est-il le signe qu’elle s’est fait taper sur les doigts par Washington ou qu’elle a voulu conserver son poste ?

Je clique sur le titre de l’article pour suivre le conseil de B. Celui-ci s’avère judicieux : les perles sont là.

Bien sûr, cela commence par une conclusion implacable : « Détentions arbitraires, tortures, stérilisations forcées... Les 46 pages du rapport sonnent comme un véritable réquisitoire contre la politique menée par Pékin. Le verdict est sans appel : « L’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire d’Ouïgours et de membres d’autres groupes essentiellement musulmans (...) dans un contexte de restrictions et de privation des droits fondamentaux tant individuels que collectifs peut constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité. » Rien de nouveau en fait. Il y a des mois que les médias répètent cela avec l’assurance d’une vérité indéniable ne nécessitant pas de preuves.

Cette déclaration martelée comme une certitude absolue se révèle un pétard mouillé dès l’entame du paragraphe suivant : « Le rapport est fondé sur les écrits et déclarations des autorités chinoises elles-mêmes, mais aussi sur le travail de chercheurs, sur des images satellites, des informations en libre accès ainsi que sur quarante entretiens approfondis, avec notamment vingt-six personnes ayant été internées ou ayant travaillé dans des camps du Xinjiang depuis 2016. »

La visite de Bachelet en Chine n’est pas mentionnée.

Il semblerait que pour rédiger ce « rapport », elle n’ait même servi à rien. Du coup, on emploie les mêmes combines qu’avant faites de recherches sur la toile, de rumeurs répandues par une diaspora ouïgoure en manque de visibilité, de quelques témoignages de Ouïgours ayant supposément échappé à l’oppression chinoise, d’images satellite de camps de rééducation nous dit-on, d’analyses de documents officiels et de déclarations de l’État chinois, de documents provenant de l’ONU qui n’a aucune hésitation à se citer elle-même. Ce qu’a vu Madame Bachelet ? On ne le sait pas. Est-elle restée dans la chambre de son hôtel de luxe ? Est-elle sortie ? A-t-elle visité un de ces fameux centres de déradicalisation, comme on les nomme chez nous, mais qu’on rebaptise « camps de rééducation » chez les Chinois, parce que ça donne une toute autre impression ? Où est la différence entre ce qu’ils disaient avant et ce qu’ils disent maintenant ? Ils n’ont pas fait un pas supplémentaire depuis des mois et des mois : ils remâchent, remixent, réarrangent, repeignent, remaquillent d’anciens arguments pour en faire un « rapport ».

Arrivé là de l’article, le reste m’est interdit puisque non-abonné perpétuel. Casse l’âne tienne, à coeur vaillant rien d’impossible, je commence la lecture de ce fameux « rapport ». Mieux vaut s’adresser à Dieu qu’à ses saints, comme dirait l’aut’.

Et in inglese per favore.

PARTIE I : INTRODUCTION

L’introduction doit être la seule partie du « rapport » que les journalistes du Monde ont lu pour écrire leur article. C’est une instruction à charge : allégations d’enlèvements, de disparitions et de mises en détention en provenance de la société civile, de think tanks et de diverses ONG concernant des Ouïgours ou d’autres personnes des minorités musulmanes de Chine dans le cadre de la lutte anti-terroriste, interviews de 40 personnes (24 femmes et 16 hommes, 23 Ouïgours, 16 Kazakhs et un Kirghize) parmi lesquelles 26 ont supposément été détenues et auraient travaillé dans des établissements de la région autonome du Xinjiang. Une note de bas de page du « rapport » nous indique que « plus d’un tiers des 40 personnes interrogées n’avaient pas été interrogées par d’autres, ou avaient été interrogées dans le passé par des chercheurs, la société civile ou des journalistes, mais avaient choisi de ne pas partager publiquement leur expérience avant de s’adresser au HCNUDH [Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains]. Lorsque l’évaluation cite directement le récit d’une personne interrogée, le HCNUDH a accepté la déclaration telle qu’évaluée et décrite comme étant véridique et pertinente, sauf indication contraire. Les références directes à des déclarations spécifiques dans le rapport ne doivent pas être considérées comme une indication qu’il s’agissait de la seule base de jugement par rapport aux questions analysées. Ces références directes et citations ont été incluses pour fournir un exemple ou une illustration. »

D’emblée, je sens que ça va être corsé.

On est submergé par les notes de bas de page et les références à des sources. Il faudrait un temps plein pour les vérifier une à une. Je prends la première, la note 3 de la page 3 du « rapport » : la base de données shahit.biz recensant les disparitions, les emprisonnements et les confiscations de papiers d’identité au Xinjiang. Rien n’indique que ce soit un montage, mais aucune information n’est vérifiable par une personne lambda. C’est peut-être authentique, mais quelqu’un avec une connaissance basique en conception de sites Internet serait capable d’en créer un de ce type. En outre, d’après Global Times, média chinois pro-gouvernemental, cette base de données ainsi que d’autres, « en utilisant de fausses identités et informations, [...] font des déclarations sur des victimes qui n’existent même pas physiquement, a déclaré Xu. Certaines personnes identifiées sont actuellement en détention ou mènent une vie normale ; d’autres ont été condamnées pour des crimes tels que des actes terroristes, des viols, des meurtres, des trafics de drogue, des vols et de la prostitution ».

Je creuse un peu et je découvre que le site est lié à une page gofundme sur laquelle près de 200 000 dollars ont été récoltés. Cette page de levée de fonds a été ouverte par un certain Gene Bunin qui s’avère aussi être le créateur du site shahit.biz.

En continuant mes recherches, je découvre que ce Gene Bunin est en fait un chercheur américain, à l’origine ingénieur mathématicien, ayant tout abandonné pour devenir soudainement expert des évènements liés au Xinjiang et se consacrer à sa base de données.

J’avance encore un peu et je découvre un autre personnage : Darren Byler, docteur en anthropologie, américain lui aussi, auteur de pamphlets anti-Chine et en lien avec de nombreux groupes d’influence.

Tous deux ont été expulsés de Chine pour de présumées activités subversives.

Tous deux ont des profils étrangement similaires à celui d’Adrian Zenz, cet autre anthropologue devenu la principale source des accusations de génocide portées contre la Chine.

