[Wayne S. Smith est un ancien responsable de la section des intérêts US à la Havane. ]
Center for International Policy, 11 juillet 2006.
Au mois de mai 2004, la Commission d’Assistance à une Cuba Libre de l’administration Bush publia un rapport de presque 500 pages qui semblait conclure que le gouvernement de Castro était au bord de l’effondrement. Selon ce rapport, il suffirait que quelques pressions supplémentaires - quelques émissions de Radio Marti de plus, quelques refus de visas supplémentaires, et un soutien à quelques dissidents de plus - et ce serait la fin. Les Etats-Unis, laissait entendre le rapport, entreraient alors en scène pour montrer aux Cubains comment faire fonctionner leurs écoles, comme faire arriver leurs trains à l’heure et comment cultiver leurs récoltes. L’opération devait être si ouvertement menée par les Etats-Unis qu’en juillet 2005 fut nommé un coordinateur pour la transition. Un observateur sceptique remarqua à l’époque que l’administration Bush, dans le cas de l’Irak, avait au moins attendu l’invasion et l’occupation du pays avant de nommer un coordinateur. Est-ce que dans ce cas les Etats-Unis avaient l’intention d’envahir Cuba aussi ? Si non, qu’est-ce que le coordinateur était supposé faire depuis son bureau dans l’immeuble du Département d’Etat ? Aujourd’hui encore, la réponse à la question est obscure.
La réaction du Secrétaire Général de l’OEA, Jose Miguel Insulza, à l’idée d’un coordinateur US de la transition à Cuba, résume le mieux la situation. "Mais il n’y a pas de transition," a-t-il dit, "et ce n’est pas votre pays."
Le plan de transition présenté en 2004 avait un contenu tellement "made in USA" qu’il provoqua des réactions négatives à Cuba. Même les Cubains qui étaient en désaccord avec le gouvernement de Castro ne voulaient pas que les Etats-Unis leur disent comment ils devaient diriger le pays. Des dissidents notoires qualifièrent l’initiative US comme contre-productive. Elizardo Sanchez, de la Commission pour les Droits de l’Homme et la Réconciliation Nationales, par exemple, souligna que la politique US annoncée en 2004 "a eu un effet exactement contraire à celui que l’on serait en droit d’attendre."
Les évêques catholiques aussi ont exprimé leur désaccord de l’approche US, en déclarant que les mesures "menacent à la fois le présent et l’avenir de notre nation."
Et il n’y a pas eu non plus beaucoup de Cubains pour être d’accord avec l’idée qu’ils devaient abandonner la santé et l’éducation gratuites et plusieurs autres services fournis par leur gouvernement.
Le Nouveau Rapport.
A présent la Commission a publié un nouveau rapport, lors d’une cérémonie qui s’est tenue le 10 juillet 2006 et présidée par la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, le Secrétaire au Commerce Gutierrez et le Coordinateur de la Transition Caleb McCarry. Il est intéressant de noter que le nouveau plan, peut-être en réponse aux accusations selon lesquelles le premier rapport n’était rien d’autre qu’un plan d’occupation étasunien, insiste sur l’assistance à fournir aux Cubains sur l’île. Le nouveau rapport insiste sur le fait que la solution doit venir des Cubains eux-mêmes. Et que les Etats-Unis se contentent de se tenir prêtes à soutenir leurs initiatives. Mais une fois dit cela, le rapport énumère, page après page, toute une série de recommandations, de la réorganisation de l’économie et l’éducation jusqu’à la tenue d’élections multipartites - à condition bien sûr que les Cubains seraient d’accord ! (N.d.l.r : Une commission US appelle à durcir l’embargo et recommande le financement de l’ opposition, AFP,8/07/2006.)
Mais l’idée première contenue de ce nouveau rapport, que le régime serait au bord de l’effondrement, et énoncée comme tel, est toujours aussi farfelue. Deux années sont passées et l’économie Cubaine montre des signes d’une forte croissance. Même la CIA estime la croissance à 8%. Cuba entretient désormais de nouvelles relations économiques vitales avec le Venezuela et la Chine et il existe des signes de la présence de réserves pétrolières au large de l’île, et plusieurs pays ont proposé leurs services pour entreprendre des forages. Les choses ont l’air de s’améliorer et non pas d’empirer.
