RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Libé : porte-voix de Dharamsala ?

Sous le titre "Le monde devrait s’inquiéter des atteintes à l’environnement au Tibet", on a pu lire sur le site de Libé du 29/11/2017 une interview par Laurence Defranoux de Dolma Tsering, députée du « Parlement tibétain en exil ». C’est le droit, bien sûr, d’un organe de presse d’interviewer n’importe qui ; mais ne serait-ce pas aussi son devoir de faire preuve d’un minimum d’esprit critique ?

Rien que le bandeau de présentation donne un aperçu des préjugés de la journaliste. Elle nous dit que « Dolma Tsering (...) est née au Tibet en 1959, neuf ans après l’invasion du pays himalayen par l’armée de la Chine communiste. » Invasion ? En fait, la Chine n’a fait que récupérer une province traditionnelle ayant échappé pour un temps (de 1911 à 1950) à son contrôle à cause des problèmes de la jeune république (seigneurs de la guerre, rivalité entre communistes et Guomindang, agression japonaise). Il est assez lamentable qu’un journal au bon nom de Libération taxe d’« invasion » l’arrivée au Tibet de l’APL (Armée populaire de Libération) qui a effectivement libéré la population d’un pouvoir théocratique millénaire. Pour rappel, les paysans tibétains étaient astreints aux corvées ; ils pouvaient être vendus comme du bétail ; les esclaves fugitifs pouvaient subir l’arrachage des yeux (énucléation), l’arrachage de la langue, la section des tendons, l’amputation de bras, de jambes, ou être écorchés vifs.

Première question de la journaliste : « Que pensez-vous du projet chinois de détourner l’eau du Brahmapoutre depuis le Tibet vers le désert du Xinjiang ? » Une question correcte aurait été : « Que pensez-vous du projet chinois consistant, d’après la presse indienne, à détourner l’eau, etc., ? » Quand on sait que les journaux indiens, comme The Hindustan Times ou Mint, sont assez largement contrôlés par le pouvoir, un pouvoir national-hindouiste prêt à faire flèche de tout bois contre son rival chinois, il faudrait d’abord s’interroger sur la réalité et la faisabilité d’un tel projet. D’après Romesh Bhattacharji, ancien bureaucrate indien, « les Chinois devraient faire monter l’eau plus de 1.000 mètres au-dessus de son altitude actuelle pour la détourner vers le nord, ce qui lui semble impossible » (site Slate.fr, 03/04/2015, d’après The Diplomat, Sciences et Avenir, i100).

Il faudrait donc se demander d’abord si un projet aussi fou, pour autant qu’il existe, n’est pas condamné à l’avance à rester dans les cartons, comme ce fut le cas du projet envisageant d’acheminer vers la grande ville de Barcelone une partie de l’eau de l’Èbre et même du Rhône. De plus, on voit mal le gouvernement chinois donner le feu vert à une telle initiative alors qu’il vient de décider de transformer le Haut Plateau en sanctuaire écologique (voir www.tibetdoc.org, → Environnement → Écologie).

Quant à la compétence de Mme Delma Tsering pour répondre à la question posée, on peut en douter, elle qui parle du « Yarlung Tsampo, un affluent du Brahmapoutre », alors qu’il s’agit du même fleuve sous deux noms différents ; il est vrai qu’étant partie en exil avec ses parents quand elle n’avait pas encore un an, elle ne doit avoir de son pays d’origine qu’une connaissance très limitée.

Deuxième question : « Quelle est la situation politique et sociale du Tibet aujourd’hui ? » Comme on pouvait s’y attendre, Delma Tsering met en avant les « 149 personnes (...) immolées par le feu ». Il n’est pas question ici, bien sûr, de banaliser cette vague tragique (n’y aurait-il eu qu’un seul cas, ce serait déjà trop), ni même d’exempter les autorités politiques de tout reproche, mais encore faudrait-il se demander si les candidats au suicide ne sont pas fanatisés par certains moines sur place et par certains exilés, qui instrumentalisent la religion à des fins séparatistes (voir www.tibetdoc.org → Politique → Conflits). C’est une question que Laurence Defranoux ne s’est probablement jamais posée.

Delma Tsering se plaint longuement de la situation politique, mais reste muette sur la situation sociale, comme si ça n’avait pas d’importance. Pourquoi notre journaliste n’a-t-elle pas insisté pour avoir une réponse à la deuxième partie de sa question. Difficile d’admettre qu’un quotidien comme Libé semble faire peu de cas des droits sociaux (subsistance, santé, éducation) et des progrès constants du niveau de vie des Tibétains : Jean-Paul Sartre doit se retourner dans sa tombe...

