[Je fais partie de ces athées qui ont néanmoins une conscience cosmique qui s’apparente de fort près à la religiosité. En est absent toute hypothèse d’un dieu qui vous récompenserait pour vos actions, à tel point que si l’on réussissait à me convaincre de l’idée d’un tel dieu, de l’absurdité d’une telle existence, cela ne changerait aucun de mes comportements. ]
6 octobre 2006
1. Cuba dénonce les dépenses astronomiques d’armement dans le monde.
Granma, La Havane, 5 octobre 2003.
NATIONS UNIES, le 4 octobre. - Cuba a déclaré aujourd’hui ici qu’à peine 10% des dépenses militaires actuelles dans le monde suffiraient pour atteindre les Objectifs de développement du Millénaire (ODM), décidés lors du Sommet 2000 de l’ONU.
Rodriguo Malmierca, ambassadeur de Cuba aux Nations unies, a réaffirmé devant la Commission de désarmement de l’Assemblée générale la proposition de son pays de destiner, au moins, la moitié de ces dépenses aux besoins du développement économique et social, rapporte PL.
Avec les ressources qui aujourd’hui sont consacrées aux armements il serait possible d’alimenter durant un an 853 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde ou de fournir des médicaments durant 40 ans aux 38 millions de personnes qui sont atteintes du virus du sida, a-t-il ajouté.
Le diplomate a indiqué que durant le récent XIVe Sommet du Mouvement des pays non-alignés à La Havane, les leaders des 118 pays membres se sont mis d’accord pour promouvoir des positions de principes et des priorités en matière de désarmement et de sécurité.
Cuba va travailler activement dans la première Commission (de désarmement) avec les autres pays du Mouvement pour respecter ces engagements, a affirmé l’ambassadeur. Dans son intervention, Malmierca a souligné qu’un seul pays, les Etats-Unis, dépense en armes autant que le reste du monde, et que les compagnies nord-américaines fabriquent 60% des armements qui se vendent sur la planète.
Quant aux armements nucléaires, le diplomate cubain a indiqué que, malgré la fin proclamée de la guerre froide, il existe actuellement près de 33 000 armes nucléaires dans le monde, dont 13 000 sont déjà prêtes à être utilisées.
– Source : Granma www.granma.cu
2. Méditation sur le sens d’un combat :
Voilà pourquoi je continuerai à combattre pour Cuba : parce que dans ce monde désespérant, Cuba continue à poser les questions qui m’importent, parce que Cuba continue à porter la fragile espérance d’une société juste.
Il n’existe pas aujourd’hui un combat qui ne vous confronte à votre propre solitude, non seulement parce que l’adversaire est puissant, mais parce que le camp qui est le votre, la gauche française, les communistes en particulier sont désespérants. Dans une telle situation de confusion idéologique, la médiocrité, les ragots, la cruauté et l’hypocrisie deviennent envahissants et le désir de démission vous envahit. Comment à la veille de cette élection présidentielle sans issue, où les ambitions personnelles, les apparences, la démagogie ont envahi tous les camps sans exception, ne pas se laisser aller au désespoir ?
Je n’ai eu dans toute ma vie qu’un seul intérêt : explorer le chemin par lequel les hommes pourraient construire une société juste. Est-ce que la chaîne de la vie peut aboutir à autre chose qu’à une lutte de prédateurs ? Est-ce qu’il sera possible un jour d’imaginer un monde humain débarrassé de l’hypocrisie et de la cruauté si ordinaire et donc de l’horreur de la guerre.
Je me souviens avoir été frappée par l’échange de correspondance entre Freud et Einstein. « Existe-t-il un moyen de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre plus résistant aux psychoses de haine et de destruction ? » demandait Einstein.