Pourtant, le nouveau rapport ne mentionne rien de tout cela. Au contraire, il affirme : "une malnutrition chronique, des eaux potables polluées, des maladies chroniques non soignées continuent d’affecter une proportion non négligeable de la population cubaine." Et bien sûr, le rapport ajoute que la "situation ne s’améliorera pas tant que Fidel Castro sera au pouvoir."
Peu importe que les indicateurs des Nations Unies montrent que la population cubaine bénéficie d’une santé nettement meilleure que celles de la plupart de ses voisins, y compris celle du territoire US de Puerto Rico. Une des raisons étant que les Cubains bénéficient d’un système de santé gratuit. Il est intéressant aussi de noter que l’espérance de vie des Cubains est supérieure de 5 ans à celle des afro-américains !
Fonds détournés pour des ingérences internationales
Le rapport insiste pour affirmer que les revenus engrangés par l’économie cubaine ne sont pas employés au service du peuple cubain, mais pour des objectifs inavouables. "Les revenus ne profitent pas au peuple cubain," insiste le rapport, "mais sont détournés pour maintenir l’appareil répressif du régime et financer la politique interventionniste et les opérations de déstabilisation dans d’autres pays du continent... Les ingérences internationales du régime de Castro s’effectuent au détriment du peuple cubain."
D’abord, si des fonds avaient été si massivement détournés, les Cubains ne bénéficieraient plus de la santé et de l’éducation gratuites et les programmes sociaux se seraient effondrés il y a bien longtemps. Qu’ils ne se soient pas effondrés prouve que les accusations du rapport sont fausses. De plus, le rapport ne donne aucun exemple de cette "ingérence internationale" vers laquelle une part énorme de l’économie cubaine est censée être détournée. Des médecins cubains ont été envoyés dans de nombreux pays, dont le Guatemala et Haïti, en plus du Venezuela et la Bolivie. A chaque fois, on a loué la qualité et le désintéressement de leur intervention. Si c’est cela l’ingérence internationale à laquelle se réfère le rapport, alors il en faudrait encore plus. Si non, le rapport devrait fournir des exemples de l’interventionnisme à laquelle elle fait allusion.
Empêcher la succession
Selon la constitution cubaine, lorsque Castro disparaîtra, il sera succédé par le Vice-président. A l’heure actuelle, il s’agit de Raul Castro. Ils seront nombreux au sein du nouveau pouvoir, et même dans la société cubaine, à soutenir des réformes politiques et économiques - et ils seront nombreux aussi à s’y opposer.
Cependant, l’objectif principal du nouveau plan de la Commission Bush est d’empêcher purement et simplement cette succession, en faisant appel aux citoyens cubains et à la communauté internationale pour rejeter le gouvernement qui serait mis en place dans le cadre de la Constitution cubaine et pour exiger un nouveau gouvernement. Mais il est peu probable que le peuple cubain, pas plus que la communauté internationale, ne s’oppose frontalement au nouveau régime. Les changements se produiront, lentement, et seront le fruit d’un processus interne et pas d’une recette imposée de l’extérieur - et certainement pas imposée par les Etats-Unis. Comme l’a déclaré Osvaldo Paya, un des dirigeants de la dissidence Cubaine, il y a quelques semaines en anticipant la publication de ce second rapport : "nous n’acceptons pas les programmes de transition concoctés à l’extérieur de Cuba."
Des mesures pour empêcher la succession :
L’objectif de l’Administration Bush, déclaré comme tel dans la rapport de la Commission, est de garantir "l’échec de la stratégie de succession du régime de Castro," mais les mesures présentées sont aussi inadaptées que celles présentées il y a deux ans contre le gouvernement de Castro.
- Extension des émissions :
Le nouveau rapport, par exemple, demande une augmentation des émissions de Radio et TV Marti et un renforcement des émission de pays tiers. Mais les émissions de ces deux dernières années n’ont eu aucun effet mesurable sur l’opinion publique. Il est probable que de nouvelles émissions n’aient pas plus d’effet.
