C’est une idée qui est souvent revenue en tête en Août 2008 pendant la guerre Russie-Georgie-Ossetie, alors que George Bush, Condoleezza Rice et d’autres personnalités ont solennellement invoqué le caractère sacré des Nations Unies, avertissant que la Russie pourrait être exclue des institutions internationales "si elle prenait en Géorgie des mesures contraires" à leurs principes. La souveraineté et l’intégrité territoriale de toutes les nations doivent être rigoureusement respectées, entonnèrent-ils - "toutes les nations" sauf celles que les USA choisissent d’attaquer : l’Irak, la Serbie, peut-être l’Iran, et une liste d’autres pays qu’il serait trop long et trop récurrent de mentionner.
L’allié subalterne s’y mit aussi. Le ministre des Affaires Etrangères Anglais David Miliband accusa la Russie de s’engager dans "une diplomatie du 19ème siècle" en envahissant un état souverain, chose que l’Angleterre n’envisagerait jamais aujourd’hui. Ceci "n’est simplement pas la façon dont les affaires internationales peuvent être menées au 21ème siècle", ajouta-t-il faisant écho au décideur en chef qui avait dit que l’invasion d’un "état voisin souverain …. n’est pas acceptable au 21ème siècle". Le Mexique et le Canada n’ont donc pas à craindre d’autres invasions et annexions d’une partie de leur territoire car les Etats-Unis n’envahissent maintenant que les états qui ne leur sont pas frontaliers, bien qu’une telle contrainte ne tienne pas pour sa clientèle, comme le Liban l’a encore appris en 2006.
"Le conte moral est plus édifiant encore"écrit Serge Halimi dans le Monde Diplomatique, "quand, pour défendre son territoire, le gentil président proaméricain rapatrie une fraction des soldats envoyés... envahir l’Irak, l’un des contingent les plus importants à côté de ceux des deux pays guerriers."
Les analystes de premier plan se sont joints au choeur. Fareed Zakaria applaudit la remarque de Bush disant que le comportement de la Russie est inacceptable de nos jours, contrairement au 19ème siècle, "quand l’intervention Russe aurait été considérée comme une procédure d’opération ordinaire d’une grande puissance". Nous devons donc élaborer une stratégie pour amener la Russie "à s’aligner sur le monde civilisé", dans lequel une telle intervention est impensable.
Évidemment, il y en eut certains pour partager le désespoir de Mark Twain. Un exemple remarquable en est fourni par Chris Patten, ancien commissaire européen aux relations extérieures, président du parti conservateur Anglais, chancelier de l’Université d’Oxford et membre de la Chambre des lords. La réaction occidentale "est suffisante pour que les plus cyniques hochent la tête d’incrédulité", a-t-il écrit en faisant référence à l’échec de l’Europe à répondre vigoureusement à l’effronterie des dirigeants russes, qui, "comme des tsars du 19ème siècle, voulaient une sphère d’influence autour de leurs frontières."
Patten différencie à juste titre la Russie et la super puissance mondiale, qui a depuis longtemps passé le stade de demander une sphère d’influence autour de ses frontières mais la demande autour du monde entier. Elle agit aussi de façon vigoureuse pour donner du poids à cette demande, en accord avec la doctrine Clinton qui dit que Washington a le droit d’utiliser la force militaire pour défendre ses intérêts vitaux tels que "s’assurer un accès sans obstacles aux marchés clé, aux réserves énergétiques et aux ressources stratégiques" - et dans la réalité, beaucoup plus.
