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La fracturation du système

Tableau "Step on a Crack" par Stormie Mills

Depuis la fin de l’année 2007, on parle régulièrement du risque de crise systémique globale provoquée par la Finance devenue incontrôlable. Depuis quelques années, on parle plus abondamment du risque d’emballement climatique dû à l’incapacité des nations à prendre collectivement les mesures drastiques nécessaires à la réduction de la production de gaz à effet de serre. Pourtant, c’est la question énergétique qui nous offre désormais la meilleure preuve du risque de l’emballement définitif. L’acharnement des hommes à continuer de nourrir le monstre Croissance à partir de sources d’énergie fossiles de plus en plus difficiles à exploiter, ou carrément mortifères, accélère la dévoration de la planète par ses occupants les plus vils.

Au début de cette année, bien peu de gens en France avaient conscience des dangers massifs pour l’environnement de l’extraction du gaz et du pétrole de schiste. Face à l’inévitable épuisement des gisements conventionnels d’hydrocarbures, les compagnies du secteur se sont toutes lancées depuis longtemps dans la recherche de gisements non conventionnels. Quand les premiers sont constitués de nappes relativement faciles à exploiter, les seconds sont caractérisés par l’emprisonnement des matières convoitées dans les roches composant le sous-sol. Pour exploiter les premiers, on creuse jusqu’à atteindre la nappe puis on pompe. Certes, il faut creuser de plus en plus profondément à mesure que les nappes les plus accessibles s’épuisent, mais ces techniques sont éprouvées. Pour exploiter les seconds, il faut fracturer la roche qui les contient par injection à très forte pression d’eau et de produits chimiques multiples. Là où cette technique si peu raffinée est à l’oeuvre, les dégâts sont monstrueux pour la nature et l’équilibre des écosystèmes définitivement rompu. La ressource en eau pourtant si précieuse est dilapidée et polluée. Les paysages sont à jamais défigurés. La santé des habitants des zones concernées est menacée par les substances chimiques que contient l’eau du robinet. Cependant, tout cela était loin de chez nous, aux États-Unis par exemple. Évidemment, notre tranquille insouciance ne pouvait pas durer.

Désormais, ça se passe aussi chez nous, à notre porte ou en des endroits qui nous sont chers. Les sociétés Toréador et Vermillon ont obtenu voilà deux ans le permis d’explorer le sous-sol de la Drôme, de l’Ardèche, du Gard, de la Lozère, de l’Aveyron, du Lot, de la Seine-et-Marne. Dans ce dernier département où l’on extrait depuis des années du pétrole conventionnel, les affaires avancent vite. Des puits dits d’exploration y ont été creusés et la fracturation hydraulique probablement déjà testée. En apparence, rien n’a vraiment changé pour le moment dans le paysage. Pourtant, des citoyens de plus en plus nombreux s’inquiètent et se mobilisent. Surtout depuis qu’ils savent que le 30 janvier 2011 une ordonnance a réformé le code minier sous la responsabilité de Mme Nathalie Kosiusko-Morizet, la nouvelle ministre de l’environnement. Le paysage juridique, lui, change en toute discrétion, en dehors de tout débat parlementaire ; l’exploration des gisements de pétrole et gaz de schiste n’est pas soumise à enquête d’utilité publique préalable. Y aurait-il quelque chose à cacher ? Les sociétés concernées par ce « laisser faire » inquiétant se cachent derrière un vocabulaire pudique. Elles ne pratiquent pas la fracturation mais la stimulation. Comme si le sous-sol de nos campagnes avait besoin d’être stimulé ! Ce déguisement lexical dissimule mal la peur qu’inspire aux extractivistes eux-mêmes l’emploi de leurs méthodes monstrueusement agressives.

En matière de déguisement, un homme s’y est entendu à merveille au cours des quatre dernières années. La « petite main » du Grenelle de l’environnement - cette baudruche médiatique gonflée par M. Nicolas Sarkozy dès juin 2007 - tout en pilotant le processus du Grenelle, octroyait aux discrètes mais voraces entreprises du secteur les permis d’exploration des gisements de pétrole et gaz de schiste. Il ne pouvait ignorer les méfaits de la fracturation hydraulique, sauf s’il avait négligé de s’en informer, ce qu’un ministre digne de ce nom ne saurait faire. Tout le monde a bien sûr reconnu ici M. Jean-Louis Borloo, à jamais discrédité sur le terrain de la défense de l’environnement en raison de sa minable duplicité. Il dit - maintenant qu’il n’est plus ministre - être contre l’exploitation de ces gisements que seuls des esprits malades de la Croissance et du profit capitaliste peuvent envisager de faire fructifier. Sa remplaçante, aux initiales en forme d’appellation chimique, proclame que l’on fracturera « à la française », de façon propre. NKM présentera en mai prochain un projet de loi sur cette question. Parions que la loi adoptée et les décrets d’application qui suivront seront suffisamment flous pour ne pas trop contraindre les pétroliers et leurs démentes solutions. Ils reviendront à la charge après les Présidentielles de 2012. Car, ne l’oublions pas, nous sommes en période préélectorale où l’on calme tous les jeux de dupes pour mieux les libérer en des temps plus favorables. Alors, disons-le sans ambages : la fracturation hydraulique propre cela n’existe pas et n’existera jamais. Il y a donc deux camps, celui des destructeurs et celui des protecteurs de l’environnement, tout particulièrement en cette matière.

Ce que révèle cette crapuleuse affaire est que les hommes et femmes politiques souhaitent continuer à ne pas être très regardants quant aux pratiques des industriels les plus polluants et les plus prédateurs. C’est précisément cela qui doit changer. Acceptons enfin également de reconnaître que la croissance du PIB est incompatible avec l’équilibre écologique. D’autres solutions énergétiques existent, à commencer par la sobriété de la consommation. C’est la fracturation du système que constitue l’économie carbonique et nucléarisée qu’il faut favoriser. Remplaçons les sources d’énergies mortifères par des sources douces et par le contrôle public de leur production. L’énergie est devenue une question trop grave pour être confiée aux seuls industriels privés.

Yann Fiévet

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