Je laisse là mes recherches et continue ma lecture du « rapport » de l’HCNUDH. À l’introduction succède une partie consacrée à différents chiffres et données qui concernent la province du Xinjiang et à la contextualisation de la lutte anti-terroriste chinoise.

PARTIE II : CONTEXTUALISATION

Je remarque une chose qui sans être pertinente n’en est pas moins pleine de sens : le contraste entre le foisonnement de détails concernant la répression (« En mai 2014 [...] le gouvernement a lancé ce qu’il a appelé une campagne "Strike Hard" ["Frapper fort"] pour lutter contre les menaces terroristes, qu’il a liées à l’"extrémisme" religieux et au séparatisme dans la région autonome du Xinjiang. Dans un livre blanc de 2019, le gouvernement a déclaré que "depuis 2014, le Xinjiang a détruit 1 588 gangs violents et terroristes, arrêté 12 995 terroristes, saisi 2 052 engins explosifs, puni 30 645 personnes pour 4 858 activités religieuses illégales, et confisqué 345 229 exemplaires de matériel religieux illégal." ») et le manque inversement proportionnel de précisions à propos des actes terroristes commis sur le sol chinois et sur le nombre des victimes (« le gouvernement a indiqué que "de 1990 à la fin de 2016, les forces séparatistes, terroristes et extrémistes ont lancé des milliers d’attaques terroristes au Xinjiang, tuant un grand nombre d’innocents et des centaines de policiers, et causant des dommages matériels incommensurables". Il y a également eu une série d’incidents violents dans différentes villes chinoises en dehors du Xinjiang, qui ont fait des dizaines de morts et que le gouvernement, pour sa part, a toujours qualifiés de terroristes. Dans le même temps, l’implication d’un certain nombre de combattants dans des groupes armés, y compris en Afghanistan et en Syrie »). Alors que les détails sur ces actes terroristes et sur le nombres de victimes sont disponibles en ligne, le « rapport » renvoie à des documents chinois que personne ne consultera de toute façon et pour savoir que 5000 Ouïgours ont participé au djihad en Syrie, rendez-vous dans les notes de bas de page.

PARTIE III : CADRE JURIDIQUE ET POLITIQUE DE LA CHINE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET L’« EXTRÉMISME »

Cette partie constitue un commentaire pointilleux des textes de loi chinois sur la lutte contre le terrorisme.

Selon le « rapport », la République Populaire de Chine définit le terrorisme comme « les propositions et actions qui créent une panique sociale, mettent en danger la sécurité publique, attaquent les personnes ou les biens, ou contraignent les organes nationaux ou les organisations internationales, par des méthodes telles que la violence, l’intimidation la destruction, afin d’atteindre leurs objectifs politiques, idéologiques ou autres. »

Petit problème : lorsqu’on se rend sur le site gouvernemental chinois et qu’on effectue une recherche sur cette fameuse Loi Anti-terroriste (中华人民共和国反恐怖主义法), on se rend compte, après avoir fait le clic droit de rigueur pour traduire la page en français, qu’on ne lit pas tout à fait la même chose que dans le « rapport » : « le terme "terrorisme" tel qu’il est utilisé dans la présente loi fait référence à l’utilisation de la violence, du sabotage, de l’intimidation et d’autres moyens pour créer la panique sociale, mettre en danger la sécurité publique, porter atteinte aux biens personnels ou contraindre les organes de l’État et les organisations internationales à atteindre leurs objectifs politiques, affirmations et comportements à des fins idéologiques et autres. »

L’ONU, quant à elle, lors de son assemblée générale de 2006 le définit ainsi : «  les actes criminels conçus ou calculés pour terroriser l’ensemble d’une population, un groupe de population ou certaines personnes à des fins politiques. »

Dans son « rapport », cette dernière reproche à la Chine son manque de clarté sur le sens de certains termes comme « panique sociale » ou « autres [objectifs] ». C’est vrai qu’entre « terroriser l’ensemble d’une population » et « créer la panique sociale », la différence est de taille et qu’au-delà d’objectifs idéologiques et politiques, le terrorisme en a bien d’autres : culinaires, sportifs, cosmétiques, commerciaux... et caetera. Charge à la Chine de préciser.

Ce qu’elle fait quelques lignes plus loin sans que cela intéresse les rédacteurs du « rapport » : « Aux fins de la présente loi, on entend par "activités terroristes" les comportements suivants de nature terroriste : Organiser, planifier, préparer ou mener des activités qui causent ou tentent de causer des pertes humaines, des pertes matérielles importantes, des dommages aux installations publiques, des perturbations de l’ordre social et d’autres dommages sociaux graves ; Faire l’apologie du terrorisme, inciter à des activités terroristes, ou détenir illégalement des articles faisant l’apologie du terrorisme, ou forcer d’autres personnes à porter des costumes ou des symboles faisant l’apologie du terrorisme dans des lieux publics ; Organiser, diriger ou participer à des organisations terroristes ; Fournir des informations, des fonds, du matériel, des services de main-d’œuvre, des technologies, des lieux et d’autres formes de soutien, d’assistance et de commodité aux organisations terroristes, aux terroristes, à la mise en œuvre d’activités terroristes ou à la formation à des activités terroristes ; Autres activités terroristes. ». À moi au moins, ça semble plutôt clair et complet.

Je m’arrête là une seconde parce qu’il y a quelque chose qui m’enquiquine, du genre caillou commass dans la chaussure. Ayant longtemps vécu en Chine et bien que mon niveau de chinois soit honteusement faible en comparaison des années passées dans ce pays, il y a une chose que je sais avec certitude et avec l’aide de ceux de mes proches qui parlent la langue de Kǒng Zǐ à la perfection : les subtilités de la langue chinoise ne supportent pas les imprécisions d’une traduction peu rigoureuse. Or, il y a une chose qui frappe à la lecture de ce « rapport », c’est que toutes les sources se référant aux textes de loi chinois portent la mention « unofficial translation » (« traduction non-officielle »). Qu’est-ce que ça veut dire ? Lorsqu’on vit un certain temps dans un pays étranger, on accumule des papiers, diplômes, certificats de travail, titres de propriété, actes de naissance, actes notariés... que l’on doit traduire pour qu’ils soient valides à notre retour vers la mère patrie. Pour ce faire, c’est une obligation légale de les faire traduire par un bureau de traduction assermenté par notre ambassade, ce qui coûte un pognon, sinon de dingue, non négligeable. On ne peut évidemment pas procéder à cette traduction soi-même ou par une connaissance bilingue moyennant rémunération, elle rendrait de facto invalides les documents en question.

