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Qui a tué le dernier des Mohicans ? (Réflexion sur la migration et le terrorisme contemporains)

Ces dernières années, la question « terroriste » a régulièrement volé le devant de la scène à un problème beaucoup plus dérangeant et plus profond... celui de la migration de masse. Cependant, ces deux crises peuvent et – je dirais même – doivent être intrinsèquement connectées. Non pas dans le sens où le terrorisme est le résultat de la migration (ce qui est un grave amalgame), mais dans le sens où ces deux problématiques sont issues d’une logique qui les lie, les dépasse et les englobe. Il sera alors question de mettre en lumière les « dommages collatéraux » qui sont à l’origine de la fuite des « personnes en situation de migration », mais également de la haine des « personnes en situation de terrorisme ». Ces « dommages collatéraux » - sur lesquels on reviendra au fil de l’article – sont en lien avec un système qui ne cesse de creuser les inégalités et qui suscite, par simple logique, de la violence, des régimes totalitaires et des guerres.

Dès lors, ce qui motive cet article c’est l’intolérance que je ressens par rapport à la façon qu’ont les médias et le discours politique en général de traiter ces crises comme s’il s’agissait de causes ou d’événements isolés. Alors que celles-ci sont les conséquences directes et indirectes d’une véritable violence que l’Occident fait subir à tout ceux qui refusent de s’aligner à la domination économique du marché. Cela dit, avant de poursuivre, je vais donner ma définition du terrorisme :

Terrorisme : acte par lequel un individu ou un groupe impose, par la violence [1], sa vision du monde.

Sur cette base, ce sont toutes les « guerres d’agression [2] », mais également la manipulation médiatique ou le chantage économique qui prennent des formes de terrorisme, dans le sens où ils modèlent une certaine conception du monde en usant un certain type de violence. Il faut pourtant encore distinguer deux types de terrorisme : le « terrorisme sauvage » du « terrorisme d’État ». Par ce dernier terme, j’entends une politique de terreur exercée par un État contre un groupe ou une autre nation. Mais surtout, ces deux terrorismes ne peuvent absolument pas être mis sur la même échelle, puisque le terrorisme d’État fait énormément plus de victimes que le premier. Malgré cela, c’est l’autre forme qui concentre sur elle toute l’attention en « légitimant », ensuite, le terrorisme d’État. Or, le terrorisme d’État ne se limite pas aux bombes et aux attaques sur terrain étranger, il se trouve également dans les médias et dans le discours politique, lorsque ceux-ci promeuvent des images et des propos qui favorisent les sentiments d’insécurité. Des sentiments qui, forcément, cassent les liens sociaux en renforçant le repli sur soi et le refus de l’autre. Ensuite, ce sont ces mêmes sentiments que l’on retrouve dans le résultat des votations ou dans certains propos et comportements qui, par la suite, font naître le cynisme, c’est-à-dire l’abandon de toute confiance vis-à-vis de l’humain.

Il faut pouvoir identifier notre terrorisme, avant de dénoncer celui des autres. Effectivement, on ne saurait s’arrêter au fait, sans aller chercher les causes. Il faut alors pouvoir sortir de la victimisation dans laquelle le discours politique et les médias nous tiennent pour concevoir nos culpabilités historiques. Revenir en arrière pour voir comment des sociétés et des communautés qui n’étaient, initialement, pas orientées vers l’économie de marché se sont laissées emportées par le chant des nations qui leur promettaient croissance, prospérité et liberté. Des nations qui, par la séduction et la (ir-)rationalité commerciale qu’elles détenaient, les ont, le plus souvent, exploités tout en les endettant. Cet emportement vers l’économie de marché n’a pourtant jamais véritablement été une sonate. On n’a qu’à penser à la stratégie britannique aux origines des guerres de l’opium et aux traités inégaux (1839-1864) qui ont fait d’un empire historique (la Chine) un gâteau à partager. Mais surtout – ce que je veux dire – c’est que ces stratégies ont eu de fortes répercussions sur les populations qui ont été, d’une certaine manière, prises en otage.

