L’Union européenne connaît la plus profonde crise de son histoire. Mais, par delà les drolatiques péripéties pré-électorales françaises, tant le PS que Les Républicains continuent de partager ce mantra qui leur sert de programme commun subliminal : « l’Europe est notre avenir ». Dans la perspective des scrutins du printemps prochain, ils s’efforcent cependant de rester discrets sur ce thème tant il devient de plus en plus repoussoir.
Le Front national, quant à lui, cultive pour l’heure l’ambiguïté. Alors que beaucoup d’électeurs pensent utiliser ce vote pour exprimer leur refus de Bruxelles, des responsables de ce mouvement plaident pour adoucir une image « trop anti-européenne » jugée susceptible d’effrayer certains électeurs.
Or qui prétendrait conduire des choix tranchant avec les orientations actuelles sans rompre avec l’intégration européenne est soit un naïf, soit un imposteur. La remarque vaut pour tous les candidats. Arnaud Montebourg développe ainsi une certaine schizophrénie en proposant de désobéir à l’UE... en payant des amendes plutôt que d’imaginer quitter la galère.
Pour sa part, Jean-Luc Mélenchon lançait le 16 octobre sa nouvelle mouvance baptisée La France insoumise. Une formulation d’apparence prometteuse. Encore faut-il s’assurer de sa portée concrète, car rien n’est pire que de se payer de mots. Or le candidat libre redoublant à la magistrature suprême propose de « sortir des traités européens ». Mais pourquoi ne pas dire tout simplement « sortir de l’UE » ?
L’eurodéputé n’a-t-il pas quelque mal à lâcher les rêves qu’il a nourris des décennies durant ? Car il reprend désormais la formule mi-chèvre mi-chou : « l’Europe, on la change ou on la quitte »... ce qui redonne une once de crédibilité à l’hypothèse « on la change ». Pourtant, depuis des lustres, il n’a pas manqué de responsables politiques pour aligner les rodomontades promettant de « changer », d’« infléchir », de « réorienter », de « refonder » l’Europe... Sans autre résultat que de soumettre toujours plus les peuples au carcan communautaire.
François Hollande s’était ainsi engagé, en 2012, à « renégocier » immédiatement le traité imposant la gouvernance économique, pour finalement y renoncer dès sa deuxième rencontre avec Angela Merkel ; le Grec Alexis Tsipras était arrivé au pouvoir en janvier 2015 après une campagne promettant de tenir tête à Bruxelles – on connaît la suite.
Combien de Tsipras faut-il à l’« insoumis » Mélenchon pour admettre cette réalité : l’Europe n’a été conçue et ne peut fonctionner que dans l’intérêt de l’oligarchie ; et pour abandonner l’illusion qu’on pourrait la faire tourner dans l’intérêt des peuples, alors que son but fondamental est d’aliéner la liberté de ceux-ci ?
Il continue imperturbablement de suggérer un « plan A » visant une « sortie concertée » ; et un « plan B » menaçant d’une sortie unilatérale, sortie qu’un forum européen (où Jean-Luc Mélenchon côtoie notamment... Yanis Varoufakis) caractérisait ainsi en septembre 2015 : « si l’euro ne peut pas être démocratisé, s’ils persistent à l’utiliser pour étrangler les peuples, nous nous lèverons, nous les regarderons dans les yeux et nous leur dirons : ‘essayez un peu, pour voir !’ »...
Mais dans quel monde vit l’ex-président du Parti de gauche ? Laisser entendre qu’il pourrait se dessiner une coalition européenne de gouvernements – actuels ou futurs – susceptibles de s’inscrire dans le sillage de cette « France insoumise », c’est ignorer la réalité politique et juridique de l’UE.
« L’Europe de nos rêves est morte » se désole le candidat. Il devrait revenir sur terre : les Français – les classes populaires en particulier – n’ont jamais majoritairement rêvé d’Europe. Lui-même en revanche fut un farouche défenseur du traité de Maëstricht en 1992, avant d’admettre s’être trompé ; il fut un supporter fervent de Syriza, avant de prendre quelques distances...
Admettre ses erreurs, c’est bien ; en tirer les leçons, ça serait mieux. Faute de quoi, la candidature Mélenchon risque de s’avérer plus dangereuse que toutes les autres, car elle peut réanimer des illusions que MM. Hollande, Juppé, Sarkozy et consorts ne sont plus capables – et c’est tant mieux – de porter.
Par son refus d’énoncer un objectif facilement intelligible par tous – « Frexit veut dire Frexit » pour paraphraser nos amis anglais – le vote proclamé « insoumis » pourrait bien, fût-ce involontairement, apporter une nouvelle caution « de gauche » au principe de l’intégration.
Et constituer ainsi l’ultime roue de secours de Bruxelles en déroute.
Éditorial paru dans l’édition du 25/10/16 du mensuel Ruptures
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