Pour rédiger son « rapport » contenant une évaluation de la politique chinoise en matière de contre-terrorisme et de graves accusations, l’ONU n’a même pas pris la peine de faire traduire les textes de loi chinois par des traducteurs professionnels, maîtrisant ces subtilités. On se satisfait que la mention ne soit pas Google Translate... En réalité, en faisant moi-même les nombreuses recherches en ligne pour vérifier ces informations, notamment des traductions de textes chinois, je me retrouvais souvent sur le même site américain China Law Translate, fournissant des traductions exactement similaires à celles du « rapport », par exemple celle de la prétendue loi en question, version ancienne de la loi actuelle, ou pour une liste de 15 signes préliminaires de radicalisation à laquelle le « rapport » fait également référence. Et on retrouve à la fin de chaque traduction de texte la même mention : unofficial translation.

Qu’on me pardonne si un soupçon de suspicion me chatouille quelque part dans l’occiput : les petites mains qui ont rédigé ce « rapport » ne se sont peut-être pas trop cassé le tronc pour trouver leur sources. Je dis ça, je dis rien. Mais enfin, de telles approximations venant des Nations Unies n’augureraient rien de bon pour le sérieux du reste de ce document.

Je poursuis.

Sur les méthodologies mises en place pour le repérage d’éventuels suspects ou wannabe terroristes, la Chine est aussi démunie que n’importe quel autre pays. Une liste de 15 signes préliminaires de radicalisation a donc été éditée à l’usage des forces de l’ordre et de la société civile. Dans le rapport du HCNUDH, cette liste de 15 symptômes de radicalisation est bien vite abandonnée au profit d’une autre liste, contenant cette fois 75 points (!!!), attribuée aussi aux autorités locales du Xinjiang. Or, bien qu’il soit impossible de retrouver la trace de cette liste-là sur le site du gouvernement chinois, à l’exception de sites d’archivage ou de capture d’écran, le rapport de l’ONU se focalise essentiellement sur elle, par son caractère jusqu’au-boutiste et les évidentes erreurs judiciaires qu’elle est en mesure de provoquer. Non seulement aucune mention n’est faite des 15 points fondamentaux, parmi lesquels « préconiser ou diffuser des idées extrémistes », « endommager ou détruire intentionnellement des biens publics ou privés », « interférer délibérément avec ou saper la mise en œuvre des politiques de planification familiale », mais elle en sélectionne dans son « rapport » les plus à même, croit-elle, de décrédibiliser la lutte anti-terroriste chinoise : « rejeter ou refuser la radio et la télévision », « être des hommes jeunes et d’âge moyen avec une grande barbe », « arrêter soudainement de boire et de fumer, et ne pas interagir avec d’autres personnes qui boivent et fument », ce qui doit bien comprendre une bonne moitié de la population masculine du Xinjiang.

Comme j’ai l’habitude de passer le plumeau chez moi avant de le faire chez les autres, je vais regarder ce que dit à ce sujet la France, elle aussi grande victime du terrorisme. Dans cette liste des signes avant-coureurs rédigée par le contre-terrorisme français, on trouve, entre autres : « changements physiques, vestimentaires et alimentaires ». Ailleurs, sur une autre liste, « ils ne regardent plus la télévision et ne vont plus au cinéma ». Il ne me semble pas que l’ONU s’en soit formalisée comme elle le fait à propos de la Chine.

Pour conclure cette partie sur les textes de loi chinois, le « rapport » dit qu’en substance, « le système législatif antiterroriste chinois est fondé sur des concepts vagues et généraux qui laissent une grande marge de manœuvre aux divers fonctionnaires quant à leur interprétation et leur application ». Je ne sais pas car je n’ai pas tout lu. Ce que je découvre de mon côté, c’est que ce « rapport » ne fait pas la preuve d’un grand professionnalisme dans l’étude de la législation chinoise, que les recherches qu’ils ont effectuées sont elles aussi vagues et sans profondeur, résultant de consultations de sites en ligne qu’un amateur comme moi a pu reproduire.

PARTIE IV : EMPRISONNEMENT ET AUTRES FORMES DE PRIVATION DES LIBERTÉS »

Dans cette partie et la suivante, le « rapport » se focalise sur les Centres de formation professionnelle mis en place dans la province du Xinjiang dans le cadre de la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme religieux. Ce que les médias occidentaux se sont contentés d’appeler « camps de rééducation », probablement parce que ces termes correspondent davantage à l’idée qu’ils se font du fonctionnement des choses dans un état communiste.

Dans le Livre Blanc de 2019 sur l’Éducation et la formation professionnelle au Xinjiang duquel le rapport du HCNUDH tire ses références, on apprend que trois catégories de personnes peuvent être retenues dans ces centres : celles qui « ont été condamnées pour des crimes terroristes ou "extrémistes" et qui, à l’issue de leur peine, "sont considérées comme représentant toujours une menace potentielle pour la société », celle-ci sont envoyées dans les Centres de formation professionnelle par décision de justice ; « les personnes qui ont été incitées, contraintes ou incitées à participer à des activités terroristes ou extrémistes, ou les personnes qui ont participé à des activités terroristes ou extrémistes dans des circonstances qui n’étaient pas suffisamment graves pour constituer un crime », celles-ci sont envoyées dans ces centres par décision de police ; celles « qui ont été incitées, forcées ou incitées à participer à des activités terroristes ou extrémistes, ou les personnes qui ont participé à des activités terroristes ou extrémistes qui représentaient un danger réel mais n’ont pas causé de dommages réels », celles-ci sont envoyées dans ces centres par décision mutuelle du procureur et de la personne concernée. Les notes de bas de page du « rapport » renvoient aux articles 38, 39 et 42 du texte de loi sur les Mesures pour la mise en œuvre de la « loi antiterroriste de la République populaire de Chine » dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang (pour ceusses que ça amuse, avec clic droit de rigueur pour la traduction en français).

