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la nuit des rois à Malgouverne

Le poète et chanteur Léo Ferré enseigne une bonne leçon aux mangeurs de foufou quand il chante "Avec le temps, va, tout s’en va". Les huit salopards vont partir et la jeunesse lèvera le défi comme ses aïeuls. Nos enfants vivront dans la joie et la gaité dans une Algérie paisible, forte et prospère.

Je commence ce texte par les paroles du Dr. Samba Diacide : Le mensonge politique s’exacerbe lors des joutes électorales, le moment bien choisi pour promettre à une population majoritairement misérable, affamée et analphabète, toutes sortes de possibilités. Mais le candidat, une fois élu, la promesse devient précaire ; la parole n’est plus respectée et l’engagement devient un encagement. Pourtant, la sagesse africaine, dans son fond éthique, admet que la promesse n’a de sens que si elle est tenue, qu’une parole n’a de valeur que si elle est respectée et par conséquent, un homme n’a de dignité que s’il respecte sa parole "donnée".

Molière n’était pas un roi mais il avait un fauteuil de valeur. L’histoire griffe l’importance des choses. Ce fauteuil a une histoire. Molière s’asseyait dans ce fauteuil lors de ses représentations. Le fauteuil datait du XVIIe siècle et continua d’être utilisé par la troupe de Molière jusqu’à sa dissolution en 1680, à cause de la fusion de cette troupe, de celle du Théâtre du Marais et de celle de l’Hôtel de Bourgogne qui donna la Comédie Française. Le fauteuil fut déposé dans la salle d’assemblée des Comédiens. Il était le siège d’honneur, réservé au plus important comédien. A cause d’une négligence administrative, ce fauteuil fut entreposé au Théâtre de la République, au lieu d’être à l’Odéon. Heureusement car le 18 décembre 1799, l’Odéon a brûlé ! Depuis, le fauteuil est mis sous verre pour ne pas l’abimer et seul Charlie Chaplin a eu le droit de le toucher. En effet, le fauteuil symbolique exposé place Colette devant la Comédie Française, à côté du Kiosque des Noctambules d’Othoniel n’est qu’une copie deux fois plus grande de l’original.

La rumeur née dans le marché noir de l’information. Les fauteuils se ressemblent et les rois s’assoient comme vous et moi n’est pas une rumeur. Après plusieurs aventures résumées en rumeurs dans un dialogue politique entre Amar et Ahmed au siège de la Comédie Algérienne, le téléphone arabe nous prévient. Gardez-vous de confondre démocratie et liberté dans la nuit des rois. Certes dans la nuit des rois les gens se défoulent mais pour une nuit seulement. Cette nuit est la douzième et dernière nuit des fêtes de Noël. Durant cette nuit particulière, tout semble permis : la mascarade comme le travestissement. Le roi de Rome joue au fou et la cours danse et se marre. Pour Amar et Ahmed la nuit des rois dure 12 mois. Durant cette période, Ahmed et Amar dialoguent et négocient le fauteuil. Lisons leurs pensées entre les vers de Molière :

Amar s’adresse à Ahmed
"Ils ont, comme un riche héritage,
Gardé jusqu’au Fauteuil où vous étiez assis ;
Contre le temps et son outrage...
Ils en défendent les débris"

Ahmed lui réplique :
"C’est dommage qu’il soit vacant !
La gloire d’y siéger ne serait pas vulgaire.
Mais depuis bien longtemps, et c’est mon désespoir,
Je n’y vois personne s’asseoir..."

Cette nouvelle sans certitude circule dans les bistros, les salons de coiffures dames et les bains maures. Elle devient officielle quand la radio de Malgouverne essaye de démentir son origine. Faire circuler une rumeur, en l’enfantant à Tamanrasset ou en ne faisant que la répéter à Souk H’rass, permet au meunier du Moulin Rouge de jouer un coup dans le pâturage agnostique de la diplomatie. Le caractère anonyme et officieux de l’information est le nerf vital des sous-responsables de Malgouverne. A Malgouverne, la rumeur politique est le négatif d’une réalité dans le monde de silhouettes qui la gouvernent. Pour les internautes de Malgouverne le siège d’Ahmed est appelé le "Théâtre du Marais" et celui d’Amar a pris le nom "Hôtel de Bourgogne". La division par deux du FLN de l’histoire a enfanté la Comédie Algérienne. Bientôt la place de la Comédie sera inaugurée par le maire de Malgouverne.