Clinton bien sûr n’avançait pas en terre inconnue. Sa doctrine découle des principes de base formulés par des planificateurs de haut rang pendant la Seconde Guerre Mondiale, qui ouvraient la voie à une domination mondiale. Dans l’après-guerre, ils affirmèrent que les USA devaient viser "à détenir un pouvoir incontesté" tout en s’assurant de "limiter l’exercice de la souveraineté" par des états qui pourraient interférer avec leurs ambitions mondiales. Pour s’assurer de ces buts, "la nécessité essentielle [est] la réalisation rapide d’un programme de réarmement complet" un élément central "d’une politique intégrée pour parvenir à une suprématie militaire et économique des Etats-Unis." Les plans établis pendant la guerre furent mis en oeuvre de différentes façons dans les années qui suivirent
Ces buts sont profondément ancrés dans des structures institutionnelles stables. Ils persistent donc au-delà des changements d’occupant de la Maison-Blanche, et ne sont pas troublés par d’occasionnelles "économies sur le budget militaire" (NDT : terme qui désigne notamment les économies réalisées depuis la fin de la guerre froide), la disparition du rival majeur de la scène mondiale, ou autres futilités marginales. Concevoir de nouveaux défis n’est jamais hors de portée de cadres doctrinaires, comme lorsque Ronald Reagan se tenant droit dans ses bottes de cow-boy déclara l’alerte nationale parce que l’armée du Nicaragua n’était qu’à deux jours d’Harlingen, Texas, et pouvait entraîner les hordes prêtes à "balayer les Etats-Unis et prendre nos biens", ou comme Lyndon Johnson se lamenta lorsqu’il appela à tenir bon au Viêt-nam. De façon inquiétante, ceux qui tiennent les rênes peuvent réellement croire à leurs paroles.
Pour en revenir aux tentatives d’élever la Russie au monde civilisé, les sept membres moteurs (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie, Canada) du Groupe des Huit pays industrialisés ont émis une déclaration "condamnant l’action de notre compagnon du G8", la Russie, qui doit maintenant comprendre l’engagement anglo-américain à la non-intervention. L’Union Européenne a réuni en urgence son conseil exceptionnel pour condamner le crime de la Russie, sa première réunion depuis l’invasion de l’Irak, qui ne déboucha sur aucune condamnation.
La Russie a demandé une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité, mais aucun consensus n’a été atteint car, selon des diplomates du Conseil, les USA, la Grande-Bretagne, et quelques autres ont rejeté une phrase qui appelait les deux parties "à renoncer à l’usage de la force."
Des réactions typiques qui rappellent les observations d’Orwell sur "l’indifférence à la réalité" du "nationaliste" qui "non seulement ne désapprouve pas les atrocités commises par son propre camp, mais … a une remarquable propension à ne pas même les entendre."
Les faits de base ne sont pas vraiment sujets de désaccord. L’Ossétie du Sud, en même temps que la bien plus importante région d’Abkhazie, ont été attribuées par Staline à sa Géorgie natale. Les dirigeants occidentaux admonestent sévèrement qu’il faut respecter les consignes de Staline malgré les fortes oppositions des Ossètes et des Abkhazes. Les provinces ont profité d’une relative autonomie jusqu’à l’effondrement de l’URSS. En 1990, le président ultranationaliste de Géorgie Zviad Gamsakhurdia abolit les régions autonomes et envahit l’Ossétie du Sud. L’âpre guerre qui en résulte fait 1000 morts et des dizaines de milliers de réfugiés, avec la capitale Tskhinvali "dévastée et dépeuplée" (New York Times).
Une petite force Russe supervise alors une trêve difficile, rompue en connaissance de cause le 7 Août 2008 quand le président Géorgien Saakashvili ordonne l’invasion à ses forces. Selon un "large échantillon de témoins", rapporte le Times, immédiatement les militaires de Géorgie "commencent le pilonnage de zones civiles de la ville de Tskhinvali, ainsi que d’une base de maintien de la paix Russe qui s’y trouve, par d’importants tirs de barrages de roquette et d’artillerie". La réaction Russe prévisible expulse les forces Géorgiennes d’Ossétie du Sud, et la Russie continue en conquérant une partie de la Géorgie, puis s’en retire partiellement au voisinage de l’Ossétie du Sud. Il y a eu beaucoup de victimes et d’atrocités. Comme le veut la norme, les innocents ont sévèrement souffert.