Toujours est-il que dans ledit Livre Blanc, il est proclamé, dans la Partie IV sur la Protection des Droits Fondamentaux des Apprentis, que l’éducation et la formation dans ces centres ne sauraient être « des mesures visant à limiter ou à circonscrire la liberté de la personne, que ces centres sont par nature des écoles ». Croyant trouver là une faille dans le raisonnement chinois, le « rapport » pointe alors une contradiction puisque selon les lois internationales sur les droits humains, une privation de libertés, c’est quand une personne est retenue contre sa volonté. Non seulement il semble oublier à quel type de public il est fait référence ici, c’est-à-dire des individus évoluant dans la sphère du terrorisme islamiste, mais il fait également mine d’ignorer la suite du texte chinois : « le seul critère d’admission dans les centres est le fait que le stagiaire ait été condamné pour des actes illégaux ou criminels liés au terrorisme et à l’extrémisme religieux. Cela n’a rien à voir avec leur région, leur ethnie ou leur religion. La liberté personnelle des stagiaires des centres d’éducation et de formation est protégée conformément à la loi. Les centres garantissent l’inviolabilité de la dignité personnelle des stagiaires et empêchent toute insulte ou abus de quelque nature que ce soit. Ils utilisent un modèle d’éducation résidentielle qui permet aux stagiaires de rentrer chez eux régulièrement et de demander un congé pour s’occuper de leurs affaires personnelles. Les stagiaires bénéficient également de la liberté de correspondance ».

Il est important de préciser pour les lecteurs et les lectrices de cet article qu’il ne fait aucun doute que parmi les personnes poursuivies pour des liens avec des activités terroristes au Xinjiang, il en est probablement un certain nombre qui l’ont été faussement ou de manière abusive, soit par erreur soit par malveillance. Mais est-ce à dire que la Chine est le seul pays au monde où ce type de dysfonctionnements existe ? Ils ont déjà lieu en France dans des circonstances on-ne-peut plus banales, qu’en est-il alors dans le cadre de la lutte anti-terroriste ?

Les parties IV et V du rapport reposent pour l’essentiel sur les entretiens réalisés par l’HCNUDH avec des personnes supposées s’être échappées du Xinjiang, de Chine et de ces centres. Cependant, bien qu’il soit fait constamment mention de ces entretiens dans les notes de bas de page, aucune référence ne permet d’aller par soi-même en lire le contenu. Qui sont-elles ? Quelle est leur histoire ? Quelle en est l’authenticité ? Impossible de le savoir.

Par contre, on peut citer la déclaration de Wang Wenbin, le ministre chinois des Affaires étrangères, à propos d’une de ces personnes, Zumrat Dawut : « Dans une interview de la BBC avec une femme ouïgoure nommée Zumrat Dawut, le 17 juillet 2020, cette dernière a présenté toutes sortes de témoignages. Cependant, ils se sont tous avérés être des mensonges. Par exemple, elle a affirmé avoir été détenue dans un "camp de rééducation", mais le fait est qu’elle n’a jamais étudié dans un centre d’éducation et de formation professionnelle au Xinjiang. Elle a également affirmé avoir été contrainte de subir une "stérilisation forcée" avec une hystérectomie, mais le fait est que lorsqu’elle a donné naissance à son troisième enfant à la maternité d’un hôpital pour femmes et enfants à Urumqi en mars 2013, elle a signé volontairement un formulaire de consentement à l’accouchement, demandant "une césarienne et une ligature des trompes", et l’hôpital a ensuite procédé à l’opération comme elle le souhaitait. Elle n’a jamais été stérilisée, sans parler d’une hystérectomie. Elle a également affirmé que son père avait été détenu et avait fait l’objet de plusieurs enquêtes de la part des autorités du Xinjiang et qu’il était récemment décédé de causes peu claires. Cependant, le fait est que son père est resté avec la famille jusqu’à ce qu’il décède d’une maladie cardiaque le 12 octobre 2019 et qu’il n’a jamais été détenu ou enquêté. Les deux frères aînés de Zumrat Dawut ont offert des clarifications sur tous ces éléments. »

Évidemment, on peut tout à fait répondre à cela que c’est la réponse d’un officiel chinois, que ce peut tout aussi bien être de la propagande (ou de la contre-propagande). Je le sais. Je donne à lire. Chacun et chacune en fait ce qu’il ou elle veut.

Zumrat Dawut vit aujourd’hui aux USA et est très active sur les réseaux sociaux, Facebook, Twitter et Instagram.

Est également fait mention de la liste de Karakash, citée par Adrian Zenz (on ne l’attendait plus, celui-là), prouvant si ce n’est pas déjà fait que ce « rapport » de la dernière minute n’est qu’une compilation d’arguments réchauffés et n’a rien à voir avec la visite de Michelle Bachelet au Xinjiang.

Suivent des données concernant de soit-disant augmentations du nombre de poursuites judiciaires, d’emprisonnements et de condamnations diverses dans la région autonome du Xinjiang, entre 2013 et 2018. À moins de compulser les rapports du ministère de la justice chinois, ces informations sont invérifiables et personne ne les vérifiera. Encore moins les journalistes qui reprendront ce « rapport » et pour qui la Chine est par essence coupable de tout ce dont on l’accusera.

Je suggère aux auteurs de ce « rapport » de se tourner vers les États-Unis qui ont un taux d’incarcération six fois supérieur à celui de la Chine et d’en analyser le caractère ethnique. Je leur glisse aussi l’idée de vérifier le taux de détention de mineurs depuis le mandat de Donald Trump et d’en analyser les spécificités ethniques.

Parmi les faisceaux de preuves évoqués au début du « rapport » ainsi que dans l’article du Monde, il y a les photos satellite démontrant la présence de centres de détention au Xinjiang. On atteint là les sommets en matière de démonstration fallacieuse. Primo, connait-on un seul pays et une seule région dans le monde qui soit dépourvue de centres de détention ? Vous allez me dire le pôle Nord et le pôle Sud. Certes, mais à part ça ? Est-ce que la présence de ces centres représente une preuve irréfutable de répression sur une population donnée ? Deuxio, le « rapport » du HCNUDH, qui contient en tout et pour tout cinq clichés, nous montre à la page 20 deux photos satellite du même centre de détention (en précisant qu’elles sont disponibles sur Google Earth mais sans fournir de coordonnées, natürlich) à deux ans d’intervalle. Sur le cliché le plus récent, le centre s’est nettement agrandi. Et c’est supposé démontrer l’augmentation significative des incarcérations au Xinjiang. Sauf qu’on ne sait pas si ce centre est réellement au Xinjiang ni même s’il s’agit vraiment d’un centre de détention. Soit on nous prend pour des lampions, soit ce « rapport » n’est pas fait pour le grand public mais est destiné aux médias afin qu’ils s’appuient sur lui pour une nouvelle vague de propagande anti-Chine.

