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Les "élites" selon France 2

Ce soir, au cours du journal télévisé de 20 h de France 2, un sujet était réservé au golf, dont il était dit qu’il se démocratisait. Je ne veux pas parler ici du golf lui-même, mais d’un terme employé à son propos par Julian Bugier, le présentateur : "un sport qui, on le sait, a longtemps été réservé à une élite". Mais qu’est-ce donc que cette "élite" ?

D’après le Dictionnaire historique Robert de la langue française, une "élite" se dit des personnes considérées comme les meilleures dans un groupe, une communauté. Ou de celles qui occupent le premier rang, dans tous les domaines. Par exemple, l’élite des mathématiciens, en France, peut être identifiée comme le groupe des mathématiciens qui ont eu le prix Abel, la médaille Fields, ou qui se trouvent à l’Académie des sciences, au Collège de France, ou qui enseignent dans un grand établissement du supérieur. L’élite des sportifs français, ce sont ceux qui vont concourir aux Jeux olympiques, etc.

1. Il est révélateur que, dans les connotations de ce terme, apparaisse rarement la connotation morale : or, quand on parle de "meilleurs", on s’attendrait à voir mis en avant des sujets ayant de hautes qualités morales : courage, abnégation, désintéressement, honnêteté, modestie, persévérance, etc. Or, lorsqu’on questionne son entourage, il est peu courant que ce sens soit évoqué. D’où cela vient-il ? Peut-être du fait que les qualités morales varient en fonction de la famille idéologique à laquelle on appartient, et que ce qui est vu comme une qualité par certains (par exemple des chrétiens, des athées, des militants de gauche ou de droite) peut être vu comme un défaut par son adversaire idéologique. L’autre raison est que ces qualités sont à la fois courantes et discrètes. Chacun connaît de ces personnes dans son entourage mais on n’en parle pas dans les médias.

2. Il est donc plus courant que le terme "élites" soit réservé à des sujets exerçant des professions intellectuelles, mais, si je puis dire, des professions intellectuelles "mesurables", sanctionnées par des reconnaissances officielles : prix, distinctions, nominations dans des institutions. Le terme élite (même si les intéressés peuvent prétendre à en faire partie) s’applique moins à des écrivains, à des peintres, à des artistes qui peinent parfois à entrer dans ces cadres.

3. En fait, le terme "élites" est moins appréhendé par son caractère intrinsèque (la valeur intellectuelle ou morale, souvent difficile à mesurer), que par un effet purement externe :les élites, ce sont ceux que leurs qualités, leur activité ont placés au sommet de la pyramide sociale, c’est-à-dire, trivialement, les plus riches. Et, surtout, les plus riches qui se reconnaissent entre eux, par un certain nombre de comportements, d’habitudes, comme celle de fréquenter tel grand restaurant, d’être membre du Jockey Club ou... de jouer au golf. Parce qu’on ne saisit pas le lien qu’il peut y avoir entre être professeur de faculté et jouer au golf - même si cela peut arriver - , mais on saisit très bien le lien qu’il existe entre être dans le décile supérieur des revenus (ou, mieux encore, dans les cinq centiles supérieurs) et pratiquer ce sport. D’où, pour Julian Bugier, l’identification du meilleur ("aristos") au riche (ploutos). Après Jacques Séguéla disant, il y a quelques années, que lorsqu’on n’avait pas de Rolex à 50 ans on avait raté sa vie, après Emmanuel Macron clamant qu’il fallait que les jeunes Français aient envie de devenir milliardaires, n’est-ce pas là une phrase révélatrice de notre société ?

Philippe Arnaud

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