En premier lieu, la Russie déclare que dix Russes du maintien de la paix ont été tués par les bombardements Géorgiens. L’Occident en fait peu de cas. Cela aussi fait partie de la norme. Par exemple, il n’y eu aucune réaction quand Aviation Week a révélé que 200 Russes furent tués par une incursion de l’aviation Israélienne au Liban en 1982 pendant une invasion épaulée par les USA et qui laissa quelques 15-20.000 morts, sans aucun autre prétexte crédible que le renforcement du contrôle Israélien sur la Rive Ouest occupée.
Parmi les Ossétiens qui s’enfuirent vers le nord, "l’opinion qui prévaut" selon le London Financial Time, "est que le dirigeant pro-occidental Mikheil Saakashvili, a essayé de détruire leur enclave autonome". Les milices Ossétes, sous les yeux des Russes, ont alors brutalement chassé des Géorgiens hors d’Ossétie. "La Géorgie a dit que son attaque était nécessaire pour arrêter une attaque Russe déjà en cours", rapporte le New York Times, mais plusieurs semaines après, "il n’y a pas eu de preuves indépendantes, hormis l’insistance de la Géorgie, que cette version soit vraie, que les forces Russes ont attaqué avant les tirs Géorgiens".
En Russie, le Wall Street Journal écrit, "des juristes, des officiels et des analystes locaux ont adopté la théorie que l’administration Bush a encouragé la Géorgie, son allié, à commencer la guerre pour déclencher une crise internationale qui mettrait en valeur l’expérience de sécurité nationale du sénateur John McCain, le candidat républicain aux présidentielles." Au contraire, l’auteur Français Bernard-Henri Lévy, écrivant dans la Nouvelle République, proclame que "personne ne peut ignorer le fait que le Président Saakashvili a décidé d’agir seulement lorsqu’il n’avait d’autres options, et que la guerre avait déjà commencé. Malgré cette accumulation de faits qui auraient dû aveugler tous les observateurs scrupuleux et de bonne foi, beaucoup dans les médias se sont rué comme un seul homme sur la thèse des Géorgiens instigateurs et provocateurs irresponsables de la guerre."
Le système de propagande Russe a fait l’erreur de présenter des faits, qui ont été facilement réfutés. Son homologue occidental, plus sagement, s’en est tenu à des déclarations autorisées, comme celle de Lévy dénonçant les principaux médias occidentaux pour leur ignorance de ce qui aurait dû "aveugler tous les observateurs scrupuleux et de bonne foi" pour qui la loyauté à l’état est suffisante pour établir la Vérité - qui, pourraient conclure des analystes sérieux peut-être même être vraie.
Les Russes sont en train de perdre la "guerre de propagande", annonce la BBC, puisque Washington et ses alliés ont réussi à "présenter les actions de la Russie comme une agression et à minimiser l’attaque Géorgienne en Ossétie du Sud du 7 Août, qui déclencha la riposte Russe", bien que "les preuves en provenance d’Ossétie du Sud sur cette attaque indiquent qu’elle a été de grande envergure et destructrice". La Russie "n’a pas encore appris à jouer des médias" observe la BBC. C’est naturel. La Propagande est habituellement plus sophistiquée au fur et à mesure que l’état perd sa capacité à contrôler la population par la force.
L’échec Russe à fournir des preuves crédibles a été partiellement compensé par le Financial Times, qui à découvert que le Pentagone a entraîné au combat les commandos des forces spéciales Géorgiennes peu de temps avant l’attaque Géorgienne du 7 Août, révélations qui pourrait "alimenter les accusations du mois dernier de Vladimir Poutine, le premier Ministre Russe, que les USA ont "orchestré’ la guerre dans l’enclave Géorgienne." L’entraînement fut en partie pris en charge par d’anciennes forces spéciales US recrutées par des contractants militaires privés, incluant le MPRI, qui comme l’écrit le journal "fut engagé par le Pentagone en 1995 pour entraîner les militaires Croates avant qu’ils envahissent la région ethnique Serbe de Krajina, ce qui amena le déplacement de 200.000 réfugiés et fut l’une des pires péripéties du nettoyage ethnique pendant les guerres des Balkans." Le nettoyage de Krajina (généralement estimé à 250.000 déplacés et de nombreux tués), épaulé par les USA, est potentiellement le pire cas de nettoyage ethnique en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. Pour une raison simple et suffisante, son destin dans l’Histoire officielle est un peu comme celui des photographies de Trotski dans la Russie Stalinienne ; il ne s’accorde pas avec l’image obligée de la noblesse US combattant le diable Serbe.
