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Ne m’appelez plus Radio France…

Courrier au médiateur

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Le service public de radiodiffusion et de télévision français a-t-il pour vocation d’informer les citoyens ou d’être le porte-parole de l’opposition vénézuélienne ? La question est posée tant le lynchage mené par ses différentes chaînes – avec, en tête de gondole, France Inter et France culture – contre la République bolivarienne du Venezuela a redoublé de violence (s’il était possible) à l’occasion de l’élection présidentielle du 20 mai, laquelle a vu la réélection du président Nicolás Maduro.

La critique du gouvernement dit « bolivarien » est légitime, dans le cadre, démocratique, de tout média d’information ou d’analyse digne de ce nom. Néanmoins, et sans entrer dans un débat sur le Venezuela qui nécessiterait de longs développements, comment la quasi totalité de vos propagandistes à microphone peut-elle affirmer que ce denier scrutin s’est déroulé sans opposition ? Jusqu’à preuve du contraire, il n’a été boycotté que par la droite dure et l’extrême droite, d’où une abstention similaire à celles enregistrées, par exemple, lors des présidentielles chiliennes de 2013 et 2017, la colombienne de 2014 ou… le second tour des législatives françaises de 2017 !

De la même manière, pourquoi présenter systématiquement le candidat Henri Falcón comme un « dissident chaviste » – en gros, un candidat fantoche – quand, après avoir effectivement appartenu à cette mouvance politique, il a changé de camp au point de devenir le chef de campagne de Henrique Capriles Radonski, représentant de toutes les droites, au sein de la Table d’unité démocratique (MUD), lors de l’élection présidentielle perdue en 2013 contre Maduro ? Imagine-t-on un chaviste, quand bien même il serait « dissident », prôner la dollarisation du pays et le retour du FMI ? Et, tiens, amusons-nous un peu : présenteriez-vous Bernard Guetta comme un « dissident » de la Ligue communiste révolutionnaire (aujourd’hui NPA) qu’il a fréquentée ?

A quelques exceptions près – dont nous ne donnerons pas ici les noms afin de leur éviter tout problème avec les maîtres à penser que chaque jour ils côtoient –, la majorité de vos journalistes et éditorialistes sont totalement alignés, s’agissant du Venezuela, sur les thèses du brillant président des Etats-Unis Donald Trump, des très progressistes chefs (ex et actuel) du gouvernement espagnol José Maria Aznar et Mariano Rajoy, ou de l’ancien et dangereux chef de l’Etat colombien Álvaro Uribe, qui, pour ne citer qu’eux, refusent de reconnaître le résultat de ce scrutin et entendent sanctionner Caracas. Nous en sommes d’accord, leur position mérite d’être exposée pour comprendre la situation. Mais pourquoi ce silence absolu sur les déclarations du président bolivien Evo Morales, de l’ancien chef de l’Etat Rafael Correa (Equateur) ou même de l’espagnol José Luis Rodríguez Zapatero ? Un redoutable « gauchiste populiste », Zapatero ?

Médiateur lors du dialogue tenu en République dominicaine entre gouvernement et représentants de la MUD, Zapatero a exprimé son amertume lorsque ces derniers, au tout dernier moment, le 6 février, sous la pression de Washington, ont refusé de signer l’accord qui avait été conclu (pour, entre autres, organiser cette élection tant contestée !). Observateur du scrutin de dimanche dernier, il a été hué et agressé par certains de vos nouveaux amis « démocrates » quelque peu fascisants, dans un bureau de vote d’un quartier chic de Caracas et, s’agissant de la non-reconnaissance du résultat par l’Union européenne, a déclaré : « C’est très grave de dire à un pays : ces élections ne sont pas utiles, elles ne valent rien, avant qu’elles n’aient lieu. C’est une marque d’irresponsabilité envers un peuple et son avenir. Que des positions si importantes aient été prises avec si peu d’éléments de jugement me fait peur. » Aznar plutôt que Zapatero : c’est une option politique possible (et même légitime au Figaro). Mais sûrement pas un choix éditorial acceptable sur une chaîne publique d’intérêt général. N’ayez pas peur du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) : prononcer le mot « Zapatero » à l’antenne n’est pas un gros mot (pour ne parler que de lui).

On ne recensera pas ici (cela nécessiterait trop de place et de temps !) les innombrables bobards malveillants diffusés sur vos antennes concernant le Venezuela. Mais, pour prendre en référence cette dernière période, de l’émission « Cultures Monde » (France Culture, 18 mai), destinée à discréditer Maduro et à faire la promotion d’un documentaire « à charge » programmé sur Arte le lendemain, à la chronique hilarante (si le sujet n’était aussi grave) du « spécialiste de tout » Anthony Bellanger dans la matinale de France Inter (21 mai), votre production est devenue une véritable malédiction pour le service public, qu’il discrédite quotidiennement. D’ailleurs, peut-on encore parler de service public et d’une quelconque spécificité ?