Freud lui fit une étrange réponse qui me marqua profondément, il décrivit la « normalité » de la guerre, de la pulsion de mort et s’interrogea sur cette mutation génétique, en fait il s’agissait de « culture », mais celle-ci avait abouti chez certains être humains à l’impossibilité de tolérer les horreurs de la guerre. "je voudrais cependant traiter encore un problème que vous ne soulevez pas dans votre lettre et qui m’intéresse spécialement. Pourquoi nous élevons-nous avec tant de force contre la guerre vous et moi et tant d’autres avec nous, pourquoi n’en prenons-nous pas notre parti comme l’une des innombrables vicissitudes de la vie ? (...) Je crois que le motif essentiel pour quoi nous devons nous élever contre la guerre, c’est que nous ne pouvons faire autrement. Nous sommes pacifistes, parce que nous devons l’être en vertu de mobiles organiques. Voilà qui ne va pas sans explication Et voici ce que j’ajoute : depuis des temps immémoriaux, l’humanité subit le phénomène du développement de la culture (d’aucun préfèrent je le sais utiliser ici le terme de civilisation). C’est à ce phénomène que nous devons le meilleur de ce dont nous sommes faits et une bonne part de ce dont nous souffrons. Ses causes et ses origines sont obscures, son aboutissement est incertain. peut-être conduit-il à l’extinction du genre humain, car il nuit par plus d’un côté à la fonction sexuelle(...) Les transformations psychiques qui accompagnent le phénomène de la culture sont évidentes et indubitables. Elles consistent en une éviction progressive des fins instinctives, jointes à une limitation des réactions impulsives. Des sensations qui pour nos ancêtres étaient chargées de plaisir nous sont devenues indifférentes et même intolérables : il y a des raisons organiques à la transformation qu’ont subies nos aspirations éthiques et esthétiques. (...) Or les conceptions psychiques vers lesquelles l’évolution de la culture nous entraîne se trouvent heurtées de la manière la plus vive par la guerre, et c’est pour cela que nous devons nous insurger contre elle : nous ne pouvons tout simplement plus la supporter ; ce n’est pas seulement une répugnance intellectuelle, mais bien chez nous une intolérance constitutionnelle et affective, une idiosyncrasie en quelque sorte grossie à l’extrême (...) Et maintenant combien de temps nous faudra-t-il encore pour que les autres deviennent pacifistes à leur tour ? On ne saurait le dire. Par quels chemins, par quels détours ? Nous ne pouvons le deviner. En attendant, nous pouvons nous dire : tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre".
Freud était au-delà de la morale, il n’était même pas sûr que cette évolution soit bonne pour l’espèce, mais il décrivait une situation, celle de certains êtres, des mutants qui en étaient arrivé à ce point d’intolérance presque « esthétique » de la guerre. Je découvris à cette occasion que ce que je croyais être une espèce de tare personnelle, la violence que m’infligeait l’idée même de guerre et surtout celle de bombardement sur les populations civiles était partagée par d’autres.
Il y avait d’autres individus que moi capables quand la guerre menaçait quelque part d’avoir si mal qu’ils criaient qu’ils étaient prêts à mourir pour que cela n’ait pas lieu ou que cela s’arrête... Je me souviens de cette nuit où je fus réveillée par la télé qui était restée allumée, Bagdad était la proie d’une attaque aérienne, il était trois heures du matin, à six heures je marchais dans les rues de Marseille vers le consulat des Etats-Unis, à sept heures nous étions deux à tourner hagards, un homme qui tenait une pancarte contre la guerre et moi...
Nous ne nous sommes même pas parlé, ni même regardé, nous avions honte je crois de ce monstrueux échec, de notre impuissance, de l’obscénité de notre espèce humaine. Voilà le mot qui convient pour dire de quelle manière tout à coup le mystère de la vie, l’évolution de celle-ci jusqu’aux balbutiements de la conscience, ce qui m’a toujours passionné, devient tout à coup dans la guerre l’obscénité pas celle du sexe qui est la vie, non celle de la victoire de la mort. Je ne sais pas pourquoi cela est pour moi si insoutenable comme la perte totale du sens. Je sais ce dont je parle, j’ai été confrontée à des crises d’un schizophrène, j’ai eu peur de lui mais aussi de moi-même, de ce gouffre qui s’ouvrait au fond de moi, c’est de cela qu’il s’agit.
Cette expérience de la perte du sens, de l’obscénité de la victoire de la mort culmine dans la guerre, mais je la frôle souvent dans la rencontre avec mes contemporains et il en est du contact avec eux comme de ce bruit de la craie sur le tableau noir : il suffit parfois d’un fait, d’un regard, d’un mot pour que se déchire la cohérence rassurante et que je vois surgir la monstruosité, la cruauté, l’hypocrisie. La guerre mais aussi le racisme, le massacre ordinaire des êtres humains jetés au rebut.