Les estimations du bilan de la guerre du Caucase de 2008 sont sujettes à variations. Un mois après, le Financial Times citait des sources Russes ; "au moins 133 civils sont morts dans l’attaque, en même temps que 59 de ses soldats de maintien de la paix", alors que dans l’invasion massive et les bombardements aériens de la Géorgie qui s’ensuivirent, selon le Financial Times, 215 Géorgiens moururent, dont 146 soldats et 69 civils. D’autres révélations suivront certainement.
Deux issues cruciales se profilent en arrière-plan. L’une est le contrôle des oléoducs vers l’Azerbaïdjan et l’Asie Centrale. La Géorgie, choisie par Clinton comme couloir de passage pour contourner la Russie et l’Iran, fut massivement armée dans ce dessein. Donc, la Géorgie est "un atout capital et stratégique pour nous" observe Zbigniew Brzezinski.
Il faut noter que les analystes sont moins réticents pour expliquer les réelles motivations des USA dans la région, alors que les prétextes de menaces extrêmes et de libération perdent de leurs poids et qu’il devient plus difficile d’ignorer les exigences Iraquiennes pour le retrait de l’armée d’occupation. Les éditorialistes du Washington Post ont donc sermonné Barack Obama qui considère l’Afghanistan comme "le front central" pour les Etats-Unis, lui rappelant que l’Irak "se trouve au centre géopolitique du Moyen-Orient et contient quelques-unes des plus grandes réserves de pétrole du monde" et que "l’importance stratégique de l’Afghanistan faiblit devant celle de l’Irak". Une reconnaissance bienvenue, bien que tardive, de la réalité de l’invasion US.
La seconde issue est l’expansion de l’OTAN à l’Est, décrite par George Kennan en 1997 comme "l’erreur la plus fatale de la politique Américaine de l’après-guerre froide [qui] peut enflammer les tendances nationalistes, anti-Occident et militaires dans l’opinion Russe ; nuire au développement de la démocratie en Russie ; restaurer l’atmosphère de guerre froide dans les relations Est-Ouest."
Pendant la chute de l’URSS, Mikhail fit une concession extraordinaire étant donné l’histoire récente et les réalités stratégiques : il donna son accord à l’Allemagne réunifiée pour rejoindre une alliance militaire hostile. Cette "stupéfiante concession" fut acclamée par les médias Occidentaux, l’OTAN et le président Bush I, qui la considérèrent comme une démonstration des "qualités d’homme d’état … au mieux des intérêts de tous les pays d’Europe, y compris l’Union Soviétique".
Gorbatchev donna son accord à cette stupéfiante concession avec "l’assurance que l’OTAN n’étendrait pas son influence vers l’Est d’un "seul pouce’ selon les termes exacts du Secrétaire d’Etat Jim Baker". Ce rappel de Jack Matlock, l’expert principal des affaires soviétiques du service diplomatique, et ambassadeur en Russie dans les années décisives de 1987 à 1991, est confirmé par Strobe Talbott, le personnage officiel le plus important en charge des affaires de l’Europe de l’Est dans l’administration Clinton. En se basant sur un examen complet des rapports diplomatiques, Talbot signale que "le Secrétaire d’Etat Baker a assuré au Ministre Soviétique des Affaires Etrangères de l’époque, Edouard Chevardnadze, dans le contexte d’une volonté réticente de l’Union soviétique de laisser une Allemagne réunifiée faire partie de l’OTAN, que l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Est".
Clinton renia rapidement cet engagement, rejetant par la même occasion les efforts de Gorbatchev pour en finir avec la guerre froide en concertation avec ses partenaires. L’OTAN rejeta aussi une proposition Russe pour une zone libre d’armes nucléaires de l’Arctique à la Mer Noire, qui aurait "interféré avec les plans d’extension de l’OTAN", fait remarquer l’analyste stratégique et ancien planificateur de l’OTAN Michael MccGwire.