Troisième question : « Sous la pression de la Chine, le dalaï-lama est de plus en plus ostracisé par le monde occidental. Qu’en pensez-vous ? » Réponse de Dolma Tering : « C’est fou comme la Chine arrive à influencer la communauté internationale (...) » Imaginons un moment qu’un leader charismatique corse fasse le tour du monde pour plaider la cause indépendantiste ; dans ce cas, la France n’essaierait-elle pas d’influencer la communauté internationale ? Il n’est d’ailleurs pas dit qu’elle y réussirait pleinement, pas plus que la Chine qui doit bien constater que des personnalités occidentales en vue se démènent toujours pour être photographiées aux côtés du saint homme.

Il est navrant de voir un journal comme Libé baigner dans les eaux tièdes de la pensée unique antichinoise et oublier que le dalaï-lama est devenu, pour le « monde libre », un pion sur un échiquier géopolitique qui le dépasse.

Quatrième et dernière question : « Comment voyez-vous l’avenir alors que Xi Jinping vient d’être reconduit à la tête de la Chine ? » La réponse de Dolma Tsering a tout pour plaire dans nos pays, car elle donne les apparences de la modération.

« Ce n’est pas parce qu’on défend le Tibet qu’on est anti-chinois », dit la « parlementaire » tibétaine. Les Chinois auront sans doute quelques difficultés à la croire, eux que le dalaï-lama a accusés dans ses mémoires d’être des « envahisseurs », des gens « impitoyables », qui se livrent au « pillage » qui ont une « mauvaise éducation » et autres joyeusetés détaillées à la page 69 du petit livre de Maxime Vivas, Dalaï-lama. Pas si zen (éd. Max Milo, 2011). Quant aux accusations de « génocide » (démographique, culturel et même physique), ce sont des mensonges fabriqués à Dharamsala et complaisamment relayés en Occident bien que leur fausseté ait été clairement établie par les chercheurs sérieux.

« (...) nous ne demandons pas l’indépendance », affirme aussi Mme Dolma Tsering. C’est en tout cas le discours officiel à destination de l’opinion internationale, mais chacun sait que le ton est légèrement différent au sein de la communauté des exilés, dont le rêve indépendantiste est secrètement entretenu. Comme le note finement Donald S. Lopez, lequel est par ailleurs favorable à la thèse indépendantiste, « il arrive au Dalaï-Lama lui-même de brouiller les cartes, en particulier dans des déclarations destinées à l’Occident, en passant d’un appel à l’indépendance du Tibet à un appel à la préservation de la culture tibétaine » (Fascination tibétaine, Du bouddhisme, de l’Occident et de quelques mythes, éd. Autrement, 2003, p. 226). À lire aussi sur la question, le chapitre VII (Indépendance ou autonomie) du livre de Maxime Vivas : c’est vraiment savoureux...

Conclusion de Dolma Tsering : « Le Parti communiste chinois devrait admettre que, après soixante années de contrôle, le problème tibétain n’est toujours pas résolu. » Mais les torts ne sont-ils pas au moins partagés, aurait dû demander Laurence Defranoux ? Pour rappel, l’accord en 17 points pour la libération pacifique du Tibet qui avait été signé en 1951, c’est le dalaï-lama qui l’a dénoncé quelques mois après sa fuite en Inde. Pour rappel encore, si, après l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, les négociations qui auraient entre autre permis au dalaï-lama de rentrer au pays ont été rendues très difficiles, c’est notamment à cause de la revendication des exilés tibétains de créer un « Grand Tibet » sur le quart du territoire chinois. Et quand, en 1986, le dalaï-lama a décidé d’internationaliser la question devant le Congrès des États-Unis, il a donné le coup de grâce aux négociations.

Mes questions : Plutôt que de prendre pour argent comptant tout ce qui sort de la bouche des exilés tibétains, un journal digne de ce nom ne devrait-il pas envoyer pour les interviewer des journalistes informés et doués de sens critique ? Serait-ce trop demander à un journal comme Libé de ne pas se laisser emporter par le courant de la pensée dominante ?

André Lacroix

URL de cet article 32632
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
La Chine sans œillères
Journaliste, écrivain, professeur d’université, médecin, essayiste, économiste, énarque, chercheur en philosophie, membre du CNRS, ancien ambassadeur, collaborateur de l’ONU, ex-responsable du département international de la CGT, ancien référent littéraire d’ATTAC, directeur adjoint d’un Institut de recherche sur le développement mondial, attaché à un ministère des Affaires étrangères, animateur d’une émission de radio, animateur d’une chaîne de télévision, ils sont dix-sept intellectuels, qui nous parlent (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le gant de velours du marché ne marchera jamais sans une main de fer derrière - McDonald ne peut prospérer sans McDonnell Douglas, le fabricant (de l’avion de guerre) F15.

Thomas L. Friedman "A Manifesto for a fast World"
New York Times Magazine, 28 Mars, 1999

Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.