Rien ne me désespère plus que de découvrir de telles abominations au coeur de mes combats pour mon utopie d’une société juste et dieu sait si ces dernières années m’ont confrontée à de tels dévoiements, à des lâchetés, des intérêts personnels. Au point que j’étais face à ceux qui conservaient le même idéal que moi comme avec cet homme qui à l’aube se promenait dans les rues de Marseille avec sa pancarte, nous n’osions plus nous regarder, nous avions honte, honte de ce gouffre que la folie de la guerre avait ouvert au fond de nous.
Je fais partie de ces athées qui ont néanmoins une conscience cosmique qui s’apparente de fort près à la religiosité. En est absent toute hypothèse d’un dieu qui vous récompenserait pour vos actions, à tel point que si l’on réussissait à me convaincre de l’idée d’un tel dieu, de l’absurdité d’une telle existence, cela ne changerait aucun de mes comportements.
En revanche je cherche l’harmonie, la loi et je perçois très bien ce que dit Kant sur la correspondance entre la nuit étoilée et dans le coeur la loi morale. Il n’y a jamais eu rien d’autre qui m’intéresse que cette vision à l’infini dans l’espace et dans le temps, et cette interrogation : est-ce qu’il y aura un jour une société juste et harmonieuse ? Sans cette question vivre perd son sens ...
Sur ce plan là , il y a en France aujourd’hui beaucoup de raisons de désespérer, l’absence d’issue, la haine que l’on développe entre les peuples, le choc des civilisations interne autant qu’externe. J’ai décidé puisque je ne pouvais pas aider de ne pas accroître la confusion générale et je n’interviens plus sur le sujet, mais ce que je vois ce sont des gens de bonne volonté qui cherchent à trouver une issue et qu’on maintient dans la confusion, et où chacun se prononce en fonction de sa "foi du charbonnier" et pas des faits réels, de la contribution qu’il pourrait apporter... Tout le monde devient "supporteur" d’un match et pas acteur, celui capable de convaincre, d’entraîner l’adhésion d’abord de ses proches, de ses amis de travail, de ses voisins, comme cela s’est passé pour le Non à la constitution... Leur parler de quoi ? De quels enjeux ?
Puisque j’ai fait allusion à la "religiosité", ou encore au dogmatisme, nous sommes en plein là -dedans comme au plus beau temps du stalinisme, chacun exprime sa foi, mais le véritable "travail" politique n’existe pas...
Ce qui est frappant à Cuba, c’est le haut niveau politique de ce peuple, comme d’ailleurs son haut niveau de culture... Pour qui connaît ce pays, il ne peut manquer d’être frappé par le haut niveau culturel de ses habitants. C’est l’accès à l’éducation, à la créativité artistique, mais il y a plus c’est une manière d’être, un travail collectif. Chacun est frappé par "la gentillesse" de ses habitants, par le travail sur le vivre ensemble, cela participe de la "culture politique".
Je crois qu’il faut bien mesurer à quel point les valeurs de partage, de solidarité avec ceux qui souffrent sont fortes. Le pacifisme des Cubains dont témoigne la prise de position de son représentant à l’ONU me parait correspondre à ce que dit Freud et auquel personnellement j’aspire de toute "l’intolérance affective, constitutionnelle" que m’inspire la guerre.
Enfin , J’ajouterai que l’impérialisme, celui de Etats-Unis, mais aussi le notre à nous français dans une moindre mesure, est de plus en plus dépendant de la guerre, toutes les découvertes scientifiques et techniques, les investissements étatiques passent de plus en plus là -dedans. On peut se demander combien de temps sans la guerre tiendrait le capitalisme...
Donc il y a dans le pacifisme, le refus des dépenses d’armement, le moyen de dynamiter de l’intérieur toute la logique destructrice, obscène du capitalisme. En allant concrètement vers un épanouissement humain.
Voilà pourquoi j’espère en Cuba, parce que cette petite île assiégée est capable de porter mes interrogations et de réclamer un monde sans guerre, un principe espérance. Il faut que la question demeure alors même que s’accumulent les stocks d’armement, que partout paraît triompher la mort et Cuba est cette lueur fragile.
Danielle Bleitrach