En rejetant ces possibilités, les USA ont adopté une position triomphante qui a menacé la sécurité Russe et joué un rôle déterminant pour plonger la Russie dans un désastre économique et social sévère, faisant des millions de morts. Bush a mené une escalade rapide de ce processus avec l’extension de l’OTAN, le démantèlement d’accords de désarmement décisifs, et un militarisme agressif. Matlock écrit que la Russie aurait pu accepter l’incorporation d’anciens satellites Russes à l’OTAN si celle-ci "n’avait pas bombardé la Serbie, ni continué son expansion. Mais, en fin d’analyse, les missiles anti-balistiques en Pologne, et les coups de soudes de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine, sont des lignes rouges infranchissables. L’insistance à reconnaître l’indépendance du Kosovo a en quelque sorte été le comble. Poutine a appris que les concessions aux USA n’étaient pas réciproques, mais utilisées pour asseoir la domination US sur le monde. Lorsqu’il a eu la force de résister, il l’a fait", en Géorgie.
Les représentants de Clinton expliquent que l’extension de l’OTAN n’était pas une menace militaire, mais une simple opération pour faciliter l’intégration des anciens satellites Russes à l’Europe (Talbott). Ceci n’est pas très convaincant. L’Autriche, la Suède et la Finlande font partie de l’Europe, pas de l’OTAN. Si le Pacte de Varsovie avait survécu et incorporait des pays d’Amérique Latine - laissons de côté le Canada et le Mexique - les USA croiraient difficilement que le Pacte n’est qu’une réunion de Quakers. Il n’y aurait pas besoin de passer en revue la liste des violences US pour empêcher la plupart des liens supposés avec Moscou dans "notre petite région ici", l’hémisphère Occidental, pour citer le Secrétaire à la Guerre Henry Stimson qui expliquait que tous les systèmes régionaux devaient être démantelés après la Seconde Guerre Mondiale, sauf le nôtre qui doit être développé.
Pour étayer la conclusion, au milieu de la crise actuelle dans le Caucase, Washington prétend s’inquiéter que la Russie puisse rétablir une coopération militaire et de renseignement avec Cuba, à un niveau n’approchant que de loin celui des relations entre les Etats-Unis et la Géorgie, ce qui pourrait être un pas significatif vers une menace à notre sécurité.
Le bouclier de missiles est aussi présenté comme inoffensif, bien que les principaux analystes stratégiques US aient expliqué pourquoi les stratèges Russes doivent voir ce système et le choix de ses implantations principales, comme une menace potentielle pour la dissuasion Russe, et donc en fait une arme de première frappe. L’invasion de la Géorgie par la Russie a servi de prétexte pour finaliser l’accord d’installer ce système en Pologne, "étayant ainsi un argument souvent répété par Moscou et rejeté par Washington ; la vraie cible de ce système est la Russie", comme l’a observé Desmond Butler commentateur d’Associated Press.
Matlock n’est pas le seul à considérer le Kosovo comme un facteur important. "La reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie était justifiée par le principe du droit à la sécession d’une minorité opprimée - le principe que Bush a établi pour le Kosovo", selon les commentaires des éditorialistes du Boston Globe.
Mais il y a des différences importantes. Strobe Talbott reconnaît "qu’il y a un degré de ressemblance avec ce que les USA et l’OTAN ont fait, il y a neuf ans au Kosovo ", mais défend "que l’analogie est totalement et profondément fausse". Personne n’est en meilleure position pour savoir ce qu’il y a de profondément faux, et il en a lucidement expliqué la raison dans sa préface à un livre de son associé John Norris sur les bombardements de l’OTAN en Serbie. Talbott écrit que ceux qui veulent savoir "comment ces évènements se sont passés et ont été ressentis par ceux d’entre nous impliqués" dans la guerre devrait se référer au récit bien informé de Norris. Norris conclut que "ce fut la résistance de la Yougoslavie à des tendances générales de réformes politiques et économiques - pas la situation critique des Albanais du Kosovo - qui expliquent le mieux la guerre de l’OTAN".