PARTIE V : CONDITIONS ET TRAITEMENTS DANS LES CENTRES D’ÉDUCATION ET DE FORMATION PROFESSIONNELLE »

Je ne vais pas trop m’attarder sur cette partie, ayant déjà beaucoup évoqué ces centres mais surtout parce qu’elle est fondée sur les témoignages de personnes qui se sont supposément échappées de ces centres. En effet, il est impossible de vérifier et de s’assurer de l’authenticité de ces témoignages, au nombre de 26 comme il est précisé dans l’introduction.

Le « rapport », s’appuyant sur ces témoignages, fait état d’abus divers, de mauvais traitements, de torture, de viols.

La nature humaine rend ses accusations plausibles, mais elles restent néanmoins invérifiables. En outre, on serait en droit de se demander comment et pourquoi un gouvernement aussi implacable que celui de la Chine, après avoir torturé ou violé une personne l’a laissé s’enfuir aussi facilement de centres de détention qu’on imagine loin de toute civilisation dans les régions montagneuses et désertiques de l’extrême-ouest de la Chine pour qu’ensuite elle aille s’épancher dans les médias occidentaux et nourrir la rhétorique anti-chinoise...

Permettez-moi une légère digression : la diaspora ouïgoure est, avec quelques activistes anti-Chine américains, la principale source d’informations des médias occidentaux sur les conditions de vie des communautés musulmanes de Chine. Elle entretient constamment une narration faisant de celle-ci un pays oppresseur de l’Islam, alors même qu’on y trouve les plus grandes mosquées du monde par exemple. La plupart des pays de tradition musulmane cependant ne tombent pas dans le panneau. L’Iran et le Pakistan, pourtant parmi les républiques islamiques les plus rigoristes, restent des partenaires indéfectibles de la Chine. Seul Erdogan, grand agitateur devant l’éternel, adepte du double jeu et du double discours conserve une position apparemment en phase avec les accusations portées contre la Chine. Cette diaspora ouïgoure poursuit ses propres objectifs, servant ses seuls intérêts et toujours aux dépens de la population du Xinjiang dont on peut suspecter légitimement qu’elle n’a au fond que faire. Sous le prétexte qu’une répression brutale et massive aurait lieu à l’abri du regard des nations (comment en 2022 est-il encore possible qu’aucune preuve matérielle irréfutable de cette répression que certains sont allés jusqu’à qualifier de « génocide » ne soit aujourd’hui disponible, obligeant à des montages, des allégations et autres preuves qui n’en sont pas et qui sont tout sauf vérifiables ?), elle avance ses pions qui sont ceux du séparatisme et de la prise du pouvoir. Ces personnalités ouïgoures manipulent les opinions occidentales et leurs coreligionnaires, en allant, comme Dilnur Reyhan, jusqu’à inciter au djihad en Syrie afin de se tenir prêt pour celui qui aura bientôt lieu en Chine.

PARTIE VI : AUTRES PRÉOCCUPATIONS SUR LES DROITS HUMAINS »

Cette partie aborde des accusations récurrentes faites à la Chine, démontrant une fois encore que ce « rapport » n’est en rien lié à la visite de la Haut-commissaire des Nations Unies aux Droits humains, mais qu’il est un recyclage déguisé.

L’ouvrage de Maxime Vivas, Ouïghours, pour en finir avec les fake news répond déjà à la plupart de ces accusations.

La Chine tente-t-elle de faire disparaître la religion musulmane et la langue ouïgoure ?

La pratique religieuse, bien que strictement encadrée, n’est pas prohibée en Chine. Il y a des églises, des temples et des mosquées dans toutes les villes chinoises. Par contre, tout acte de prosélytisme ou de catéchisme peut vous valoir d’être expulsé du pays sans préavis. En 2014 en Chine, il y avait près de 40 000 mosquées. C’est le dernier chiffre disponible. Malgré cela, après les attaques terroristes, il n’est pas inconcevable de comprendre que la religion musulmane soit sous haute surveillance, notamment dans la région autonome du Xinjiang où elle est majoritaire et d’où les terroristes étaient pour la plupart originaires.

Le « rapport » du HCNUDH nous répète, photos à l’appui, que la Chine détruit les lieux de culte musulmans. D’autres sites facilement localisables en ligne recensent les destructions de mosquées en Chine. C’est donc possible et même probable qu’il arrive qu’on y détruise des mosquées. Seulement, on ne sait jamais quelle est la raison de cette démolition : répression, insalubrité, expansion immobilière... En France, où il y a 2600 mosquées, 22 ont été fermées depuis 2020. La plupart dans le cadre de l’état d’urgence, de la sécurité intérieure ou de la lutte contre le terrorisme. On ferme les mosquées parce que des discours de haine appelant à la violence y sont prononcés par des imams. Et on refuserait ce droit à la Chine ? Il ne s’agit pas de défendre la destruction de lieux de culte, mais de remettre en perspective les nécessités communes aux pays victimes du terrorisme islamiste, au premier rang desquels la France et la Chine. Globalement, cette dernière offre d’ailleurs de meilleures conditions aux musulmans pour la pratique de leur religion que la France ne le fait, celle-ci les obligeant à des prières dans des lieux obscures, illégaux et hors de tout contrôle possible ou parfois dans la rue suscitant ainsi une islamophobie grandissante de l’opinion publique.

