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Les grandes oreilles de Manu

On avait moqué en leur temps les écoutes indiscrètes de Tonton. On ne les avaient pas prises trop au tragique ces écoutes sauvages téléguidées depuis l’Elysée par le Florentin. Ce n’était pas joli-joli mais les zonzons comme les nomment les professionnels de la profession du Renseignement rimaient tellement bien avec Tonton que les canards déchaînés finir par en rire.

Et puis franchement que pouvait bien avoir à cacher Carole Bouquet, surprenante écoutée de l’affaire de la cellule anti-terroriste élyséenne, qui puisse menacer la sécurité intérieure de la France ? Certes il était déplaisant d’apprendre qu’un Président de la République élu au nom de la Gauche finissait son règne bi-septennal en se vautrant dans les pires pratiques galvaudées du temps du trop fameux SAC. Bof, il nous avait déjà tellement déçus qu’il ne s’agissait finalement que d’un coup de grâce presqu’annoncé. Après « les Irlandais de Vincennes » ou le « Rainbow warrior » ces écoutes maladroites et mal ciblées n’étaient somme toute que de la petite bière. La Droite n’avait plus alors qu’à cueillir le pouvoir tel un fruit mûr. Mûr pour de nouvelles aventures en eaux troubles mais là nous savions que nous serions davantage en pays de connaissance. Du reste, la Chiraquie suivie de la Sarkozie ne nous donnèrent pas moins d’une vingtaine de lois « sécuritaires ». C’est devenu une habitude française, à chaque poussée de violence urbaine médiatisée, sa loi votée en hâte pour rasséréner le bon peuple apeuré.

Pourtant, tout autre est la dérive où va nous entraîner la triplette Hollande-Valls-Cazeneuve avec la nouvelle loi sur le renseignement actuellement en discussion au Parlement et dont l’adoption est voulue pour ce 5 mai. Il ne s’agira plus d’écoutes occasionnelles pour les besoins d’enquêtes particulières. Il s’agira de la volonté revendiquée de mettre en place un système d’écoutes à très large spectre sans motif préalable. Finies donc les écoutes de grand-papa bricolées en loucedé. Place à l’omnisurveillance. Le vieux rêve panoptique de Jeremy Bentham revient en force. En écoutant au hasard un peu tout le monde on surprendra forcément des conversations utiles à la sécurité de la communauté nationale. Au sein du triumvirat de l’espionnite étatique Manuel Valls donne le la. Le chef d’orchestre est entré en guerre. Contre un ennemi potentiel dont le caractère dominant est d’être partout et nulle part à la fois : le terrorisme. Les moyens de la communication moderne vont apporter au Premier Ministre un progrès considérable sur ses prédécesseurs dans le domaine de la surveillance qu’il semble considérer comme le sacerdoce de sa fonction. Son néo-panopticon aura assurément de quoi impressionner. La Droite, à commencer par Nicolas Sarkozy, n’avait sûrement fait qu’en rêver ; Manu va le réaliser. Et avec de surcroît l’approbation quasi générale alimentée par le sentiment d’insécurité savamment attisé par une bonne part de la classe politique.

Manu, la version réelle du mythique big brother, n’aura pas que de grandes oreilles. Il ne va pas se contenter d’écouter. Il va lire aussi, notre courrier maintenant que « tout est en ligne ». Il va regarder partout puisque bientôt nous ne pourrons plus faire un pas sans que notre image soit capturer par l’œil panoramique d’une caméra urbaine fixe ou d’un drone affecté à la frénétique surveillance. En attendant que demain ses grandes oreilles et ses grands yeux soient complétées par de grandes dents car le grand méchant loup n’est probablement plus très loin. Cependant, Manu est d’ores-et-déjà bien supérieur au loup des contes pour enfant : il a surtout une très grande mémoire. Toutes les données relatives à la vie de nos concitoyens, collectées à l’occasion du moindre de nos agissements, désormais tous suspects, sont renfermés dans les fichiers informatiques fort mal contrôlés de l’Administration ou d’officines privées mystérieusement assermentées. Ce projet de loi qui émeut fort peu de parlementaires étend considérablement les dispositions existantes en matière d’interceptions de sécurité et d’accès aux données de connexion à l’Internet. Il transpose dans le domaine de la prévention des techniques de recueil de renseignement (balisage de véhicules ou d’objets, sonorisation ou captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques, écoutes téléphoniques...). Il permettra aussi un accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications et aux serveurs des hébergeurs, en instaurant un mécanisme de détection d’un nouveau genre grâce à des algorithmes que l’on peut considérer comme autant de boîtes noires. Par ailleurs, il s’agit, de plus, d’un projet très approximatif au plan juridique, aux attendus vagues, Aux assurances incertaines. Bref, un texte de loi indigne du Gouvernement d’un grand pays. Il ne suffisait pas qu’il fut éminemment liberticide ; il devait aussi être honteusement cafouilleux !

A l’unanimité la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a condamné le texte. Pour elle, nous avons là affaire à une volonté de « surveillance de masse » par la collecte généralisée et la conservation durable de données collectées sur nos ordinateurs, nos téléphones, nos tablettes, tous les instruments électroniques qui, désormais, sont le quotidien de nos vies. À plusieurs reprises, elle affirme que le dispositif de la loi contient « une violation flagrante de l’article 8 » de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule le « droit au respect de la vie privée et familiale ». Elle s’inquiète de l’usage que pourrait faire l’Etat des instruments technologiques dont il dispose librement et qui lui donnent ainsi accès à une transparence totalitaire sur la vie privée des individus, leurs pensées secrètes, leurs personnalités intimes. De plus, en étendant le recours aux techniques de renseignement aux intérêts économiques et industriels, auxquels on peut ajouter la surveillance préventive des mouvements collectives de contestation sociale ou écologique, le projet de loi offre un champ potentiellement illimité aux curiosités intrusives de la police. Enfin, on assiste au basculement dans le champ de la police administrative de mesures répressives qui devraient bénéficier de garanties judiciaires. Le projet de loi porte donc atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. A cet égard, le silence complice de Christiane Tobira, garde des sceaux, nous laisse pantois.

Mesurons bien le péril qui s’annonce, pour ne pas dire le crime : l’Etat de police se substituerait à l’Etat de droit. Cette substitution coupable pourrait ouvrir toute grande les portes à la phase ultime et mortifère de « l’encadrement national » : l’Etat martial. Manu… militari !

Yann Fiévet

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