- Soutien aux dissidents et la société civile :
Le rapport présenté il y a deux ans proposait un soutien aux dissidents et aux représentants de la "société civile" comme moyen de combattre le gouvernement. Le nouveau rapport propose la même chose, et même la création d’un fonds de 80 millions de dollars pour renforcer le soutien. Mais comme nous l’avons déjà mentionné dans un précédent article, les paroles d’un dissident sur l’île résument à elles seules les effets de ce soutien : "La bonne nouvelle est que la majorité de cet argent ne sort pas de Miami. La mauvaise nouvelle est que cela rend, malgré tout, notre situation plus difficile."
Ce qu’il voulait dire est que la majorité de cet argent était donnée à des organisations de Miami, une partie étant supposément transmise à des groupes à Cuba. Mais en réalité, peu de cet arrive réellement sur l’île et reste entre les mains de ceux à Miami. De plus, lorsque les Etats-Unis déclarent que leur objectif est de faire tomber le gouvernement Cubain, et qu’ensuite ils disent qu’un des moyens pour y parvenir est de fournir des fonds aux dissidents cubains, ces derniers sont placés de facto dans la position d’agents payés par une puissance étrangère pour renverser leur propre gouvernement. Inévitablement, cela les place dans une position plus délicate et limite grandement leur efficacité.
Cela fut vrai dans le passé et le sera encore dans l’avenir. Ce nouveau financement, en un mot comme en cent, n’aura pas plus d’effets que l’ancien, surtout si, comme indiqué ci-dessus, la plupart des dissidents eux-mêmes sont en désaccord avec le plan US. Il faut souligner par exemple qu’un des principaux leaders de la dissidence, Osvaldo Paya, a publié le 1er juillet de cette année une tribune libre dans le Washington Post qui insistait sur le fait que les Cubains voulaient préserver leur accès à une santé et une éducation gratuites - un élément en contradiction avec les recommandations du rapport original de la Commission. Paya a aussi dit qu’il voulait la fin de l’embargo US et la levée des limitations aux voyages imposées aux américains qui devraient être autorisés à visiter l’île. Cette dernière position a provoqué la colère chez les exilés extrémistes de Miami.
- Limitation des Voyages :
Des mesures ont été mises en place il y a deux ans pour réduire drastiquement le nombre d’américains qui visitent Cuba, particulièrement les cubano-américains, et limiter les transferts d’argent et les colis envoyés. Tout en affirmant que ces mesures ont eu un grand effet, le nouveau rapport demande leur durcissement. Mais si ces nouvelles mesures ont effectivement réduit les revenus provenant de ces sources, l’ensemble des revenus du tourisme n’a pas baissé, puisque de plus en plus de Canadiens, d’Européens et de latino-américains (notamment de Vénézuéliens) continuent de se rendre sur l’île.
De plus, il y a plusieurs aspects à ce problème. Il a longtemps été affirmé par exemple que le meilleur moyen de faire passer le message de la démocratie américaine était par le voyage des touristes américains à l’étranger. Faut-il en déduire que la réduction du nombre de voyageurs américains serait contre-productive à l’encouragement d’un changement à Cuba ? Et est-ce que la douleur provoquée, par la séparation des familles cubano-américaines juste pour retirer quelques millions au gouvernement cubain, en vaut la peine ?
- Pas d’assistance au Conseil des Eglises Cubaines
De nouvelles mesures sont proposées même contre les églises cubaines, par le renforcement de la réglementation sur l’aide humanitaire pour garantir qu’une telle aide ne profite pas "aux organisation gouvernementales ou contrôlées par le gouvernement, telle que le Conseil des Eglises Cubaines." Cette mesure fait suite à une série de dénis de visas opposés à différents membres du Conseil des Eglises qui, selon l’administration Bush, est contrôlée par le gouvernement Cubain. Comme l’a crûment contesté un dirigeant religieux américain : "Dans le mesure où ils doivent jouer le jeu selon les règles imposées par le gouvernement cubain, ils sont effectivement "contrôlés". Mais de là à laisser entendre que le Conseil des Eglises Cubaines est simplement un instrument du gouvernement est absurde. Ce sont des dirigeants religieux légitimes et nous apprécions beaucoup leur coopération."