Sur le « rapport » du HCNUDH, trois photos satellite indiquent la position d’un lieu saint à 8 années d’intervalle censément détruit entre 2012 et 2020. Ce lieu qui semble s’être trouvé à la limite ouest du désert du Taklamakan avait une forme rectangulaire d’environ 150 mètres sur 100 . On ne sait pas pourquoi ce lieu était important, ni pourquoi il a fallu 8 années pour en venir à bout. Cela pourrait tout aussi bien ressembler à un endroit abandonné recouvert année après année par le sable du désert. Il est bien dommage que dans ces témoignages de soit-disant destruction de mosquées, on ne voit jamais les ouvriers en action. Le « rapport » a l’honnêteté de conclure ainsi : « le HCNUDH n’est pas en mesure de tirer des conclusions définitives à ce stade concernant l’ampleur de la destruction des sites religieux, en l’absence d’un accès significatif aux sites et d’informations plus complètes de la part du gouvernement ». N’ont-ils pas demandé à Michelle Bachelet d’aller y jeter un oeil ?

En 2017, selon le « rapport », la préfecture de Hotan au Xinjiang, essentiellement peuplée de Ouïgours, a émis une directive demandant au gouvernement de la Chine « de mettre fermement en œuvre l’enseignement dans la langue nationale commune (le chinois mandarin) dans les trois années de l’école maternelle et les premières années de l’école élémentaire et du collège ». Tout porte donc à croire que ce sont les Ouïgours eux-mêmes qui veulent que leurs enfants apprennent le mandarin. Cet argument censé prouver que l’état chinois réprime l’usage de la langue ouïgoure ne fait guère sens. Il démontre le contraire même. Le peuple ouïgour n’est pas idiot : sa langue ne lui sert pas à grand-chose dans le monde de 2022. La Chine autorise son usage dans bien des occasions, notamment sur la voie publique (comme ici, ici ou ) mais les Ouïgours veulent que leurs enfants parlent chinois parce qu’ils sont chinois. Il en est de même de toutes les minorités et mêmes des Hans qui possèdent des dizaines voire des centaines de dialectes actifs dans tous les coins de la Chine. J’aimerais connaître un seul Breton qui voudrait que ses enfants ne parlent que breton, une seule Basque qui rêverait que sa progéniture ne puisse s’exprimer qu’en basque, un seul Occitan qui revendiquerait pour sa descendance le droit de ne communiquer qu’en occitan.

Quand on passe un certain temps en Chine, on réalise très vite que l’espace public y est systématiquement traduit en deux langues, voire trois dans certaines régions comme le Xinjiang et le Tibet. Pour le confort de tous (y compris des étrangers) et dans le respect des minorités.

Chine : l’État surveille (surtout les musulmans) ?

Ici, je ne nierai pas la réalité d’une surveillance massive de la population, tant au travers d’un maillage urbain de caméras de surveillance, de technologies de reconnaissance faciale que par les appareils connectés, les applications et les réseaux sociaux. Quant au fameux crédit social à propos duquel beaucoup aiment gloser sans vraiment le connaître se faisant ainsi les caisses de résonance de la propagande anti-chinoise distillée par les médias occidentaux, je n’en parlerai pas, d’ailleurs le rapport ici présent n’aborde pas la question. En attendant, pour les lecteurs qui voudraient en savoir un peu plus à ce sujet, je conseille la lecture de cet article et de celui-là qui sont relativement objectifs sur la question.

C’est beaucoup demander mais la question fondamentale qu’il conviendrait de se poser est celle de la nature du contrat social chinois. Celui-ci, loin de correspondre à une vision occidentale des libertés, par ailleurs fantasmée, s’appuie sur la pensée confucéenne et une conception des libertés qui nous est étrangère autant que la nôtre l’est pour eux. Pour citer, Chenyang Li, docteur en philosophie, « Les libertés civiles confucéennes sont fondées sur la communauté. Leur validité et leur efficacité sont mesurées en fonction de leur effet sur la société. (...) Pour cette raison, entre autres, les libertés civiles confucéennes ne sont pas fondées sur une démarcation claire entre le domaine public et le domaine privé. (...) Comprendre la liberté confucéenne est essentiel pour justifier les libertés civiles confucéennes. Inversement, afin de développer une théorie confucéenne complète et sensée de la liberté civile pour répondre aux défis contemporains, nous devons étudier davantage la philosophie confucéenne de la liberté, avec plus de profondeur, d’ampleur et de cohérence. » Je ne cherche pas à défendre la surveillance généralisée dont on accuse la Chine, j’affirme juste que pour en juger, il faudrait demander aux concernés ce qu’ils en pensent mais je ne suis pas sûr que leur réponse soit celle qu’on voudrait entendre.

Quid des Ouïgours ? Sont-ils davantage victimes de cette surveillance que les autres citoyens chinois ? Je ne saurais le dire et les sources citées par le « rapport » du HCNUDH ne m’en ont pas convaincu. En dehors des textes de loi chinois, il cite surtout des médias américains qui citent d’autres médias américains. Ce n’est guère utile pour en savoir plus sur cette surveillance généralisée et ses objectifs. Eux-mêmes n’ont d’autre source que leur conviction, parlent d’une base de données policière sur laquelle ils auraient mis la main sans être capables de donner un lien vers quoi que ce soit afin d’en vérifier l’authenticité. Cela nous informe surtout sur le niveau d’exigence du public américain en matière d’information. On retrouve chez nous ce genre de déclarations faisant foi dans la presse dominante. Sans sources, sans preuves, seule la parole du journaliste compte. Ce qui fait de lui davantage un prédicateur qu’un fournisseur d’informations objectives et vérifiées.

L’État chinois procède-t-il à des stérilisations forcées de femmes ouïgoures ?

Que nos journalistes privilégient l’infotainment, l’info-spectacle, autrement dit l’audimat et le fric des annonceurs à la vérité, ce n’est pas un scoop. Qu’ils ne s’embarrassent pas de détails non plus. Le cadet de leurs soucis : distinguer taux de natalité, taux de fécondité et croissance démographique, blablabla, trop compliqué, mal à la tête. La population chinoise, toutes ethnies et toutes provinces confondues, décroît depuis longtemps. Paradoxalement, le phénomène s’est même accentué depuis la fin officielle de la politique de l’enfant unique qui, au passage, avait épargné les minorités. Pourquoi ce ralentissement démographique auquel les plus ardents « dénatalistes » n’auraient pas osé rêver ? Les causes sont évidemment à chercher parmi une multitude de facteurs au premier rang desquels le coût exorbitant de l’éducation et de la scolarité en Chine.