Quand Nicolas Demorand quitte la matinale de France Inter en 2010, c’est pour rejoindre Europe 1, puis, en 2011, la codirection des « unes » racoleuses de Libération. Lorsque, après avoir échoué à redresser les ventes de ce quotidien, il revient animer la même tranche de France Inter, Patrick Cohen, qui l’avait remplacé devant le micro, part à son tour à Europe 1, dont il ne parvient pas plus à ranimer l’audience (ce qui prouve, entre parenthèses, que si France Inter demeure la station de radio la plus écoutée le matin et en début de soirée, ce n’est pas à ces rois du boniment qu’elle le doit, mais à l’attachement des Français au service public, envers et contre tout). Evincé du « 20 heures » de France 2, David Pujadas a lui quitté France Télévision et rejoint la chaîne d’info LCI (sous produit de TF1).

Appelé par Arnaud Lagardère, le nouveau vice-président directeur général d’Europe 1 (ainsi que de RFM et de Virgin Radio), Laurent Guimier, a officiellement pris ses fonctions le 22 mai. Il y avait commencé sa carrière avant de devenir le numéro deux de… Radio France. Dans un premier temps, la rumeur a couru que Matthieu Aron, un ancien de la Maison de la radio, actuellement conseiller éditorial et directeur adjoint de la rédaction à L’Obs, quitterait l’hebdomadaire détenu par les actionnaires du Monde pour rejoindre la direction des antennes du service public, où il s’occuperait de l’information. Pour la petite histoire, Aron avait été nommé en août 2016 à L’Obs pour y remplacer Aude Lancelin, licenciée car non suffisamment « pensée conforme ».

C’est finalement Guy Lagache qui succédera à Guimier et prendra le 25 juin ses fonctions de directeur délégué aux antennes et à la stratégie éditoriale de Radio France. Il a, jusque-là, effectué toute sa carrière au sein de chaînes de télévision privées, essentiellement à M6 où, de 2003 à 2011, il a présenté le magazine économique « Capital ». Les noms d’Aron et de Catherine Nay (directrice de l’information de France Inter après l’avoir été de… TF1) circulent pour un éventuel poste de directeur(trice) de l’information de Radio France, pour assister Laurent Guimier.

Vous avez dit service public ou « caste médiatique » indifférenciée ?

S’agissant des chaînes privées, il suffit de les éviter ou d’appuyer sur le bouton si les programmes ou l’idéologie déplaisent. Mais, qu’ils l’apprécient ou non, tous les Français (ou à peu près) sont obligés de payer la redevance rémunérant le service public. Dès lors, ils ont des droits. Entre autre celui de recevoir une information digne de ce nom, pluraliste, vérifiée et sourcée, plutôt qu’un discours de propagande. Au nom de quoi devraient-ils accepter de financer de leurs deniers les porte-paroles de la droite et de l’extrême-droite vénézuéliennes, comme c’est actuellement le cas ? Même camouflée sous un manteau démocratique, l’extrême droite est l’extrême droite, que ce soit à Caracas ou à Paris. Et qui dit qu’un jour, excédés, nombre de vos usagers ne s’organiseront pas pour boycotter le paiement injustifié d’une somme se retournant contre leurs intérêts (car, en matière de traitement médiatique, le Venezuela ne constitue pas une exception) ?

Que les tenants de la laïcité nous pardonnent, mais une excellente citation s’impose : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ? » (Evangile, Luc, 6, 41). Au lieu de bassiner vos auditeurs et téléspectateurs avec les « fake news » (réelles ou supposées) des autres, commencez par faire la chasse à celles qui sortent de vos studios. Entre autres, celle prétendant qu’il existe une « dictature » au Venezuela. Sinon, vous ne faites que renforcer le croissant sentiment de défiance à l’égard des journalistes, que vous dénoncez à longueur de temps. Le citoyen n’y trouve pas son compte. Et ne vous faites aucune illusion. Ceux à qui vous « servez la soupe » ne vous en seront nullement reconnaissants.

En témoigne la glorieuse prestation des soixante-huitards ayant accédé à la caste, Daniel « moi je » Cohn-Bendit et Romain Goupil, ex-trotskiste admirateur de George W. Bush, invités le 21 mai dans la matinale de France Culture, après avoir bénéficié d’un complaisant tapis rouge, dans toutes les rédactions, pour leur dernière production cinématographique. La chronique du talentueux Aurélien Bellanger croquant avec humour leur nouvelle idole, Emmanuel Macron, ils l’ont interpelé en direct, verbalement rudoyé, tutoyé comme un domestique, gratifié d’une pulsion de haine braillarde « Mélenchon – Castro ! » (nullement mentionnés dans son texte), sans que le courageux Guillaume Erner, producteur et animateur des « Matins » plutôt obsédé par les « populismes », ne songe à élever la voix pour protester et fustiger ces petits caïds de cour de récréation.

MAURICE LEMOINE
(journaliste)

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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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