Pour illustrer ces propos, permettez-moi de prendre un exemple issu du cinéma. J’ai en tête un Western [3] que j’ai vu dernièrement et qui illustre parfaitement bien le décalage entre une réalité historique et sa réinstrumentalisation idéologique par les médias. Cette fiction a pour scène initiale un crime particulièrement affreux et lâche commis par les Amérindiens (Indiens d’Amérique) à l’encontre des cow-boys. Vous voulez savoir la suite du film ?... Un génocide ! Un génocide qui a des allures de divertissement et où la mort des braves cow-boys est traitée tragiquement tout en musique et en pleurs, tandis que le meurtre des Amérindiens – comme celle des animaux du reste – n’importe peu ; ce n’est qu’un détail esthétique, le poids par terre de simples poupées sans âme. Assurément, tout est fait pour renforcer la haine du spectateur contre cet ennemi désigné, ce sauvage. Cette fiction n’est pourtant pas juste un divertissement, elle représente le conditionnement dont nous sommes victimes et coupables à la fois. Un conditionnement que l’on retrouvera dans énormément de productions hollywoodiennes et qui aura un rôle important à jouer lorsque, ensuite, le spectateur sera appelé à interpréter des événements de la vie réelle.

En ce sens, ce western est un élément concret qui montre comment il est facile d’occuper le spectateur avec des artifices pendant que « la réalité » et « l’histoire » prennent des rôles de figurants, sans importance. Du reste, les producteurs de ces divertissements le savent bien : ce qui compte ce n’est pas les faits, c’est l’interprétation de ceux-ci. C’est l’interprétation qui inscrit les événements dans la mémoire et qui, subséquemment, dirige nos pensées et nos propos. Par conséquent, le fait que la télévision se trouve au cœur du lieu où se situent l’intime et la famille est assez caractéristique d’un modèle économique de domination qui transforme l’information en marchandise prémâchée, en spectacle à sens unique.

Cette transformation n’a rien d’anodin : la télévision détruit l’information sérieuse en laissant la place à ce qui divertit. Elle est le diapason sur lequel tout ce qui recherche la reconnaissance doit s’accorder. De la politique à la culture en passant par l’économie : tout doit être divertissant. Pourvu qu’on n’arrête pas d’avancer.

Enfin, la télévision forme au relativisme. Elle est la plaque de chocolat devant l’enfant à qui l’on demande de choisir entre ce plaisir éphémère et un cours d’éducation civique. Ainsi, on peut le dire : elle est l’ultime terrorisme. Celui que l’on ne voit pas, parce qu’il est ce qui voit. Pouvons-nous agir sans voir ?...

© Luca V. B. *

Doctorant en philosophie politique et sociologie clinique

* À paraître prochainement : Narcissisme-critique aux éditions Hélice Hélas.

[1Force agressive exercée contre un corps organique ou inorganique pouvant provoquer de la douleur morale ou physique, de la peur ou de la destruction.

[2La guerre d’agression est à distinguer de la guerre défensive qui peut être considérée comme étant de la légitime défense de la part d’un pays ou d’une communauté attaquée. Quant à la guerre d’agression, aucune justification ne devrait jamais pouvoir déguiser le fait qu’il s’agit véritablement d’un crime contre la paix et contre l’humanité ; d’un crime qui appelle jugement et condamnation. À l’instar du meurtre, rien ne justifie la guerre d’agression. Ainsi, s’il y a bien une seule règle internationale à mettre en place c’est assurément celle qui institue le devoir pour toute nation de défendre celle qui se fait attaquer sur son terrain. À côté de cela, si l’on voulait véritablement abandonner toute hypocrisie à ce propos, il faudrait commencer par interdire l’exportation et le commerce des armements.

[3La Prisonnière du désert (The Searchers), John Ford, 1956.


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