Depuis 2017, le taux de natalité au Xinjiang est en chute. Mais il l’est aussi, et même encore plus, à Shanghai, dans le Liaoning, dans le Jilin, dans le Jiangsu et dans le Heilongjiang. Foin de tout cela ! Le Xinjiang est le seul cas qui intéresse la « communauté internationale ». Cette minorité chinoise musulmane serait donc victime d’un contrôle strict de sa démographie. Cette formule euphémistique englobe des accusations de stérilisations forcées et pire, de « génocide en cours ». Quoique le « rapport » ne prononce pas ce second terme pour le moins excessif, on retrouve les premières dans la liste des suspicions fortes répétées ad nauseam lorsqu’on parle du drame ouïgour. À la manoeuvre, on trouve les deux mêmes personnages, le tristement célèbre Adrian Zenz et un obstétricien chinois, Yi Fuxian, émigré aux États-Unis depuis la fin des années 90 et accusant la Chine des méthodes les plus sordides de contrôle des naissances. Les deux distillent des rumeurs accusatrices sans autres preuves qu’une interprétation des recensements et le témoignage de quelques femmes qui auraient été victimes de ces stérilisations forcées et autres actes sous la contrainte.

Pourquoi la Chine considèrerait-elle comme un impératif de contrôler les naissances en empêchant les femmes ouïgoures de procréer ? On ne nous explique jamais cela. Accuser quelqu’un d’un crime sans lui trouver des motifs est relativement léger. Pourtant, ce motif, on le devine entre les simagrées des journalistes et derrière leurs allusions : c’est le risque de supplantation de la majorité han par une minorité grandissante, un genre de « Grand Remplacement » à la chinoise en somme. De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour y voir une projection de nos propres fantasmes. Mais enfin, regardons-y de plus près. L’ethnie majoritaire en Chine, ce sont les Hans. Ils représentent 92% de la population chinoise, soit 1,2 milliards d’individus. Puis, il y a 1,4% de Zhuang (qui bien qu’ils soient la minorité la plus importante semblent épargnés par les projets génocidaires des Hans), Les Ouïgours, eux, plafonnent... à 0,7%. Une chose me chiffonne dans tout ce fatras : si l’État chinois souhaitait à ce point faire baisser la fécondité ouïgoure, au lieu de s’enliser dans des procédures chirurgicales barbares et des avortements forcés, pourquoi n’emploierait-il pas la bonne vieille méthode de l’enfant unique qui a fait ses preuves ?

Quant à la « sinisation » du Xinjiang, elle a débuté il y a plus de 2000 ans, s’est renforcée dans la deuxième moitié du vingtième siècle mais s’accompagne également d’une migration des Ouïgours vers les autres provinces chinoises pour les opportunités économiques que cela représente. Rappelons-nous que, contrairement à ce que laisserait entendre les médias occidentaux, la province du Xinjiang est une province chinoise et qu’il ne viendrait pas à l’esprit sournois du Chinois moyen, fut-ce un pisse-copie, de se questionner sur les autochtones des départements français envahis par de riches Parisiens qui font monter les prix de l’immobilier et les forcent à quitter leur région parce qu’ils ne trouvent plus où se loger chez eux.

Bon, j’en suis là, à la page 38, après une semaine de lecture de ce « rapport » et de ses sources. Le reste ne m’apparaît pas essentiel dans la mesure où les allégations sont dans le meilleur des cas ridicules.

Voyez plutôt cette déclaration du rapport, aux pages 39-40, lorsqu’il évoque les problèmes d’emploi et de travail : « En ce qui concerne les allégations de travail forcé dans le cadre des placements dans des centres d’éducation et de formation professionnelle, il convient tout d’abord de noter que les livres blancs et autres déclarations publiques du gouvernement montrent un lien clair entre les centres d’éducation et de formation professionnelle et les programmes d’emploi. Par exemple, le Livre blanc de 2019 sur l’enseignement et la formation professionnels au Xinjiang indique que "de nombreux stagiaires ayant terminé leurs études dans des centres d’éducation et de formation ont ensuite trouvé un emploi dans des usines ou des entreprises". Les déclarations officielles font référence à une "connexion transparente" entre les centres d’enseignement et de formation professionnels et l’emploi. Il semble également que les entreprises du Xinjiang aient été incitées à embaucher des minorités ethniques, y compris d’anciens "stagiaires" de l’enseignement professionnel. Par exemple, un "avis" officiel du Bureau d’information publique de Kashgar en 2018 a déclaré qu’il avait des plans pour transférer 100 000 personnes de la formation professionnelle à l’emploi, tout en offrant des subventions substantielles aux entreprises désireuses d’embaucher des apprentis »

On voit ici clairement que le « rapport » est en conflit interne avec lui-même lorsque l’image négative qu’il renvoie des centres de formation professionnelle percute la réalité de leur utilité qui est précisément de lutter contre ce qu’il s’apprête aussi à critiquer, c’est-à-dire le sous-emploi de la minorité ouïgoure du fait d’un accès moindre à l’éducation. C’est pourtant dans le but de remédier à cela que ces centres ont été créés au Xinjiang : former les jeunes ouïgours afin d’éteindre leur haine de l’état chinois et leur éviter la tentation de la radicalisation religieuse et du djihad. Il en va de même lorsque le « rapport » parle littéralement de scolarisation forcée... C’est vrai que des enfants ouïgours maintenus dans l’ignorance et la pauvreté feront des citoyens modèles. Faut-il alors mieux qu’ils restent dans leur famille trop pauvre et trop isolée pour les mettre à l’école ou qu’ils soient envoyés en internat, quand bien même ce serait sous la contrainte, pour y acquérir les connaissances qui les émanciperont peut-être ?

La « Campagne pour l’unité ethnique » (Fanghuiju) est également dans le viseur du HCNUDH parce que quelques témoignages font état d’abus et même de violences sexuelles. Née au lendemain des émeutes meurtrières de 2014, son objectif est d’envoyer des cadres et des fonctionnaires du Xinjiang, hans et non hans, vivre au milieu des communautés et dans les villages pour mieux connaître le mode de vie des populations ouïgoures et ainsi améliorer leurs services. Le « rapport » décrit, en s’appuyant sur quelques témoignages (sur un nombre total de 200 000 cadres), l’invasion de cellules familiales et de leur intimité par des membres du PPC, imposant leur présence, exigeant d’être nourris gratis, surveillant le moindre faits et gestes des habitants... Si l’authenticité de ces accusations est invérifiable, on peut supposer que des dysfonctionnements sont toujours possibles lorsqu’ils impliquent des centaines de milliers de personnes, ce qui est l’échelle ordinaire des choses en Chine.