Des milliers de messages instantanés, WhatsApp et IMO, traversent le ciel de Malgouverne chaque minute. Dans un des messages nous lisons "Il y a des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, passionnées par le gain facile, transportées par l’intérêt et ensevelies dans la corruption... C’est dommage ! Ces âmes gèrent le bois qui réchauffe Malgouverne". Dans un autre message, nous lisons la conversation du président Nixon avec son conseiller juridique John Dean dans une affaire de cambriolage et corruption. L’affaire est connue sous le nom des cinq plombiers cambrioleurs de la Maison Blanche. Cette affaire a coûté le départ de Nixon de la Maison Blanche. La conversation est comme suit :

John Dean : "Cela va coûter de l’argent. C’est dangereux. Les gens autour de nous ne sont pas des pros de ce genre de chose. C’est le genre de chose que les gens de la Mafia peuvent faire : blanchir de l’argent, sortir de l’argent propre, etc. Nous ne connaissons pas ces choses, car nous ne sommes pas des criminels et nous n’avons pas l’habitude de ce genre d’affaires".

Nixon : "C’est vrai".

John Dean : "C’est difficile de savoir comment faire".

Nixon :"Peut-être qu’il faut une équipe pour faire ça".

John Dean : "C’est exact. Il y a un vrai problème quant à savoir si nous pourrions même le faire. De plus, il y a un réel problème avec la collecte de fonds... Mais on ne peut nier le fait que la Maison-Blanche, avec Ehrlichman, Haldeman et Dean sont impliqués dans certaines décisions initiales concernant l’argent".

Nixon : "De combien d’argent avez-vous besoin ?"

John Dean : "Je dirais que ces gens vont coûter un million de dollars dans les deux prochaines années".

Nixon : "Nous pourrions avoir ça... Vous pourriez avoir un million de dollars. Vous pourriez l’avoir en liquide. Je sais où cela pourrait être pris. Ce n’est pas facile, mais ça pourrait être fait. Mais la question est : qui diable s’en chargerait ? Une idée là-dessus ?"

Jon Dean : "C’est vrai. Eh bien, je pense que c’est quelque chose dont Mitchell devrait se charger".

Nixon : "Je le pense aussi".

La suite de l’histoire nous annonce que dans la vraie démocratie deux jeunes journalistes, Bob Woodward et Carl Bernstein du Washington Post ont déchu légalement le président de la plus grande puissance du monde.

A Malgouverne les choses se passent différemment. Le beau paysage de Malgouverne et son sous-sol, aux richesses inépuisables, attirent les autres et repoussent les nôtres. Mitchell cambriole 180 millions d’euros. Mitchell s’évade. Mitchell s’achète un château à Montreux. Mitchell est recherché. Mitchell revient à Malgouverne. Cent blagues ou sans blague. Tout est bon et rien à signaler ! Malgouverne est devenue la Mecque des fouteurs de pagaille.

C’est se mentir à nous-même que de dire que nos élus nous représentent et que Malgouverne jouit d’une démocratie. A Malgouverne on continue à nous traîner sans jamais savoir notre destination. La réalité des décisions semble ne pas concerner les habitants de ce village. Les bouffons de Malgouverne ont fait de nous des consommateurs de slogans et des fidèles aux projets conditionnés par le mouvement de Messaoud sur une échelle déstabilisée ailleurs. Un jour, ils nous font avaler un corbeau à la chandelle. Le lendemain, ils nous demandent de vomir une colombe dans notre assiette. Ils ont fait de nous des adeptes incorrigibles du prêt-à-croire. Ils nous parlent de nanotechnologie et nous annoncent la transformation d’Oued El Abtal en eldorado californien. On enveloppe ça dans un laïusse politique pour nous faire croire qu’à Malgouverne les habitants sont heureux et satisfaits dans une démocratie à la nuit des rois.

Une fois Messaoud descend de quelques marches de son échelle, ils se hâtent vers le grand préteur Jim Yong Kim. Jim Young Kim n’est ni un commerçant de la rue de la Lyre ni un changeur de monnaie au square Port Saïd. Ce Coréen connait bien son métier. Il fut professeur de médecine à Harvard. Il n’est pas financier mais il gère des milliards de dollars de crédits. La réalité nous démontre que les hautes fonctions ne demandent pas d’expertise. Elles demandent tout simplement une bonne éducation et un comportement honnête et sérieux.