Que le motif des bombardements de l’OTAN n’était pas "la situation critique des Albanais du Kosovo" était déjà clair d’après le dossier documentaire Occidental très fourni révélant que les atrocités furent, très largement, les conséquences attendues du bombardement, et non sa cause. Mais, avant même que ce dossier ne soit rendu public, il aurait dû être évident à tous, sauf aux loyalistes les plus fervents, que le souci humanitaire ait pu le moins du monde motiver les USA et l’Angleterre qui au même moment apportaient un soutien décisif à des atrocités au-delà de celles du Kosovo, dans un contexte bien plus épouvantable que celui des Balkans. Mais ce ne sont que de simples faits, donc sans rapport avec les "nationalistes" d’Orwell - dans ce cas la plupart de la communauté intellectuelle Occidentale, qui s’est impliquée massivement dans l’autocélébration et la mauvaise foi pour la "noble cause" de la politique étrangère Américaine et son "glorieux éclat" à l’approche de la fin du Millénaire, avec le bombardement de la Serbie comme joyaux à sa couronne.
Néanmoins, il est intéressant d’entendre venant du plus haut niveau que la vraie raison des bombardements était que la Serbie constituait un obstacle isolé en Europe aux programmes économiques et politiques de l’administration Clinton et de ses alliés. Il se passera cependant du temps avant qu’une telle façon de faire soit admise comme canon.
D’autres différences existent bien sur entre le Kosovo et les régions de Géorgie qui demandent leur indépendance, ou une union avec la Russie. Ainsi, il ne semble pas que la Russie possède là -bas une énorme base militaire, comparable au camp Bondsteel au Kosovo, baptisé du nom d’un héros de la guerre du Vietnam et faisant vraisemblablement partie du vaste système US ayant en mire les régions du Moyen-Orient productrices d’énergie. Et il y a beaucoup d’autres différences.
Il y a beaucoup à dire sur la "nouvelle guerre froide" instituée par le comportement brutal des Russes en Géorgie. On ne peut pas manquer d’être alarmé par les signes de confrontation entre les Russes et les flottes Américaines de la Mer Noire - une situation semblable ne serait pas tolérée dans les Caraïbes. Les efforts envisagés dès maintenant d’étendre l’OTAN à l’Ukraine peuvent devenir extrêmement dangereux.
Une nouvelle guerre froide semble cependant improbable. Pour en évaluer les risques, nous devons être clairs sur l’ancienne guerre froide. Tout rhétorique passionnée mise à part, la guerre froide était une entente tacite dans laquelle chaque protagoniste était libre de recourir à la violence et la subversion pour contrôler ses dominions ; pour la Russie, ses voisins de l’Est ; pour la superpuissance mondiale, la plupart du monde. La Société Humaine n’a pas besoin de la résurrection d’une telle chose - et pourrait ne pas y survivre.
Une alternative sensée est la vision de Gorbatchev, rejetée par Clinton et sapée par Bush. Un avis sain, suivant cette ligne, a récemment été donné par l’ancien Ministre des Affaires Etrangères Israélien et historien Shlomo ben-Ami, qui écrivait dans le Beirut Daily Star : "La Russie doit rechercher un vrai partenariat stratégique avec les USA, et ces derniers doivent comprendre qu, lorsqu’elle est exclue et méprisée la Russie peut être une cause majeure de problèmes mondiaux. Ignorée et humiliée par les USA depuis la fin de la Guerre Froide, la Russie a besoin d’être intégrée dans un nouvel ordre mondial qui respecte ses intérêts alors que son pouvoir revient, pas d’une stratégie de confrontation avec l’Occident".
Noam Chomsky est professeur à l’Institut de Technologie du Massachusetts.
Traduit par Laurent pour Le Grand Soir http://www.legrandsoir.info
Texte original : http://www.informationclearinghouse.info/article20737.htm