Je passe sur d’autres allégations : disparitions, intimidations, menaces et représailles contre les Ouïgours. Je passe aussi la conclusion du « rapport », une estimation globale de la situation faite de recommandations diverses et variées : « ces violations des droits de l’homme, telles qu’elles sont documentées dans cette évaluation, découlent d’un " système de loi antiterroriste " national qui est profondément problématique du point de vue des normes et standards internationaux en matière de droits de l’homme. ». Cette assertion contient à elle seule ce qui est profondément problématique dans ce « rapport ». Et ce sera ma propre conclusion de la lecture que j’en ai faite, tant de son contenu que de ses sources (pas tout, loin s’en faut, c’est à s’y perdre). Tout d’abord, si j’ai constamment mis le mot rapport entre guillemets, c’est tout simplement parce que ce n’est pas un rapport à proprement parler, mais une évaluation, une estimation, an assessment, comme ils disent. Le terme n’est pas anodin car il fait partie du jargon néo-libéral en usage dans les entreprises aujourd’hui notamment en matière de management. C’est anecdotique mais c’est remarquable, au sens propre du terme. Le premier hic est de comprendre quelle est la place de cette évaluation de la situation des Ouïgours en Chine en regard de la visite de Michelle Bachelet. Selon toute vraisemblance, nous voilà devant ce qui est un correctif de dernière minute en réaction au verdict trop conciliant de la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à son retour de Chine. Trop molles déclarations qui ont déplu dans la sphère politico-médiatique internationale, mécontente qu’on ne confirmât pas ses certitudes martelées depuis quelques années à propos du Tibet ou du Xinjiang. Qu’a-t-elle vu de toute façon ? Admettons-le : quatre jours ne suffisent pas pour visiter la Cité Interdite et elle a n’a vu que ce qu’on a bien voulu qu’elle voie. La Chine, ce n’est pas l’arrière-cuisine d’un boui-boui douteux. On n’y va pas pour trouver les infractions au règlement, on y va pour démontrer qu’il n’y en a pas. Au moins a-t-elle dû voir que la vie suivait son cours au Xinjiang sans trace visible du génocide ou des pratiques esclavagistes dont on n’a cessé d’accuser la Chine. Tiens, question subsidiaire pour les crapules de Libération : puisque le terme « génocide » n’apparaît ni dans ce document ni dans les paroles de Michelle Bachelet, combien de temps mettrez-vous pour émettre un mea culpa et confesser que vous avez publié une information mensongère ? Comme je n’ai aucun doute sur votre malhonnêteté et sur votre absence totale de déontologie, je ne parie même pas que ça vous prendrait les 18 années qu’il vous a fallu pour titrer « Génocide rwandais irréfutable » ? En tout cas, si l’ONU publie un rapport de 50 pages à propos de violations des droits de l’homme envers les musulmans en Chine, j’ai eu beau chercher : à l’exception d’un communiqué de presse lapidaire, aucun rapport, aucune évaluation de 50 pages sur les violations de droits de l’homme à Guantanamo Bay, et rien sur l’emprisonnement de Julian Assange. Les droits de l’homme, c’est apparemment pour certains mais pas pour les autres. L’autre écueil évident de ce document ne peut se voir que lorsqu’on effectue une lecture attentive et une consultation minutieuse des sources et des renvois en bas de page. Comme dit précédemment, ceux-ci sont de quatre ordres : des textes de lois chinois, des documents divers de l’ONU, des interviews et témoignages et des articles, sites et bases de données en ligne. Et comme dit en préambule, je n’ai pas pu tout lire et me suis contenté d’un échantillon, pourtant cette dernière catégorie est particulièrement révélatrice : toutes ces sources sans exception appartiennent à la sphère d’influence états-unienne. Le premier fournisseur d’opinion des Nations-Unies et du monde occidental sur la République Populaire de Chine, ce sont les États-Unis d’Amérique. Il y a fort à parier que celles et ceux pour qui ce document est destiné ne remettront rien en question. Il n’apporte rien de neuf au moulin de la propagande anti-chinoise. Il énumère toutes les accusations faites à l’encontre de Pékin en prétendant faire l’analyse d’une législation chinoise estampillée oppressive par nature, ne retenant que les opinions qui confirment les allégations quand bien même ces opinions ne sont pas davantage fondées sur des preuves concrètes mais sur le même réseau de renseignements qui fonctionnant de facto en circuit fermé orbitant autour de Washington. Mais fi ! C’est la feuille de route des prochaines diatribes anti-chinoises. Il les rendra encore plus irréfutables pour une audience sous hypnose.

La Chine est-elle coupable de ce dont on l’accuse ? Vraisemblablement plus de génocide ni d’esclavagisme, c’est déjà ça. Mais qui se soucie que ce soit vrai ou faux ? La trace de ce qui est dit est indélébile. Oui, la Chine est imparfaite, mais comme le sont toutes les nations, et on ne peut pas prouver non plus que dans sa lutte contre l’extrémisme religieux et dans sa volonté de circonscrire les fantasmes d’indépendance d’une diaspora manipulée, elle ne soit jamais en défaut. Pour rassurer les esprits chagrins ainsi que ceux qui ont la comprenette au sous-sol et surtout pour éviter de tomber dans l’angélisme, il faut le dire tout net : la Chine n’est pas un modèle à suivre en matière de police et de justice, pas plus qu’en un tas d’autres aspects, et elle n’a pas vocation à l’être. La police chinoise est composée d’êtres humains, et comme tous les êtres humains dépositaires de l’autorité publique, ceux-ci commettent des abus, font des erreurs voire des bavures, arrêtent des innocents, les emprisonnent, usent de la force pour avoir un renseignement, corrompent et sont corrompus.

La vérité est plus là que dans les vieilles casseroles de la cuisine onusienne.

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Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, (…)
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Publié sur le site de Heritage Foundation,
janvier 2010
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