Jim Yong Kim, le président de la Banque Mondiale, avec sa chevelure de neige rigole de la situation à Malgouverne. Elle connait bien notre arrière-boutique et sait au centime près le contenu de la tirelire d’Abderrahmane. Elle a composé la musique du troubadour français qui défile quotidiennement à Malgouverne. La semaine prochaine le troubadour donnera un grand spectacle à Malgouverne. Cette réalité est difficile à accepter à Malgouverne où le détrousseur gère la cagnotte populaire.

Pierre Lagrange nous informe sur la prospection de la réalité ; "rechercher le noyau de réalité revient à transformer les histoires en énigmes policières et non à comprendre leurs véritables caractéristiques". Cette phrase est belle, mais quand nous ne trouvons pas suffisamment d’éléments d’information par la voie officielle à Malgouverne, il est naturel que nous essayions de nous débrouiller par les techniques traditionnelles le bouche-à-oreille ou le téléphone arabe pour comprendre les énigmes de Malgouverne.

Les scientifiques à Malgouverne n’échappent pas à l’obstacle des fausses données du problème surtout quand il s’agit de définir un phénomène qui reste insaisissable ou inconcevable. Les plaisanteries politiques et les secrets des silhouettes qui gouvernent Malgouverne excitent l’imagination des gens de la rue. Elles leur offrent une matière d’information inexhaustible dans le domaine de spéculation. Dans la société marchande à Malgouverne, les choses s’interprètent d’une manière simple. La rive gauche de la rue Didouche Mourad écoute les murmures des passants. Elle a tout entendu. L’information devient une suite tyrolienne de chuchotements confus et difficilement concourants. Cette rue, connue comme chemin estudiantin et fief de la matière grise, sélectionne le terme le plus important de cette suite et essaye de le diffuser dans les réseaux sociaux. Ce jour-ci le terme le plus important est Mitchell le fil du tisseur.

Mitchell est revenu des États-Unis. On l’accueille officiellement à Oran. La rive gauche passe cette information à la rive droite. La rive droite analyse l’information dans le laboratoire bistro. Au bistro historique "Lait Bar" on compare cette information à une autre qui descend de la terrasse d’en face. La terrasse nous annonce qu’un autre habitant, ex-responsable de la huitième CC à Malgouverne, est bien décoré. On lui offre une cellule "bed and breakfast" aux frais d’Ehrlichman. Son séjour est illimité et la facture ne coûte rien aux responsables de Malgouverne.

En absence de version officielle à Malgouverne, la version informelle circule, nous sommes dans le marché noir de l’information. Les journalistes de Malgouverne, Bob Mohand et Carol Tlemçani, rodent dans la place où se tient le marché informel. Ils s’intéressent à l’évènement et font attention à la rumeur. En conservant le conditionnel, ils participent malgré eux à la propagation de ce produit informel. Comme tout produit de contrefaçon, la rumeur déstabilise les rues et perturbe les quartiers populeux. Elle ne frappe pas que l’objectif désigné. Elle atteint son entourage et même les quartiers chics. Sidi Yahya n’est pas exclu du domaine de la rumeur. A Malgouverne il suffit d’un coup de téléphone d’une terrasse de Sidi Yahya pour prouver que l’information de la rive gauche est une vérité.

Concluons. Dans une démocratie normale, le scrutin place l’homme de mérite dans le fauteuil. Le fauteuil est désiré. Faites gaffe ! Le fauteuil hallucine les esprits disait le président. Désormais l’Algérie n’est pas Malgouverne. Le jeu de Mitchell ne dure pas longtemps. Le foufou bien tendre et délicieux à la Tour d’Argent de Paris dans un joyeux spectacle de la nuit des rois n’est que souvenir.

»» http://www.podcastjournal.net/Tribune-la-nuit-des-rois-a-Malgouverne_a21957.html
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Claude Lanzmann. Le Lièvre de Patagonie. Paris : Gallimard, 2009.
Bernard GENSANE
Il n’est pas facile de rendre compte d’un livre considérable, écrit par une personnalité culturelle considérable, auteur d’un film, non seulement considérable, mais unique. Remarquablement bien écrit (les 550 pages ont été dictées face à un écran d’ordinateur), cet ouvrage nous livre les mémoires d’un homme de poids, de fortes convictions qui, malgré son grand âge, ne parvient que très rarement à prendre le recul nécessaire à la hiérarchisation de ses actes, à la mise en perspective de sa (…)
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Viktor Dedaj

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