Cela dit, les églises américaines ne pourront plus envoyer de l’aide humanitaire au Conseil des Eglises Cubaines, une mesure que le Church World Service des Etats-Unis est déjà en train de combattre vigoureusement.
- Efforts pour suivre les exportations de nickel :
Etant donné que les exportations de nickel sont devenues une importante source de revenus pour le gouvernement cubain, la Commission demande la création d’une équipe inter-agence pour tracer le nickel cubain et renforcer les contrôles sur les importations de produits contenant du nickel (i.e. "Nous n’achetons pas d’acier qui contienne des traces de nickel Cubain !") [1]
, et plusieurs autres mesures pour décourager les pays tiers à acheter du nickel cubain. De telles mesures ont déjà été tentées dans le passé avec très peu de résultats. Il y a peu de chances qu’elles en aient plus cette fois-ci. Il y a même de fortes chances qu’elle provoquent des réactions négatives dans la communauté internationale.
Réactions du peuple cubains aux efforts tentant à miner leur économie :
Il faut se demander aussi comment l’administration Bush pense que le peuple cubain réagira devant ces mesures qui tentent de lui rendre la vie plus difficile. Sont-ils censés être reconnaissants aux Etats-Unis si ces mesures devaient produire de nouvelles pénuries et soutenir cette campagne contre leur propre gouvernement ? C’est peu probable. Au contraire, provoquer une mentalité d’assiégé à Cuba ne fera que faiblir tout soutien à la politique des Etats-Unis envers Cuba.
L’annexe secrète
Les mesures prévues pour bloquer le processus de succession abordées dans ce rapport - du moins celles qui sont ouvertement abordées - ont peu de chances de réussir. Cependant, le rapport contient une annexe qui, est-il dit, doit demeurer secret "pour des raisons de sécurité nationale" et maximiser ses chances de succès. On ne peut que deviner ce que cette annexe peut contenir. Etant donné l’histoire des relations US-Cuba, il y aura forcément de la spéculation sur un complot d’assassinat contre Castro (mais cette fois-ci contre Raul) et de nouveaux plans pour des attaques menées par des exilés, si non une action militaire directe des Etats-Unis. Il n’y a pratiquement aucun soutien dans la communauté internationale de la politique des Etats-Unis vis-à -vis de Cuba. Et ce soutien va probablement encore faiblir devant les incertitudes et les soupçons soulevés par cette annexe secrète.
FIN
Wayne S. Smith, ancien responsable de la section des intérêts US à la Havane ( 1979-82).
Wayne S. Smith is now a Senior Fellow at the Center for International Policy and perhaps the most veteran U.S. observer of U.S.-Cuban relations, having been a Cuba analyst in the State Department’s Bureau of Intelligence and Research (1957-58), Third Secretary of Political Affairs in the American Embassy in Havana (1958-61), Cuban Desk Officer (1964-66), Director of Cuban Affairs in the Department of State (1977-79), and Chief of the U.S. Interests Section in Havana (1979-82).
– Source :
Center for International Policy http://ciponline.org
Traduction CSP http://viktor.dedaj.perso.neuf.fr
Diffusion autorisée et même encouragée
Merci de mentionner les sources
– Texte du rapport en anglais à télécharger (Juillet 2006 -doc PDF - 93 pages)
www.state.gov/documents/organization/68873.pdf
– Retranscription (en anglais) de la séance de présentation du rapport :
www.state.gov/secretary/rm/2006/68776.htm
Traduction en français : Mesures recommandées à Bush par la Commission d’Assistance à une Cuba Libre : "Accélerer la fin du régime castriste à Cuba".
Les Etats-Unis renforcent, leurs plans pour une Cuba sans Castro, par Guy Dinmore - Financial Times.
Sur les conséquences humaine de l’ embrago Cuba :<BR> Le Mur d’Eau, par Jens Glüsing.
Pourquoi les arrestations à Cuba ? par Wayne S. Smith.
Edifiant ! : Déclaration du Secrétaire d’Etat adjoint US Robert Noriega à propos de Cuba.<BR>
A lire jusqu’au bout.
Les Etats-Unis et la « dissidence » cubaine, par Salim Lamrani.